Opéra de Monte-Carlo. Première représentation de Roma
Opéra de Monte-Carlo : Première représentation de Roma, opéra tragique en cinq actes, de M. Henri Cain, d’après Rome vaincue, d’Alexandre Parodi, musique de Massenet.
Rome vaincue, la tragédie d’Alexandre Parodi, dont M. Henri Cain a extrait le scénario de Roma, fut représentée pour la première fois au Théâtre-Français, vers 1875, et obtint un succès auquel reste attaché le souvenir de Mme Sarah Bernhardt dans le rôle de l’aïeule aveugle, Posthumia.
Voici le résumé de l’action, que M. Henri Cain a respectée autant que le lui permirent les exigences d’une collaboration musicale.
Les Romains, en lutte avec Annibal, viennent d’essuyer une grave défaite. Paul-Emile et Varron ont péri. Et maintenant, sur la place publique, devant une population accablée, Lentulus, seul survivant d’une innombrable armée, retrace les péripéties du désastre.
Rome a donc mérité la colère des dieux ? mais pour quel crime ?
L’oracle consulté a répondu : « La Louve vaincra le Lion africain lorsque le feu de Vesta brillera d’une nouvelle et pure flamme sur l’autel que profana le feu de Vénus ».
Mais, parmi les prêtresses du temple, quelle est la coupable, c’est-à-dire la victime dont l’immolation satisfera la vengeance du ciel ?
Toutes sont interrogées, et l’une d’elles, la plus jeune peut-être, encore troublée par le souvenir d’un rêve où le dieu Eros lui apparut, s’imaginant qu’elle fut ainsi criminelle, s’accuse.
Cependant, la véritable sacrilège, ce n’est point cette douce Junia, c’est Fausta, la petite-fille de Posthumia, la vieille aveugle, la nièce du sénateur Fabius et, l’amante de celui qui a fui le champ de carnage, moins pour échapper à la mort que pour la revoir : Lentulus.
Le grand prêtre a surpris l’émoi de Lentulus lorsque parlait l’oracle. Usant d’un stratagème qui pour n’être ni nouveau ni hardi ne manque cependant pas son effet ; il clôt l’interrogatoire des vestales en annonçant brusquement que le frère de l’une d’elles, Lentulus, est mort. Cette fois, c’est l’émotion de Fausta qui la trahit et la désigne au supplice.
Voici donc, d’après ce qu’annonça l’oracle, que les dieux seraient bientôt apaisés ; voici que renaîtrait la gloire de la Cité si, inspiré par sa haine des Romains dont il espère assurer ainsi l’irrémédiable perte, un esclave gaulois, complice des amours de Lentulus et de Fausta, ne déterminait les deux amants à fuir par un souterrain dont il a découvert le secret.
Mais la liberté pour la vestale coupable, la vie, le bonheur dans les bras de Lentulus, n’est-ce pas en même temps la condamnation de la patrie ?
Aussi, touchée par le remords et malgré l’horreur du supplice qui lui sera réservé – la mort lente dans un sépulcre où on l’ensevelira vivante – Fausta revient-elle s’offrir aux bourreaux. Malgré la douleur de Fabius, malgré les larmes de Posthumia, le tribunal impitoyable prononce l’arrêt qui doit apaiser la colère du ciel. Pour épargner à leur enfant une aussi atroce agonie, l’oncle et l’aïeule se sont concertés. Posthumia se fait conduire près de Fausta et essaie de glisser dans sa main le poignard que vient de lui remettre Fabius. Hélas ! Fausta, dont les bras sont liés, ne peut le saisir.
Alors, exaltée par l’amour maternel, la vieille aveugle cherche elle-même la place où bat le cœur de la victime et y plonge le fer qui la délivre. Mais à peine le corps de Fausta est-il porté au tombeau, que des cris d’allégresse mêlés à l’éclat des fanfares guerrières remplissent l’air, et qu’on voit s’avancer le consul Scipion, entouré de ses légionnaires brandissant leurs armes.
Les dieux, réconciliés avec Rome, ont ramené la victoire.
