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La vie de Paris. Une demi-heure avec Massenet

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LA VIE DE PARIS
Une demi-heure avec Massenet

Des roses, des roses !... Tandis que je gravissais l’autre matin l’escalier de Massenet, où flottait un acre et tiède parfum de fleurs, la jolie mélodie que chante Perséphone dans Ariane me revenait à la mémoire.

— M. Massenet ?

— Vous tombez bien. Il est revenu. Je vais le prévenir.

Le salon où le valet de chambre m’introduit est une pièce vaste et confortable. La Renaissance y voisine avec d’autres styles plus modernes. Les trois fenêtres s’ouvrent sur les jardins du Luxembourg dont les frondaisons d’or pâle font, en cet endroit, un cadre délicieux à la chapelle de la reine Catherine. Quelques gerbes d’orchidées mauves se meurent lentement dans des vases de bronze ; des chrysanthèmes somptueux inclinent leurs têtes chevelues devant une statuette d’Hérodiade ; d’admirables roses moussues — des roses, des roses ! — effeuillent leurs pétales blancs autour d’une vasque grecque. La littérature et la poésie occupent, dans la bibliothèque d’angle, une place importante ; la musique, par contre, se cache. N’était le piano Erard — un modeste petit piano droit, qui semble honteux d’être là, — on ne se douterait jamais que cet appartement représente le sanctuaire d’un grand musicien.

Des pas pressés, une portière furtivement soulevée, une silhouette mince, un monocle, des paroles affectueuses, de l’effusion... C’est lui.

Je m’attendais à le voir apparaître dans l’ample robe de chambre rouge dont il s’enveloppe le matin pour travailler. Aujourd’hui, toutefois, il ne s’est pas « homardé » — selon sa plaisante expression, — il a abandonné le confortable molleton rouge pour un correct complet noir : il attend une dame. Rassurez-vous : c’est une pensionnaire de l’Opéra-Comique, qui vient lui chanter Werther.

Nous parlons tout de suite d’Ariane — naturellement. Le maître est de belle humeur. Le succès l’a encore rajeuni !

— Est-il vrai que vous ayez fui Paris afin de ne pas assister à la première d’Ariane ?

— Parfaitement vrai, ces sortes d’émotions me font mal là.

Massenet me désigne son cœur.

— Alors comment avez-vous appris le succès de votre œuvre ?

— Par un chasseur. J’étais allé, chez moi, à la campagne pour surveiller les labours d’hiver. Un beau matin, je me promenais dans mes champs lorsqu’un chasseur du village vint à passer ; il allait épauler son fusil quand soudain il m’aperçut. Il s’arrêta et me cria : « Je ne voudrais pas risquer de vous tuer tout de même, monsieur Massenet, après votre beau succès d’hier soir : j’ai lu ça sur le journal ».

Voilà comment je reçus la première bonne nouvelle d’Ariane. Quelques jours plus tard je rentrai à Paris et je trouvai ce salon jonché de fleurs... comme pour un enterrement ! »

Massenet a prononcé cette dernière phrase d’une voix triste ; on sait qu’il excelle dans l’art du pince-sans-rire ; ses petits yeux pétillent de malice : il est content, très content des débuts d’Ariane...

Encouragé, j’interroge. Le causeur charmant et séduisant qu’est l’illustre musicien peu à peu s’anime, s’emballe, s’émeut, s’arrêtant par moments, dans son éternelle promenade à travers la pièce, pour souligner sa pensée d’une attitude, d’un geste — son geste familier qui semble évoquer des lointains brumeux...

— Je n’ai pas, à proprement parler, de « méthode de travail ». À quoi bon ? Je travaille « comme ça me vient ». J’ai mis cinq semaines à écrire le Jongleur de Notre-Dame, et trois ans et huit mois à composer Ariane. Je ne commence à noircir du papier à musique que lorsque l’ouvrage est entièrement terminé dans mon cerveau.

