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Opéra-Comique. La Princesse jaune

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Opéra-Comique
La Princesse jaune – Bonsoir voisin !

L’auteur de la partition de la Princesse Jaune a eu l’enfance et l’adolescence des artistes prédestinés. À deux ans et demi, ses mains enfantines se posaient sur le piano ; et la vieille parente, qui fut son premier professeur sur cet instrument, devina sa vocation et la dirigea avec une tendresse prévoyante : ce dut être pour elle la surprise éprouvée par Léopold Mozart en suivant, sur le clavecin, les doigts du petit Wolfgang qui bégayaient des tierces et des sixtes. À douze ans, n’ayant plus rien à apprendre à l’école de Stamaty, M. Camille Saint-Saëns commençait l’étude de l’harmonie et de la composition sous la direction de Maledin et un peu plus tard, avec Halévy, qui le garda un an dans sa classe. Élève de M. Benoît pour l’orgue, il remportait le second prix à quatorze ans, et à seize ans le premier prix. Mais entre ces deux dates et ces deux couronnes, il faisait exécuter, aux applaudissements des artistes et d’un public connaisseur et difficile, une grande symphonie pour orchestre aux concerts Sainte-Cécile. L’auteur de cette composition élevée et sérieuse venait de dépasser de quelques mois seulement sa quinzième année. Deux fragments de cette symphonie en mi bémol (l’andante, je crois, et la marche) figurèrent – il n’y a pas très longtemps encore – sur le programme des concerts populaires ; en les accueillant avec une faveur marquée, l’auditoire de M. Pasdeloup ne s’imaginait guère avoir affaire à un enfant.

Disons pour en finir avec cette jeunesse vaillante, studieuse et précoce, que M. Camille Saint-Saëns prenait rang à dix-huit ans parmi les organistes de Paris. À la retraite de Lefébure-Wély, il quitta Saint Merry pour s’asseoir à l’orgue de la Madeleine – un admirable instrument touché (comme on disait autrefois) par un artiste auquel tous les secrets de l’art sont familiers. Plus savant, plus correct, plus classique, en un mot, que son prédécesseur, il n’a pas, en revanche, sa richesse d’imagination et sa manière pittoresque d’associer les timbres : c’est un grand style ; mais Lefébure était un incomparable coloriste.

L’organiste de la Madeleine est, avec Francis Planté et Ritter, à la tête des pianistes de la génération nouvelle. Moins grand virtuose peut-être que le premier, ne se communiquant pas à la foule avec la déférence heureuse du second, M. Camille Saint-Saëns, loin de se prodiguer met une réserve extrême à se donner au public. Il ne l’estime guère, et il a raison ; mais il s’en éloigne avec hauteur, et il a tort. Il y a une habileté sans bassesse qui consiste à le connaître et, le connaissant bien, à le diriger. Si le public, dont le goût subit les variations de la mode, en matière d’art, et les impose, gâte quelquefois les plus grands artistes, il en est peu qui, pour être grands, puissent se passer impunément de son suffrage. Il ne faut ni le mendier ni le mépriser, ce suffrage, où abondent d’injurieux caprices et d’intolérables injustices, mais le lui imposer et l’emporter de haute lutte. Il n’est pas digne sans doute d’un musicien de génie de se laisser dicter des conditions ; mais pour qui tente l’épreuve de la scène, il est indispensable de connaître celles qui font réussir au théâtre, et de s’y soumettre. Un grand peintre, auquel on livre une salle irrégulièrement construite à couvrir de figures historiques ou mythologiques, ne saura-t-il pas trouver dans son génie des ressources merveilleuses pour redresser les angles et éclairer les parties de son cadre rejetées dans l’ombre ? Cette nécessité, cette gêne lui fait rencontrer quelquefois sous sa brosse des effets auxquels il n’avait pas songé d’abord. Le public, au théâtre, est un composé d’angles et d’ombres. La vocation dramatique, pour le poëte et le musicien, consiste à s’assimiler les procédés du peintre et ses habiletés ou ses audaces heureuses.

On m’a compris. Il m’en eût trop coûté en effet de venir dire à un musicien de la valeur de celui qui nous occupe, sans motiver avec convenance un jugement absolument défavorable : « Vous vous êtes trompé, monsieur, aussi complètement que le pouvait faire un homme plein de confiance en ses idées et en son mérite, et, d’avance, bien décidé à ne tenir aucun compte des exigences de la scène et de la musique dramatique, et à ne faire à ses auditeurs aucune concession, ni grande ni petite. » Par tempérament ou par système (je ne lui ferai point l’injure d’ajouter : par impuissance), M. Camille Saint-Saëns appartient en musique à une école nouvelle. Cette école affiche la prétention (elle n’a point réussi encore jusqu’ici) de rompre d’une façon éclatante, cavalière avec le passé de l’art ; pour y arriver, elle a pris le contre-pied de ce qui en constituait les éléments avant qu’à l’exemple de Sganarelle, elle ne se fût avisée de mettre le foie à gauche et de loger le cœur à droite. L’horreur de la banalité et du convenu est la marque, dans les choses de l’imagination et de l’intelligence, des organisations élevées ou délicates : ce sentiment, même poussé jusqu’à la passion, est une condition de leur supériorité. J’y mets pourtant la restriction que voici. Figurons-nous un poëte, un sculpteur, ou un musicien, poussé par sa vocation à tenter de nouvelles découvertes dans le monde de la pensée, de la ligne ou du son. II va lâcher la bride à l’inspiration, comme le cavalier, à sa monture. Il est très beau à voir, mesurant du regard l’espace à dévorer. Mais que penseriez-vous de lui, si cet homme, après avoir enfourché son idéal, pour ne point galoper, comme tout le monde dans la route battue, se jetait violemment du côté opposé, au risque de rouler dans le fossé, et se proposait de se frayer, avec la tête de son cheval, un chemin à travers un fourré de bois ? Ce qu’il y aurait de grand en lui, serait-ce, répondez ? son génie ou sa folie ?