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Le sujet de Roma, l’époque, le lieu où se déroule l’action, la nature de certains épisodes ont inspiré à Massenet une partition qui prendra, je crois, à côté de ses autres œuvres si nombreuses, une place particulière. Je veux dire que s’il n’est pas rare de rencontrer, dans Roma, les traits qui caractérisent le mieux l’une des personnalités les plus considérables de la musique dramatique moderne, on y respire cependant une atmosphère de gravité solennelle, presque d’austérité, on y constate un souci d’obtenir des effets de grandeur et de force par l’emploi des moyens les plus simples – par le « nu », si j’ose dire – qui mettront cette partition non à la suite, mais en marge de toutes celles qu’a écrites jusqu’ici l’infatigable Massenet.
Roma débute par une ouverture dont la forme et les proportions rappellent les ouvertures des opéras du siècle dernier. Mais dès le premier chœur où le peuple de Rome pleure la perte de ses armées, dès le vigoureux appel aux armes de Fabius, dès l’intervention du souverain pontife, la véritable physionomie de l’ouvrage se manifeste ; et déjà, dans la manière dont la déclamation s’appuie presque exclusivement sur des accompagnements à deux parties et quelques fois à une partie seulement, apparaît ce souci de simplicité que j’ai tout d’abord signalé.
Le second acte a été préludé par le thème doux et grave qui caractérise le culte de Vesta. Puis, au cours de l’interrogatoire que le souverain pontife fait subir aux prêtresses, se produit un épisode charmant : le récit du songe de Junia.
Au troisième acte s’élève le conflit qui agite les deux amants ; l’hésitation de Fausta que retient le sentiment de son devoir envers Rome et l’ardente volonté de Lentulus d’emporter au loin, vers la vie et le bonheur, son amante. Massenet les a traduit avec cette véhémence enfiévrée, avec cette persuasive éloquence dont il semble renouveler chaque fois l’expression.
Au quatrième acte, la musique reprend son caractère ample, sévère. Fausta est revenue ; son langage est doux et résigné. Mais, maintenant, c’est l’aïeule aveugle qui, devant Fabius accablé, devant les juges dont le fanatisme et le zèle superstitieux vont dicter les arrêts, implore le salut de sa fille ; et alors les accents reprennent leur puissance expansive, deviennent toujours plus pathétiques, douloureux, poignants jusqu’au moment où après que s’est déroulé la tragique scène de la mort de Fausta, retentissent l’éclat des trompettes et les chants de victoire.
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L’interprétation de Roma réunit un très remarquable ensemble d’artistes. Dans le rôle de Fausta, Mme Kousnetzoff a fait chaleureusement applaudir sa voix brillante et souple et son jeu très pathétique. Mlle Lucy Arbell traduit le personnage de Posthumia, l’aïeule aveugle, avec un admirable talent de tragédienne ; rien de plus noble que son aspect, rien de plus émouvant que sa démarche, que son geste incertain, rien de plus poignant que ses accents. Le succès de Mlle Arbell a été vif autant que mérité. J’ai dit combien était charmant l’épisode du Songe de Junia ; je dois ajouter que Mme Julia Guiraudon l’a détaillé avec infiniment de goût.
La magnifique voix et l’interprétation valeureuse de M. Muratore s’accordait à merveille avec le personnage de Lentulus ; M. Delmas prête à celui du sénateur Fabius la haute autorité de son très grand talent ; M. Noté fait résonner son superbe organe dans le rôle de l’esclave gaulois, et M. Clauzure, qui débutait naguère, se montre digne des plus sincères éloges dans celui du souverain pontife.
On sait avec quel soin, avec quel goût et aussi avec quelle magnificence M. Raoul Gunsbourg représente sur la scène de l’Opéra de Monte-Carlo les œuvres qu’un choix princier lui a désignées. C’est dire que, pour Roma, la mise en scène, les décors et les costumes sont tels qu’on est accoutumé à les voir ici. Quant aux chœurs, exceptionnels par le nombre, la qualité des voix et les mérites de l’exécution ; quant à la magnifique phalange instrumentale que dirige un chef hors ligne, M. Léon Jéhin, on ne saurait trop proclamer leur supériorité.
Gabriel Fauré.
P. S. – La représentation s’est terminée par des ovations sans fin au maître.
Le prince Albert et le prince héritier assistaient à la soirée ; on remarquait aussi la présence des généraux de la garnison de Nice, l’amiral et les officiers de l’escadre de la Méditerranée, des officiers italiens et le préfet de San Remo.
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Roma
Jules MASSENET
/Henri CAIN
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data di pubblicazione : 24/09/23