Avant-première [Entretien avec Massenet. Roma]
Le Théâtre
Avant-première
M. Massenet évoque pour nous, à propos de « Roma », que va représenter l’Opéra, d’intéressants souvenirs personnels.
Affable et souriant, M. Massenet m’accueille. Le salon tapissé de livres, aux grandes fenêtres ouvrant sur le paisible Luxembourg, garde un peu de solennité des belles choses qui naquirent entre ses murs et des hommes illustres qu’il contint. Car, sur cette table, furent composées maintes partitions célèbres et voici la chaise qui reçut Emile Augier, le fauteuil où s’assit tant de fois Alexandre Dumas, et la cheminée contre laquelle s’appuya familièrement S. A. S. le prince de Monaco.
Cependant, toujours alerte et inlassablement cordial, le maître du logis conserve la bonhomie et le laisser aller d’un simple particulier que n’aurait pas effleuré la gloire :
« Vous voulez que je vous parle de Roma ? Que vous dirai-je ? Ah ! d’abord ceci : Remarquez bien le titre : je n’ai pas intitulé mon ouvrage drame lyrique, mais opéra tragique. La distinction a son importance. Par la première dénomination, dont on a, du reste, un peu abusé, on désignait plutôt la forme ; j’ai choisi la seconde pour indiquer le sentiment. Ce n’est pas au reste d’aujourd’hui, ni même d’hier, qu’on accolle une épithète au mot opéra. Nous avons, depuis beau temps, l’opéra-comique, l’opéra-bouffe ou l’opéra-seria. Je n’ai donc rien inventé, mais je tiens à mon titre, car il rend exactement ma pensée. Insistez bien là-dessus. »
Voilà qui est fait.
Et sur ma prière, le musicien me raconte les circonstances qui entourèrent la conception de son œuvre :
« C’était en 1902 : je venais de m’installer dans ma propriété d’Egreville. Parmi les livres que j’avais apportés de Paris se trouvait la Rome vaincue, de Parodi. Parodi ! J’ai beaucoup connu Parodi. Que de fois, jadis, nous avons prolongé nos promenades, nous reconduisant l’un l’autre, sans parvenir à nous séparer. J’avais, un des premiers, discerné son caractère et son génie. Je suis un de ses plus fervents admirateurs.
Or, un soir, je pris sa tragédie, et l’obscurité seule, trop tôt venue, put m’arracher à sa lecture. J’étais enthousiasmé. De suite je décidais d’en faire un opéra et sans tarder, avant même de m’être préoccupé d’un librettiste, j’écrivis la scène de l’aïeule aveugle, m’attachant à peindre musicalement cette extraordinaire figure de Posthumia, que Sarah Bernhardt incarna jadis si merveilleusement, et que Mlle Lucy Arbell, sur sa demande instante, va évoquer à son tour. De suite, aussi, j’avais entrevu le titre : Roma et je l’avais arrêté – car j’ai la décision rapide et définitive.
Cependant, sur ces entrefaites, Catulle Mendès était entré dans ma vie. J’aimais son talent ardent et passionné, et je lui demandais de me donner l’histoire douloureuse d’une femme. Nous fîmes Ariane.
Les années passaient. Un beau jour, Henri Cain vint me proposer de renouer notre collaboration.
À cette époque, j’étais libre de tout engagement. »
Et ici, M. Massenet me rappelle qu’il a signé, en 1908, un traité avec son éditeur où, jusqu’en 1920, il s’est lié, pour tous les sujets à traiter et les auteurs de livrets.
Donc, M. Henri Cain lui soumit quelques idées. Mais le maître demeurait pensif. À la fin, il déclara : « Je veux faire Roma, tirez-moi un poème de la pièce de Parodi ! »
L’actif M. Henri Cain accepta et obtint immédiatement l’autorisation des héritiers.
« Est-il besoin de vous dire combien je fus heureux de pouvoir me mettre résolument à la besogne, me dit M. Massenet. Je travaillai sans discontinuer, jusqu’à ce que mon ouvrage fût terminé. Il y a trois ans, seule l’ouverture restait à faire. Je l’ai composée, il y a trois ans, à Monte-Carlo, sur ma petite table d’hôtel. Il y a donc trois ans que mon opéra est au point.
Jamais, en effet, je ne parle d’un ouvrage avant qu’il ait été gravé, et ce travail demande deux ans. Ceci pour vous prouver combien sont erronées les notes des journaux qui annoncent de temps en temps que je termine hâtivement, telle ou telle de mes partitions. »
Roma était gravé, revu, corrigé. Mais M. Massenet ne s’était pas encore préoccupé du théâtre où il le ferait représenter.
Et tout à coup, un directeur accourt chez lui avec élan, exubérance et enthousiasme.
Ce directeur, c’était M. Raoul Gunsbourg :
« Le prince, lui dit-il, souhaite faire jouer quelque chose de vous, la saison prochaine, et je sais que vous avez de quoi répondre à son désir.
— J’ai Roma, en effet, mais je ne l’ai terminé que depuis bien peu de temps et je ne veux point qu’il soit monté si tôt. Attendons encore.
— Attendons un an, ce sera pour 1912. »
Et M. Massenet donna sa parole.
Cependant, sur ces entrefaits, les directeurs de l’Opéra s’en furent à leur tour lui demander Roma. Comme le cahier des charges stipulait alors que les ouvrages déjà représentés ne pourraient être comptés au nombre des actes nouveaux que doit représenter chaque année l’Académie Nationale de Musique, ils décidèrent de monter l’œuvre de M. Massenet, en sus des créations qui leur sont imposées.
Ils furent, du reste, récompensés de leur geste, car peu après un ukase ministériel venait supprimer la clause restrictive.
Il y a quelques six semaines que Roma fut créé à Monte-Carlo et l’illustre musicien ne peut parler sans émotion de ces représentations qui furent pour lui triomphales et quasi apothéotiques autant que le festival de cet hiver à l’Opéra, où son nom fut si chaleureusement acclamé.
La distribution sera la même à Paris qu’à Monte-Carlo et M. Massenet n’a pas assez d’épithètes pour louer ses interprètes.
Mme Kousnézoff, à la voix superbe de soprano dramatique, a été et sera une émouvante et séduisante Fausta ; Mle Lucy Arbell fait de l’aveugle Posthumia une extraordinaire et inoubliable création ; M. Muratore est un étincelant et superbe Lentulus ; M. Delmas s’affirme une fois de plus le prince de la déclamation lyrique dans le rôle de Fabius ; M. Noté est un esclave gaulois d’une étonnante vérité, et M. Journé un très imposant souverain pontife.
Seul, le personnage de Junia sera chanté par une artiste nouvelle. Mme Guiraudon y fut exquise. Mme Campredon y sera délicieuse. Tous se sont surpassés.
« Ils ont mieux fait que me comprendre, s’écrie M. Massenet, ils m’ont deviné. J’ai trouvé en eux des collaborateurs plus encore que des interprètes ! »
Et le musicien me vante encore la mise en scène somptueuse et véridique. Il a apporté lui-même un soin minutieux à l’exacte reconstitution de la Rome antique, de cette Roma qu’il a chérie depuis son enfance d’une dilection toute particulière, à l’étude de laquelle il doit quelques-unes de ses plus chères émotions et qu’il se réjouit d’avoir pu évoquer avec une reconnaissance pieuse et quasi-filiale.
Robert Brunelles.
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Jules MASSENET
/Henri CAIN
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data di pubblicazione : 31/10/23