Bloc-Notes parisien. La genèse de Roma
Bloc-Notes Parisien
Une nouvelle œuvre de M. Massenet
LA GENÈSE DE « ROMA »
L’Académie nationale de musique se prépare à nous faire entendre à la fin de mars ou au commencement d’avril une nouvelle partition de M. Massenet. Mais auparavant, l’auteur de Manon, cédant aux instances de M. Raoul Gunsbourg, va donner la primeur de son œuvre à l’Opéra de Monte-Carlo. Cette première sensationnelle est fixée au milieu de février. J’ai pensé qu’il serait intéressant de demander au maître quelques détails sur la bataille qu’il se prépare à livrer au public, bataille qui, n’en doutez pas un seul instant, sera pour lui une victoire de plus.
J’ai eu la chance de trouver M. Massenet chez lui. Le soleil, qui par le temps glacial d’hier entrait à pleines fenêtres dans le bel appartement que le maître habite rue de Vaugirard, souriait triomphalement au compositeur. Un rayon qui s’égarait ici sur un carton à chapeaux, un autre rayon qui dorait là une malle avaient l’air de faire escorte au musicien, qui se préparait à partir le soir même pour la Côte d’Azur, où il va surveiller les dernières répétitions. Et M. Massenet, joyeux d’aller au-devant du ciel bleu et de l’éternel printemps vanté par les poètes, me dit comme avec un peu de regret en me montrant cette lumière qui inondait le salon :
– Le Midi !…
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Mais j’avais hâte de connaître quelques détails sur cette Roma, dont l’apparition est prochaine et dont on dit déjà que ce jeune enfant égalera la gloire de ses aînés. Je demandai à M. Massenet quand et comment il avait conçu son ouvrage. Voici ce que le maître voulut bien me confier :
– Je me trouvais en 1902 dans ma maison d’Egreville, en Seine-et-Marne, quand, au milieu d’un lot de livres que j’avais emportés pour m’instruire ou me distraire après mes travaux musicaux, je tombai sur la brochure de Rome vaincue. Je ne sais pas trop pourquoi, lorsque l’œuvre du regretté Alexandre Parodi avait été donnée en 1876 à la Comédie-Française, je ne l’avais pas vu jouer ; je n’avais pu que la lire, et ce beau sujet avait retenu mon attention.
« Un beau soir, en 1878, – car à cette époque je sortais le soir – je rencontrai Parodi boulevard des Batignolles ; Parodi était un excellent ami avec lequel je m’étais lié. J’aurais été très heureux de collaborer avec lui. Ce soir-là, il me proposa un sujet de drame musical, il m’en esquissa les principales scènes. Je ne sais trop pourquoi d’autres travaux m’absorbèrent, et je ne pensai plus que de loin en loin au drame musical en question.
Le bon Parodi mourut en 1901, et voilà qu’en 1902, comme je vous le disais plus haut, la brochure de Rome vaincue vient à Egreville hanter mes regards, mieux encore hanter mon imagination…
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Et machinalement, pendant quelques soirées de loisirs – c’était le moment où allait paraître Le Jongleur de Notre-Dame – je me mets à découper dans mon esprit Rome vaincue pour en faire une œuvre musicale. Je fais plus : j’écris quelques scènes de la partition.
Mais tout à coup je me souviens qu’il fallait avant tout demander l’autorisation à Mme Parodi, la veuve de l’auteur. J’écris ; ma lettre n’arrive pas à destination – la poste était déjà mal faite. Peu à peu, le sujet m’enflammait tellement que je continuais à broder ma musique sans m’occuper de savoir si Mme Parodi ou les héritiers Parodi seraient consentants ou non. Et puis survint Ariane ; j’abandonnai mes projets sur Rome vaincue.
Or, cette autorisation à laquelle je ne songeais plus, mon collaborateur Henri Cain vint un jour me l’apporter, sans se douter que je l’avais sollicitée de mon côté. Et, en même temps, il sortait de sa poche un scénario tout préparé. Jugez de ma surprise ! Ce scénario était presque complètement d’accord avec le premier travail que j’avais ébauché ! Je demandai seulement à mon ami Henri Cain de donner plus de développement à la scène des Vestales et surtout à la scène de la jeune Vestale au second acte. Ce fut tout. »
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M. Massenet continue ses souvenirs sur la naissance de Roma :
– Je me suis mis à l’ouvrage et voilà trois ans que ma partition est terminée. Nous avons encore fait un changement à l’œuvre de Parodi : l’acte du Sénat ne se passera pas dans la curie Hostilia, pour ainsi dire en secret, mais en plein Sénat, avec tous les mouvements des pères conscrits et de la foule. Ce sont là les seules modifications que nous nous sommes permises à la pièce primitive. M. Henri Cain a même poussé le respect de son illustre confrère jusqu’à se servir de certains vers de l’excellent poète. Vous savez que Parodi, né dans l’île de Crète, et par conséquent Grec d’origine, maniait admirablement notre belle langue française, et qu’il se l’était appropriée comme son idiome maternel. Sa tragédie en cinq actes a – la critique de 1876 l’a constaté – une forme qui ne détonnait pas sur les planches de la Comédie-Française, habituées à entendre dire les vers de Corneille ou de Racine.
« Ah ! j’allais oublier de vous avouer que nous nous sommes permis au dernier acte, à la conclusion de l’ouvrage, une petite correction, non pas à l’œuvre, mais à la mise en scène. La vieille Postumia, l’aveugle, l’aïeule octogénaire de la Vestale offerte comme victime à la colère des dieux, restait seule devant le corps de sa petite-fille. Ce dénouement un peu nu convenait à la Comédie-Française et aurait paru maigre pour la conclusion d’une œuvre musicale : nous avons imaginé de faire venir les armées victorieuses conduites par Scipion… »
*
Le compositeur évite insidieusement toutes les questions que je lui pose sur sa partition. Le seul point sur lequel il se découvre et même se montre plus animé, c’est la dénomination de Roma.
– Roma, me dit-il, n’est pas un drame lyrique, sachez-le bien ; j’ai appelé ma partition « opéra tragique » et j’entends que ce titre lui reste, tout comme Panurge, à quoi je travaille en ce moment, aura aussi son appellation déterminée. Le public comprendra en écoutant Roma que la musique a eu la prétention de respecter la tragédie initiale.
« Vous verrez encore à la scène une innovation. M. Raoul Gunsbourg, ainsi que les directeurs de l’Opéra, feront jouer Roma dans un cadre extérieur qui sera le même pour les cinq actes et qui portera en exergue le titre de l’ouvrage. À Monte-Carlo, c’est M. Visconti qui a brossé les décors ; à Paris, ce seront MM. Rochette, Landrin, Bailly et Simas. Les uns comme les autres ont réalisé ce que nous rêvions, mon collaborateur et moi. Ce sera au public de dire si le musicien et le librettiste ont égalé le modèle proposé… »
Sur ces mots trop modestes, M. Massenet se mit au piano et me fit entendre quelques mesures de la « Marche des Vestales ». J’ai pu avec certitude lui donner plein espoir.
Tout-Paris
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Roma
Jules MASSENET
/Henri CAIN
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data di pubblicazione : 28/09/23