Uthal de Méhul
Théâtre de l’Opéra-Comique.
Uthal, opéra en un acte (1re représentation).
Les espérances que le nom du compositeur avoit fait naître ont été pleinement remplies. Si les Bardesde l’Opéra-Comique ont cédé la préséance à ceux de l’Académie Impériale, ceux-ci peuvent du moins se promettre dans le second rang une existence heureuse et brillante. Quand le compositeur les abandonne, le poète vient à leurs secours, et leur prête quelquefois des accens que leur génie n’auroit pas désavoué.
Le sujet de ce nouvel opéra est pris dans la Guerre d’Inistona, où Ossian célèbre la valeur d’Oscar, ramenant sur le trône le vieil Anio, qui en avoit été chassé par son genre Cormalo. Ce poème est, parmi ceux d’Ossian, l’un des moins féconds en événements et en beautés poétiques ; mais l’auteur d’Uthal s’est enrichi de quelques épisodes choisis avec art dans les autres compositions du barde Calédonien, et ce n’est pas sans raison qu’il lui rend un hommage public.
Narmor [sic], chassé de son palais par son genre Uthal, va traîner sa vieillesse dans les déserts, et demander des secours au roi de Morven. Cependant, la joie est dans le palais d’Uthal ; mais au milieu des jeux, la belle Malvina n’a point oublié Narmor : elle fuit un époux coupable pour aller chercher un père malheureux. Elle le trouve enfin, et reçoit bientôt avec lui les vengeurs que Morven lui envoie. Pendant leur sommeil, Uthal arrive ; mais tandis qu’il s’apprête à emmener son épouse fugitive dans son palais, les guerriers de Morven reparoissent. On lui offre la paix s’il veut rendre le trône à son beau-père ; Uthal est trop fier pour céder à la crainte ; il brave la mort. On lui laisse la liberté de se retirer ; il appelle ses guerriers au combat. Bientôt abandonné par ses amis, il est forcé de céder au nombre. Narmor veut l’exiler, Malvina, après avoir vainement imploré l’indulgence de Narmor, déclare qu’elle suivra son époux comme elle avoit suivi son père : elle appartient au plus malheureux. Cette générosité attendrit tous les cœurs ; le farouche Uthal tombe aux pieds de Narmor, et Narmor le rappelle dans es bras.
Ce plan n’offre rien de neuf ni de vraiment intéressant. Les scènes ne sont pas assez liées. L’auteur ne connoît pas encore la route qu’il vient de prendre. On sait que les héros d’Ossian, comme ceux d’Homère, vont souvent à pied, sans suite et sans faste. Les belles de Morven et d’Erin font encore mieux ; elles saisissent quelquefois la lance des combats, et brave la mort à côté de leurs amans. Mais sur notre théâtre, ses courses et les monologues nocturnes ne font pas la même illusion ; il nous paroît fort singulier que le fier Uthal se mette tout seul à la poursuite de sa femme, et qu’il défie tout seul une armée ennemie. Le fond du sujet a quelque ressemblance avec celui du Roi Lear ; le trait généreux de Malvina, qui se déclare pour le plus malheureux, a déjà été employé mille fois ; mais, d’ailleurs, les caractères sont assez bien tracés, le coloris local est bien conservé. Les vers sont des imitations souvent heureuses du barde écossais ; le silence du soir, le murmure des torrens, le vent de la tempête, les palais des nuages, les ombres des héros y reviennent sans cesse ; l’auteur jette à pleines mains les fleurs sauvages de la langue ossianique, et tout cela produit un effet assez bizarre au pays de l’Opéra comique.
Le compositeur a saisi beaucoup mieux encore le caractère du sujet : il s’est chauffé au trône de la fête. Son ouverture d’un style large et d’un coloris sombre, annonce bien les fantômes de la nuit et le vent des orages. Le duo de Marmor et de Malvina est d’un caractère plus doux et plus tendre. L’arrivée des enfans belliqueux de Morven est un morceau original ; le son des harpes, mêlé aux accents lointains des bardes, est d’un effet merveilleux. On a beaucoup vanté l’arrivée des bardes d’Ossian ; je doute qu’elle soit d’un style plus enchanteur. Ces effets singuliers, d’une harmonie qui nous étoit presque étrangère, sont plutôt dûs à la perfection des instruments, qu’au génie des compositeurs : tout n’est pas également bon, dans ces innovations. La musique a aussi son pathos, que le vulgaire prend pour du sublime. Il y a beaucoup d’oreilles plus sensibles aux cris des Bacchantes, qu’à la voix d’Orphée. Aussi tous les partis trouveront de quoi louer dans le poème et dans la musique d’Uthal. Ils entendront la voix de la mort résonner sur le bouclier des combats et le chant consolateur des bardes sur la tombe des héros.
Le passage de la prose au chant, a toujours quelque chose de bizarre et de discordant ; mais l’alliance de la poésie et de la musique fait vraiment illusion : plusieurs acteurs gagneroient à soutenir ce genre ; madame Scio, par exemple, qui, dôtée d’une intelligence et d’une sensibilité profondes, déclame presqu’aussi bien qu’elle chante. Elle a mérité d’être appelée après la pièce avec les auteurs. Gavaudan est déjà assez connu dans ce genre, auquel il devroit borner son ambition. Qu’il se contente de nous faire pleurer à l’Opéra-Comique. Ailleurs, il perdroit peut-être autant que le public : il est aussi farouche dans le rôle d’Uthal, que madame Scio est touchante dans celui de Malvina. Solié jouoit Narmor ; sa voix s’affoiblit, mais elle a quelque chose de vénérable et de paternel. Baptiste, chargé du rôle du premier Barde, a chanté parfaitement leur chant consolateur. Il a fait oublier l’invraisemblance de la scène, et cet éloge doit lui suffire. En général, le succès a été complet. L’auteur des paroles, est M. de Saint-Victor. Son voyage en Calédonie lui fera presqu’autant d’honneur que celui du poète. Il arrive au port par une route moins sûre et moins brillante ; mais enfin il arrive, et c’est beaucoup. La gloire du compositeur sera moins disputée. C’est une feuille de laurier de plus à la couronne lyrique de Méhul.
Persone correlate
Opere correlate
Uthal
Étienne-Nicolas MÉHUL
/Jacques-Maximilien-Benjamin Bins de SAINT-VICTOR
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data di pubblicazione : 21/09/23