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Chronique musicale. Robert le Diable

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CHRONIQUE MUSICALE
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Robert-le-Diable, opéra eu cinq actes, paroles de MM. Scribe et Germain Delavigne, musique de M. Meyerbeer, ballets de M. Coraly, décorations de M. Cicéri.

Bien des choses sont tombées hier à l’Académie royale de Musique. Trois chutes dans une soirée ! Et l’on sait que la pièce est de trois auteurs. — Ah ! ah ! disent les malins, les orateurs de café assis autour du poêle, messieurs du livret de la Muette se trompent donc comme tant d’autres. — C’est encore un des effets des glorieuses journées réplique un vieil amateur ; Quinault soumettait ses poëmes à la petite Académie après avoir reçu les conseils de Louis-le-Grand, mais aujourd’hui chacun veut se lancer dans la carrière avec une entière liberté sans consulter l’Académie française ; on part plus vite, mais on tombe. — Enfoncé, enfoncé le romantique ! s’écrie un littérateur fécond, auteur de la statistique de son département ; il faudra que l’on revienne au véritable genre, et voici le moment d’ouvrir mon portefeuille et de faire une contre-révolution avec le Triomphe d’Alexandrela Mort de Catonles Courses d’Olympie. Voilà des sujets digues de notre premier théâtre lyrique ! Robert-le-Diable, cela court les rues, on le vend pour deux sous à qui veut l’acheter. — C’est bien dommage que cet excellent Meyerbeer ait accepté une pièce de ce genre ; n’en doutons pas, c’est la pièce qui l’a entraîné dans sa chute, car l’auteur du Crociato in Egito et de tant de belles partitions ne peut écrire que des choses dignes de notre admiration, mais on ne l’aura pas compris, la musique est quelquefois si mal exécutée ! Cette réflexion consolante est d’une dame ; les femmes ont le cœur plus tendre, et compatissent plus aisément au malheur d’un auteur désappointé. — Ma foi, je n’en suis pas fâché, dit un fashionable à voix flûtée, en se frottant les mains…

Avant de n’être pas fâché, permettez-moi de vous apprendre ce qui s’est passé à la représentation d’hier, et vous verrez ensuite si vous devez vous réjouir. Trois chutes ont eu lieu et je vous assure qu’elles ont fait une grande sensation sur le public, sensation croissante de chute en chute. D’abord, un arbre armé d’échelons et portant des quinquets est tombé du côté jardin en travers de l’avant-scène : et pouvait casser bien des têtes si le chœur eût été sur le théâtre en ce moment. Fort heureusement, Mlle Dorus l’occupait seule, et le bon génie qui la dirige pendant tout le cours du drame la retenait du côté cour où nul danger ne la menaçait. Vous allez me demander ce que c’est que cour et jardin, je suis un peu trop pressé pour vous le dire ; cependant, comme j’ai eu l’imprudence de me servir de ces mots, il faut bien que je vous en donne la signification. Avant la révolution de 1789 on désignait au théâtre la gauche et la droite du spectateur par côté du roi, côté de la reine. Quand il n’y eut plus de roi ni de reine les machinistes avaient sans cesse ces mots à la bouche pour diriger leurs manœuvres, et cela causait un scandale continuel, des disputes, des rixes terminées quelquefois par des coups de poing. Pour assurer la paix dans les coulisses et préserver les machinistes des dangers d’un vocabulaire qui plus tard les eut conduits à l’échafaud, on décida que le théâtre des Tuileries serait regardé comme le méridien dramatique de la France, et que toutes les autres salles de spectacles seraient censées avoir un jardin à leur gauche, une cour à leur droite. Poursuivons.

Au troisième acte un nuage est tombé, non pas des nues, mais de toute la hauteur des frises, et comme les nuages de l’Opéra ne sont pas faits de plumes, une des barres qui l’encadrait a failli casser les jambes de Mlle Taglioni. Vous voyez que ce nuage avait de la malice, heureusement encore Mlle Taglioni a pu juger la balle. Étendue sur un tombeau, elle était bien postée pour regarder en l’air, et s’est sauvée à temps.

