Musiciana

MUSICIANA

L’Opéra-Comique donne ce soir la première représentation du Roi d’Ys, de M. Edouard Lalo. C’est une œuvre dont on s’occupe à l’avance et à très bon droit, l’auteur ayant conquis, de longue date, un haut rang dans son art. Symphoniste original, musicien clair, savant, ingénieux, d’une imagination fertile en mélodies, doué supérieurement du sens des rythmes et des couleurs de l’orchestre, aimant la vie en ses manifestations les plus franches, net d’esprit, surtout, et persévérant, voici que, sur le tard, il aborde la scène. Je ne sais rien de sa partition, à l’heure qu’il est, hormis par ouï-dire ; mais j’ai le respect de ces artistes laborieux et hardis, tenaces, visant haut, marchant droit, qui ont suivi, dès leur jeunesse, le dur sentier de leur choix, et j’ai confiance. Les portes de fer du théâtre s’ouvrent devant eux : c’est fort bien. Ils sauront donner leur mesure sur les planches comme ils l’ont donnée au concert.

Mais je n’ai pas à définir, aujourd’hui, une personnalité de compositeur, si digne d’honneur qu’elle puisse être. Je souhaite simplement dégager une vérité générale et consolante, à savoir qu’un homme de tempérament et de volonté, qui a toujours produit selon sa conscience et à sa guise, dans un but bien déterminé, finit, presque immanquablement, par surmonter tous les obstacles. Ce n’est pas la justice abstraite qui le veut ainsi, c’est la force des choses. Ceux-là restent en chemin qui s’admirent et prophétisent, au lieu de travailler, et projettent tumultueusement de grandes œuvres qu’ils n’exécutent point. Et je veux raconter, à ce propos, l’histoire de ce curieux musicien nommé Jacques Strunz, à qui Balzac, émerveillé de sa parole, dédia Massinnilla Boni. Les plus grands dons sont stériles que l’étude et la discipline dans la production ne viennent pas féconder. Vive labeur ! C’est la devise éternelle des vrais maîtres.

[…] En musique comme en tout, l’avenir est aux hommes de talent tenaces et convaincus qui travaillent. L’œuvre achevée peut attendre plus ou moins longtemps les circonstances favorables, mais elle finit toujours par éclater. On l’a vu pour Sigurd naguère ; on le voit aujourd’hui pour le Roi d’Ys.

FOURCAUD