Les routes battues, ce sont certaines règles, de convention, si vous voulez, mais de nécessité absolue, en dépit de cette convention même. La poésie a sa route battue : la grammaire. La statuaire a sa route battue : les proportions du corps humain. La musique à sa route battue, elle en a même plusieurs – la tonalité, le rythme, le contour de la phrase, c’est-à-dire le motif, la succession, l’enchaînement logique du groupe sonore, c’est-à-dire l’harmonie. Le musicien parle à mon imagination, à certains mouvements de sensibilité qui sont en moi et que son talent éveille successivement en les opposant l’un à l’autre ; il me charme, il m’émeut, il me passionne, il me transporte... à une condition pourtant ! C’est que cette langue admirable des sons ne dépaysera mon oreille que juste ce qu’il faut pour lui donner la sensation de l’originalité du musicien ; et de quelque façon que s’y prenne ce dernier, il lui faudra s’engager dans les routes battues de la mélodie, de l’harmonie et du rythme.

Pour ne point prendre – comme on dit – par le « pont-aux-ânes » où ont passé leurs devanciers, les musiciens de la nouvelle école sont bravement descendus dans le lit pierreux et sablonneux du torrent – à sec comme leur imagination. Ils ont substitué à la mélodie, au motif, fort décrié par eux, une mélopée traînante, une psalmodie qui n’a ni commencement, ni milieu, ni fin ; ils ont enfermé l’harmonie dans un chapelet de dissonances éternellement suspendues, sans aboutir, entre des tonalités grinçantes ; – c’est le labyrinthe, moins le peloton de fil d’Ariane ! – Et de plus, comme il fallait enlever à la phrase tout ce qui pouvait être le semblant d’une allure cadencée, lui communiquer le mouvement et lui donner la vie, ils ont cassé au rythme bras et jambes, pour l’empêcher de marcher. Rythme, harmonie, mélodie, ils ont remplacé tout cela, dans l’opéra, par une sorte de discours musical entre les voix de la scène et celles de l’orchestre ; l’orchestre y est incomparablement mieux traité que les chanteurs ; la symphonie est une reine à laquelle ceux-ci, rabaissés au rôle subalterne des confidents de la tragédie, renvoient respectueusement la réplique en s’effaçant au second plan. – Ce qu’il y a de triste à dire, c’est que s’il faut encore beaucoup de science pour réussir dans ce casse-tête chinois, les impuissants, les musiciens sans idées y dissimulent mieux que d’autres, l’irrémédiable infécondité de leur imagination.

J’ai entendu deux fois la partition de la Princesse jaune, sans être beaucoup plus avancé pour cela. À la répétition générale, où je prêtais au développement de l’œuvre une attention sérieuse et attristée, je me trouvais flanqué, à droite et à gauche de l’orchestre, par les amis du musicien. Quand le rideau fut tombé sur cette japonerie à deux personnages, une dame s’écria près de moi : C’est de la poésie ! Le madrigal, à l’insu de l’admiratrice du compositeur, était une épigramme mouchetée ; et, en effet, ce que nous venions d’entendre n’était pas de la musique.

Dans cette œuvre, d’une inaltérable et savante monotonie, j’ai pourtant rencontré une belle page, l’évocation chantée par Kornélis, et accompagnée par des jeux d’orchestre, dans lesquels le compositeur a marié les différents timbres des instruments avec une véritable science des effets. C’est délicieux. M. Lhérie met beaucoup de conscience à faire valoir un rôle ingrat et difficile. Quant à mademoiselle Ducasse, la cousine Lena et la princesse jaune du docteur Kornélis, elle introduit un troisième personnage dans la pièce, celui de la nourrice du Médecin malgré lui ; elle fait bien, car les deux autres sont bien maussades, même avec l’élément de gaieté qu’y apporte la coiffure de la belle Japonaise.

Bonsoir, voisina été bien accueilli à ce théâtre. C’est de la musiquette d’un bon élève d’Adam, qui se souvient de son maître. C’est vif, agréable et commun. Mademoiselle Reine (Louisette) y tient l’emploi de prima donna à la grande joie du parterre. M. Thierry (Chariot) joue les Meillet, ce qui est assurément permis, mais de plus, il les chante, ce qui n’est pas juste !

Bénédict

Persone correlate

Compositore, Organista, Pianista, Giornalista

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Letterato, Giornalista

Benoît JOUVIN

(1810 - 1886)

Opere correlate

La Princesse jaune

Camille SAINT-SAËNS

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Louis GALLET

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data di pubblicazione : 23/06/24