Au cinquième acte, Bertram s’abîme dans une trappe, et son fils, voulant lui témoigner un reste de tendresse, a suivi par mégarde le même chemin. Nourrit a disparu, et Mlle Dorus dégringolait aussi dans le premier dessous, si elle ne s’était prudemment assise sur le parquet. Voilà nos trois chutes expliquées, elles n’ont eu aucune suite fâcheuse, l’ange gardien était là sur le rideau, déployant ses ailes, comme au temps où l’on représentait les mystères de la passion, angelus custos, il a préservé les acteurs de tous ces périls.

Quant à la pièce, elle a produit un effet prodigieux, l’enthousiasme s’est accru d’acte en acte : jamais succès ne fut plus beau, plus éclatant. Je parlerai long-temps de la musique ; une partition de cette force mérite d’être examinée dans ses plus petits détails ; la musique est l’objet principal d’un opéra sans doute, mais dans un feuilleton elle doit céder le pas au livret, il faut d’abord faire connaître le cadre qui l’a reçue, et désigner avec clarté les situations qui ont varié ses couleurs. Les poètes ne sont-ils pas nommés les premiers sur le théâtre et sur l’affiche ? Cette préséance est peut-être flatteuse, mais elle n’est pas sans inconvénient ; les musiciens arrivent après, et recueillent tous les bravos.

Au premier acte, le théâtre représente un paysage sur le bord de la mer, et la ville de Palerme dans le fond. Des chevaliers de toutes les nations viennent au tournois que donne le duc de Messine ; on y distingue Robert, duc de Normandie. Tous ces preux font assaut à coups de verre avant de rompre des lances. Un pèlerin se présente, il est Normand, on le prie d’égayer le festin par quelque ballade nouvelle ; et Raimbaud chante les aventures de Robert surnommé le Diable, et qui justifie ce titre par sa naissance et ses actions. Robert est né de Berthe, princesse normande, qui fut séduite par un démon et l’épousa. Ce fils est dominé par deux penchans qui le portent tour à tour au bien et au mal. Robert ne peut écouter les récits du pèlerin sans entrer en fureur. Il ordonne que l’insolent soit pendu. Raimbaud implore sa grâce au nom de sa jolie fiancée ; le prince l’accorde, mais il veut qu’on lui amène sur-le-champ la jeune bachelette. C’est Alice, la sœur de lait de Robert, qui vient auprès de lui chargée d’un message pieux ; elle apporte au prince une lettre que sa mère lui adressait à son heure dernière. Robert ne doit la lire que quand il en sera digne. Alice conservera ce dépôt quelques temps encore : le prince convient de son indignité. Mais Alice a toute sa confiance, il lui conte ses chagrins, ses tourmens. Il aime la princesse de Sicile et l’a perdue par sa faute : Isabelle partageait sa tendresse, du moins il le croit, il voulut la ravir à son père ; mais, attaqué par un grand nombre de chevaliers, Robert allait succomber, quand un preux ayant nom Bertram prit sa défense, terrassa les plus vaillans de ses agresseurs et le sauva. Alice conseille à Robert d’écrire à la princesse et promet de porter la lettre. Bertram paraît, Alice frémit et trouve que le sombre personnage ressemble à faire peur au Satan du tableau de son village. Alice et Raimbaud se retirent avec la permission d’aller accomplir leur pèlerinage et de se marier.

Bertram se flattait que son protégé avait si bien accueilli Alice dans l’intention de la séduire ; sa générosité le contrarie ; il craint l’influence de son penchant pour la vertu ; les chevaliers jouent aux dés après leur repas, Bertram engage Robert à se mettre de la partie ; il joue et perd tout, argent, bijoux, vaisselle équipages, chevaux et jusqu’à ses armes ; il est furieux et Bertram jouit de son désespoir.

Le second acte se passe chez la princesse de Sicile ; Isabelle donne audience à de jeunes solliciteuses : Alice présente à son tour le placet de Robert. Il est aimé, Isabelle consent à le voir, lui pardonne ses torts et ses folies, lui permet de combattre pour elle dans le tournoi ; le vainqueur doit être son époux. La princesse lui fait donner des armes ; il se dispose à voler au combat, quand un héraut l’arrête et le défie de la part du prince de Grenade, qui l’attend dans la forêt voisine. Robert le suit : le signal du tournois se fait entendre ; tous les chevaliers accourent, Robert ne paraît pas, on triomphe sans lui.

