Théâtres. Folies-Dramatiques. Madame Favart
THÉÂTRES
Folies-Dramatiques. – Madame Favart, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Chivot et Duru, musique de M. J. Offenbach.
On dit que Mme Favart a été pour son mari une collaboratrice précieuse, et qu’elle lui suggéra plus d’une situation dans les pièces qu’il composait. MM. Chivot et Duru se sont emparés de ce renseignement, pour faire de leur héroïne un véritable auteur dramatique, imaginant des ruses, trouvant des moyens, inventant des quiproquos dénouant des imbroglios et sortant victorieuse des positions les plus critiques, à force de fertiles ressources et d’ingénieux déguisements.
Au premier acte, nous sommes à Arras, dans l’auberge du sieur Biscotin, qui tient enfermé dans sa cave le malheureux Favart que les sbires du maréchal de Saxe poursuivent, tandis que la pauvre Justine expie au couvent le crime d’avoir repoussé ses avances. Mais on ne reste pas longtemps derrière tes grilles d’un cloître quand on s’appelle Mme Favart et qu’on a le génie de l’intrigue ; aussi ne tardons-nous pas à voir arriver la fugitive sous le costume d’une joueuse de vielle. – Scène d’attendrissement et de reconnaissance sur les marches de la cave où languit le pauvre mari… Du bruit ! un indiscret ! Paf ! la trappe retombe, et il ne reste plus devant Hector de Boispréau que la gentille Toinon, servante d’auberge.
Ah ! si Hector obtenait la place de lieutenant de police à Douai, qu’il vient solliciter, il pourrait sauver Favart et sa femme, car il les connaît. Comment ? peu importe. Mais le vieux marquis de Pontsablé, gouverneur de la province, n’accorde de grâces et de faveurs à ses administrés que lorsqu’il est sollicité directement par leurs femmes. N’est-ce que cela ? Justine court chez lui, se fait passer pour Mme de Boispréau et revient avec la nomination.
Reprenant aussitôt le ton et les manières d’une simple servante, elle passe en compagnie de son mari, déguisé en valet, à la barbe des soldats qui voulaient l’arrêter et auxquels elle a chanté, pour leur faire perdre leur temps et l piste, les plus jolies rondes du répertoire de l’opéra-comique.
Il est gai, ce premier acte il a du mouvement et de l’intérêt. Pour suivre Mme Favart dans ses quatre incarnations, j’ai dû passer sous silence deux personnages importants, le baron de Cottignac et sa fille, celle-ci fiancée d’Hector de Boispréau. Nous les retrouverons.
On a applaudi surtout les morceaux suivants les couplets chantés par Mlle Girard : Prenant mon air le plus bénin, qui sont qui sont très réussis et qu’elle dit à ravir la ronde : Ma mère aux vignes m’envoyit, qu’elle lance avec beaucoup de verve ; un joli trio : Adieu Suzanne ! dit d’une façon charmante par Mlle Gélabert, MM. Max et Lepers, et, enfin, le finale, un de ces gais finales franchement bouffes, comme la plume féconde du maestro est habituée à en écrire.
Nous voici maintenant à Douai, dans l’hôtel du lieutenant de police, Hector de Boispréeau, qui a épousé Suzanne de Votignac. Favart et Justine attendent, sous les simples costumes de cuisiniers et de camériste le moment propice pour quitter le pays. Mais en voici bien d’une autre : le marquis de Pontsablé se présente armé d’un ordre du maréchal de Saxe, qui lui commande de saisir Mme Favart, qu’on sait cachée chez M. de Boispréau. Or, Justine est, on se le rappelle, allée chez le gouverneur avec le titre de Mme de Boispreau. Comment faire et que devenir ?
Ici je renonce à raconter par le menu les vertigineuses transformations que la fantaisie des auteurs a imposées à leur héroïne. Elle était servante, la voilà comtesse ; puis elle disparaît pour revenir en vieille douairière ; un plus malin que le marquis de Pontsablé n’y verrait que du feu ; aussi le gouverneur, que les beaux yeux de Justine ont ensorcelé, suit-il aveuglément toutes les pistes que la maligne artiste lui laisse entrevoir, et se croit-il bien fin en arrêtant, au bout du compte, Mme de Boispréau, qu’il conduira au maréchal de Saxe comme étant Mme Favart.
Beaucoup d’entrain et de gaieté dans ce second acte, où l’on a spécialement remarqué la scène de séduction entre le marquis et la comtesse, interrompue à chaque instant par l’invasion du mari, que le vieux céladon a chargé de veiller sur l’entrevue. C’est toujours drôle, ces scènes-là. Celle-ci est tout à fait amusante.