— Et vous n’oubliez rien ?

— Pourquoi oublierais-je ? Je vis avec mon œuvre, avec mes personnages : je sais tout de suite dans quel ton je ferai tel rôle et tel autre. Ainsi je me souviens que lorsque Mendès vint me lire ici le poème d’Ariane, les grandes lignes de la partition se déroulaient dans mon esprit au fur et à mesure que je l’écoutais. Bien mieux : dans l’émotion profonde que je ressentis à la lecture de l’admirable plainte d’Ariane : « Ah ! le cruel ! », je trouvai le motif que vous connaissez ; il en fut de même de la mélodie des roses...

Brusquement, Massenet s’est assis au piano et de sa voix chaude et brisée fredonne la phrase vibrante.

Puis, se retournant tout à coup :

Ariane, c’est désormais de l’histoire ancienne pour moi : je suis tout à Thérèse.

— Le drame que vous destinez à Monte-Carlo ?

— Précisément. J’ai terminé la partition de piano et chant ; maintenant, j’orchestre. Elle complétera le triptyque : Chérubin, la comédie ; le Jongleur, la poésie ; Thérèse, le drame. Et quel drame ! L’époque révolutionnaire à Paris, trois personnages, un point c’est tout. Pas de foule, pas de chœur, un drame dans une chambre, avec la Révolution qui hurle derrière les vitres, la Révolution que l’on entend et que l’on ne voit pas et dont l’écho formidable entre par bouffées chaque fois que la fenêtre s’entr’ouvre... Si vous saviez combien l’ouvrage m’a intéressé à écrire !

Massenet a quitté le tabouret du piano ; il arpente de nouveau le salon.

— Et puis, voyez-vous, je suis ravi d’avoir pu reprendre pour Thérèse, l’innovation que j’avais tentée avec Ariane : celle de faire déclamer sur de la musique certaines parties dramatiques du poème. La difficulté, c’était de trouver l’artiste lyrique qui sache dire le vers ; je l’ai découverte : c’est Mlle Arbell...

Nous passons à d’autres sujets. Massenet s’élève contre l’abus du leitmotiv ; il est de ceux qui estiment avec raison qu’il faut laisser à l’inspiration toute sa liberté, toute sa fantaisie. Seulement, voilà, il s’agit d’en avoir, et tout le monde, à cet égard, n’est point aussi fortuné que l’auteur d’Ariane.

De cette fécondité d’inspiration je surprends le témoignage éloquent lorsque Massenet, pour me montrer le manuscrit de Thérèse, a entr’ouvert tout à l’heure les battants d’une armoire discrètement dissimulée dans un angle de son salon.

Une quarantaine de partitions manuscrites, habillées d’une reliure uniforme, offrant pour toute indication un titre et une date, s’alignent en ordre alphabétique sur les six rayons du meuble, je les feuillette : elles ne portent pas une rature : c’est l’évocation simple, muette et singulièrement émouvante d’une glorieuse carrière.

Mais où et quand trouve-t-il le temps de travailler ? Car Massenet est mondain, il est campagnard, il voyage et il entretient une correspondance volumineuse...

— Je travaille toujours, dehors, chez moi, en voyage. C’est une habitude, c’est une nécessité.

— Mais alors, votre correspondance ?

— De quatre heures du matin à midi.

— Et combien avez-vous reçu de lettres après Ariane ?

— Douze cents ; plus cent soixante-dix dépêches.

Et Massenet ajoute, en clignant ses petits yeux :

— J’ai répondu à toutes !

Dans une coupe toute proche, un monceau d’enveloppes s’entassent pêle-mêle : écritures anglaises, élégantes et régulières ; petites écritures fines et troublées ; billets parfumés, timbres exotiques.

Des roses, des roses !…

René Lara

Persone correlate

Compositore, Pianista

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Opere correlate

Ariane

Jules MASSENET

/

Catulle MENDÈS

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data di pubblicazione : 24/09/23