Troisième acte. Raimbaud a donné rendez-vous à sa fiancée aux rochers de Sainte-Irène, il y trouve Bertram qui lui jette une bourse d’or et s’éloigne en lui conseillant de mener joyeuse vie et d’abandonner une fille pauvre qui n’est plus digne de lui. Encore un de gagné, dit Bertram. Une affaire importante l’amène en ce lieu désert et sauvage ; le roi des anges déchus y tient sa cour ; on entend les hurlemens de leur joie infernale. Bertram est le père de Robert, et sa tendresse le porte à entraîner, à retenir son fils dans le crime, afin qu’il soit damné et qu’ils ne soient jamais séparés l’un de l’autre. Bertram entre dans la caverne où les diables sont en goguette. Alice arrive au rendez-vous, ne trouve pas Raimbaud ; elle entend des cris effroyables où se mêle le nom de Robert, s’avance vers l’antre, et voit les mystères de Satan et de ses associés. Elle recule avec terreur et vient tomber au pied d’une croix placée de l’autre côté de la scène, elle l’embrasse et s’évanouit. Bertram rentre désespéré, l’enfer a prononcé l’arrêt irrévocable, si Robert ne se donne pas à Bertram avant minuit, c’en est fait, il le perd pour jamais. Bertram a parlé, Alice a pu l’entendre, elle le connaît, mais il la menace de la frapper de mort ainsi que son amant, son père et tous les siens, si elle révèle la moindre chose de ce qu’elle sait.

Robert est au comble du malheur : Bertram l’a réduit à cette extrémité pour donner plus de force à ses moyens de séduction ; il recouvrera tout, maîtresse, puissance, fortune, s’il se décide à aller prendre un rameau de cyprès que la statue de Sainte-Rosalie tient en mains ; c’est un sacrilège, mais ce crime sera largement récompensé. Robert y consent et prend le chemin du cloître où repose Sainte-Rosalie au milieu de nonnes indignes d’une telle patronne et que la justice céleste a condamnées aux flammes de l’enfer.

Le décor change et la scène représente un cloître ; une partie s’est écroulée et laisse pénétrer sous ses arceaux rompus la clarté pâle de la lune. Les statues des nonnes sont couchées sur leurs tombeaux ; Bertram évoque ces femmes criminelles, les statues se lèvent, s’animent peu à peu et glissent de toutes parts sous les voûtes sombres, les lampes se rallument. Bertram leur rend la vie pour une heure à condition qu’elles engageront Robert à cueillir le rameau et le forceront même par leurs charmes à accomplir sa promesse imprudente. Aussitôt l’instinct des passions revient à ces corps naguère inanimés. Les nonnes vont chercher des coupes, des dés, elles boivent, jouent et dansent, et, pour agir avec plus de liberté, elles dépouillent leurs longues robes ; quelques unes font des offrandes à une idole qui représente Satan. Cette ronde du sabbat s’anime et finit par une bacchanale. Robert arrive, elles se cachent et reviennent ensuite, et, par leurs séductions, elles entraînent Robert vers le tombeau de la sainte, il y cueille le rameau fatal, et des chants de victoire se font entendre et s’élèvent du sein de la terre.

Cette scène qui est la ronde du sabbat de M. Victor Hugo et le dessin de M. Boulangé mis en action, est admirable de musique, de décor, de mise en scène et d’exécution ; elle est d’une vérité horrible et charmante. Jamais effet plus neuf et plus original n’avait été produit sur aucun théâtre.

Au quatrième acte, nous rentrons chez la princesse de Sicile, elle est dans sa chambre à coucher, recevant les cadeaux que lui envoie le prince de Grenade, son futur époux. Robert arrive tenant en main son rameau de cyprès ; ce talisman endort tout le monde, Isabelle cède à ce magique sommeil, le prince la réveille, mais il veut profiter de son tête-à-tête, le temps presse. Isabelle résiste et force Robert à renoncer à ses intelligences coupables, s’il prétend à sa main. Le prince brise son rameau, les courtisans, les gardes se réveillent, le reconnaissent et l’entraînent. Cette scène est traitée par le musicien avec une immense supériorité de talent ; ce finale est admirable.