Il y a là trois ou quatre morceaux qui méritent d’être cités. D’abord, Sous une belle apparence, deux couplets bien chantés par M. Lepers ; les couplets des Ancêtres, comiquement dits par M. Maugé, le trio de la Sonnette, et le rondeau de la Douairière, très fin et très délicat : puis le finale, un pas redoublé, bien en situation et bien enlevé.
L’action se termine en plein camp de Fontenoy. Le général victorieux est atteint de la goutte, ce qui le dispense de paraître ; mais sa persécution continue à peser sur l’infortuné Favart qui s’exténue pourtant à rimer des impromptus en l’honneur de son glorieux ennemi, et que la présence de Suzanne, qu’on s’obstine à prendre pour sa femme, ne console guère de l’absence de Justine, qu’il a laissée à Arras avec M. de Boispreau.
Il semble que l’audacieuse Justine éprouve, elle aussi, le besoin de se rapprocher de son mari et du danger, car elle ne tarde pas à se présenter au camp, sous les traits d’un porte-balle tyrolien. Que vient-elle faire ? elle n’en sait rien encore ce que son cœur lui suggérera. Précisément, elle avise une affiche qui promet pour le soir même une représentation de la Chercheuse d’esprit, en présence du roi. Elle n’y tient plus, elle se précipite dans la tente royale, et elle se jette aux pieds de Louis XV en lui demandant grâce, ou plutôt justice. Le Bien-Aimé n’était pas sensible ; cependant il se laisse attendrir et promet d’examiner l’affaire ; mais, en attendant, il exige que Mme Favart joue le rôle dans lequel elle était annoncée.
La comédienne se sent dans son élément elle entre eh scène, elle joue comme un ange, le roi l’applaudit, la salle croule sous les bravos, et, comme dénouement, le marquis de Pontsablé – qui paye pour le maréchal de Saxe – est révoqué, tandis que Favart obtient le privilège de l’Opéra-Comique.
Je me permets, ici, une légère critique de détail. Favart avait déjà été directeur de l’Opéra-Comique, et ce n’est que parce que le privilège lui en avait été retiré qu’il s’était décidé, en 1745, époque choisie par les auteurs, à suivre le maréchal de Saxe aux armées.
Ce léger anachronisme n’empêche pas la pièce de MM. Chivot et Duru d’être intéressante et bienvenue. Je pourrais signaler, dans le troisième acte, quelques airs qu’on a applaudis, tels le morceau : ma femme ! que M. Lepers détaille en vrai chanteur ; mais j’ai h^te d’arriver au clou de la pièce, c’est-à-dire au duo adorable que chantent M. Max-Simon et Mlle Girard. C’est une tyrolienne, mais non pas un vulgaire lai lou. C’est gracieux, distingué et charmant au possible. On l’a trissé, on aurait voulu l’entendre indéfiniment.
Il est facile de conclure. Le livret est un des meilleurs de MM. Chivot et Duru, il est plein de gaieté, d’action et d’ingéniosité, compliqué et clair à la fois. Quant à la partition, elle est facile, coquette et pimpante, telle qu’on était en droit de l’attendre du compositeur qui a signé tant d’œuvres populaires.
C’est donc un succès, et un succès justifié, dont les artistes peuvent revendiquer leur part. Mlle Girard, qui porte toute la pièce, un fardeau sous lequel ne faiblissent pas ses jeunes et vaillantes épaules, s’est montrée comédienne spirituelle et chanteuse agréable. Qu’elle soit marquise ou paysanne, tyrolien ou vielleuse, elle est toujours alerte, intelligente, verveuse. Elle ne fléchit pas un moment, le geste prompt, l’œil vif, la bouche prête à lancer le mot de la situation.
Là sympathique Mlle Gélabert mérite, elle aussi, nos compliments. Elle chante avec goût, et elle est jolie comme tout sous la poudre. On a acclamé les deux jeunes et mignonnes artistes.
Très satisfaisant, le côté des hommes. J’ai parlé de M. Max-Simon qui ténorise agréablement ; il me faut encore dire le bien que je pense de M. Lepers, un transfuge du Théâtre-Lyrique, qui joue et chante fort bien le rôle de Favart.
M. Maugé compose en vrai comédien le personnage du marquis, et M. Luco prête sa bonne humeur au rôle un effacé du baron.
François Oswald.
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/Henri CHIVOT Alfred DURU
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data di pubblicazione : 26/09/23