Angéla de Boieldieu et Gail

THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Première et deuxième représentation d’Angela, ou l’Atelier de Jean Cousin, opéra en un acte.

Le Phidias de nos jours, Canova, dit-on, avait une petite servante qui, en voyant travailler son maître, sentit tout-à-coup s’allumer en elle la passion la plus vive pour un art dont elle ne possédait pas même les premiers élémens. L’inspiration et la contemplation muette des chefs-d’œuvre qui étaient chaque jour sous ses yeux, lui tinrent lieu d’étude. Appelé à juger sur le mérite de diverses productions admises au concours de peinture, Canova décerna le prix à un tableau qui lui parut déceler le talent le plus original ; et il se trouva que le tableau était de sa petite servante. 

C’est, à ce qu’il semble, cette petite anecdote que l’auteur d’Angela a voulu mettre sur le théâtre ; mais elle n’offrait guère qu’une scène et, en lui cherchant un cadre, il s’est vu entraîné à composer une pièce entière. On ne peut se permettre de faire figurer des personnages vivans : M. *** a donc imaginé de changer non seulement les noms de ses acteurs, mais encore le lieu de la scène et l’époque. Au grand artiste qui honore aujourd’hui l’Italie, il a substitué un grand artiste dont la France s’honore depuis plus de deux siècles. Il suppose que le célèbre Jean Cousin a recueilli une jeune personne à laquelle il a prodigué ses soins, sans essayer cependant de l’instruire dans les arts qu’il professe. Mais la reconnaissance qu’Angela porte à son bienfaiteur est devenue de l’amour, et l’amour développe chez elle le génie. Elle travaille en secret, aidée des conseils d’un jeune élève qui l’aime et qui même s’en croit aimé. Le jour de la distribution des prix arrive, et c’est l’ouvrage d’Angela qui est couronné. Jean Cousin est en extase devant sa pupille : la jeune personne ne peut plus contenir sou secret, et l’aveu de sa flamme allume sur le champ des feux non moins vifs. L’hymen réunit deux cœurs si bien laits l’un pour I autre.

L’auteur (qui ne s’est point nommé) a senti que ces deux personnages ne pouvaient suffire seuls à remplir la scène, et il a voulu en grouper quelques autres autour d’eux. Il les a pris dans un ordre élevé, pour que leurs noms suppléassent, en quelque sorte, au peu de part qu’il était possible de leur faire prendre à l’action. Ce ne sont rien moins que la belle Diane de Poitiers, l’amiral Bonivet, le plus calant des courtisans de François I^er, et Clément Marot, fameux, à-la-fois, par ses vers et par l’heureuse audace de ses amours. 

La musique de cet ouvrage est due à deux personnes trop connues au théâtre par leurs succès, pour qu’il leur soit possible d’y garder l’anonyme : l’une est madame Gail ; l’autre, M. Boieldieu. La gloire comme le travail devant être en commun dans une association de celle nature, je ne chercherai point à faire la part de chacun des compositeurs d’Angela. Le public a voulu leur rendre un égal hommage quand il a applaudi une Introduction d’un très-beau style, qui prend naissance dans l’ouverture même, un duo dialogué d’une manière piquante entre Angela et le jeune élevé, une romance chevaleresque d’un effet très-brillant, une cavatine charmante, des couplets d’une expression singulière, chantés alternativement par Jean Cousin et Angela, et enfin le duo qui termine la pièce. Ce duo est un morceau capital : chaleur, entraînement, désordre, charme, ivresse, il réunit tout ce qui doit se trouver dans une première et mutuelle déclaration d’amour. Mademoiselle Régnault et Huet l’ont rendu avec toute l’expression désirable, et l’effet en a été prodigieux. 

Quelques changemens heureux ont rendu l’action plus rapide à la seconde représentation : la musique y a été mieux entendue et plus goûtée encore qu’à la première. 

S.