Le cinquième acte s’ouvre par un très beau chœur de moines ; ils introduisent les pénitens dans la cathédrale de Palerme dont la scène représente le vestibule. Robert, qui a été sauvé encore une fois par Bertram, vient se jeter en immunité dans cette église. Bertram le suit, et veut profiter de son désespoir : il lui propose de signer un engagement ; Robert y consent et s’arrête ; des chants religieux, accompagnés solennellement par un grand orgue, lui rappellent les souvenirs de son enfance, et le temps où sa mère priait pour lui. Bertram, repoussé comme un ennemi, se fait connaître enfin à son fils, qui, par devoir, se résigne à partager son sort. Alice veille sur Robert, elle oppose la sollicitude maternelle à la puissance du père en lisant la lettre de Berthe, ce testament mystique en ses mains déposé : en voici les dispositions :

Mon fils, ma tendresse assidue
Veille sur toi du haut des cieux.
Fuis les conseils audacieux
Du séducteur qui m’a perdue.

Robert vivement sollicité par son père et par Alice, donnant à l’un et à l’autre une de ses mains, craint de se décider, et retarde si long-temps sa réponse que minuit sonne, et l’Enfer, en reprenant Bertram, le délivre de ses ardentes supplications. Les rideaux du vestibule se lèvent, et laissent voir l’intérieur de l’immense cathédrale éclairée par des milliers de lampes ; l’orgue accompagne les cantiques ; la princesse est au pied de l’autel, elle attend Robert son fiancé : le rideau tombe sur ce magnifique tableau.

La donnée principale de cet opéra est tirée d’un roman allemand intitulé Petit-Pierre ; les auteurs se sont appropriés aussi une situation de Faust, celle où des chants religieux font changer de résolution au principal personnage ; j’ai déjà signalé la ronde du sabbat. Ces emprunts sont permis. La grande scène de séduction était déjà dans Robin des Bois, mais quand ou introduit l’esprit des ténèbres sur la scène, il faut bien qu’il fasse son métier. Les situations se doublent quelquefois sur elles mêmes ; la musique, les décorations leur donnent alors une couleur différente, et à l’Opéra le poète doit céder le pas à ces deux puissances. Le nouveau livret est très bien disposé pour le compositeur. Si les situations ne sont pas toutes également favorables, elles offrent du moins une gradation croissante, et qui donne à la musique un crescendo de vigueur et de vivacité qui entraîne, à partir du troisième acte jusqu’à la fin.

La musique est tour à tour gracieuse, légère, forte, passionnée, bizarre, épouvantable selon les diverses positions où le drame l’a placée. M. Meyerbeer est arrivé à Paris avec une réputation toute faite, il Crociato, le seul de ses opéras que l’on ait exécuté au Théâtre-Italien, Marguerite d’Anjou que l’Odéon nous fit connaître, avait élevé au plus haut degré le talent de ce maître. Comme Rossini, il vient de se surpasser en débutant à l’Académie-Royale de musique, cela fait honneur à notre capitale. Les étrangers font de nobles efforts pour mériter nos suffrages et nous traitent avec une déférence très flatteuse. Le style de M. Meyerbeer a été jusqu’à ce jour à peu près italien ; dans le nouvel opéra, c’est une manière originale et pleine de vigueur et d’effets ; le compositeur s’est éloigné avec autant d’adresse que de bonheur des formes italiennes dont on a tant abusé. Robert-le-Diable est le chef-d’œuvre de M. Meyerbeer ; je ne puis signaler aujourd’hui tous les morceaux qui méritent d’être distingués dans cette longue et brillante série, encore moins en détailler les beautés particulières ; je me bornerai donc à citer le finale du premier acte, la cavatine d’Isabelle du second, tout le troisième acte, le duo du quatrième, la cavatine admirablement dite par Mme Damoreau. J’ai déjà parlé du finale de cet acte qui m’a paru d’abord le morceau capital de l’ouvrage ; je ne sais pas si plus tard je n’accorderai pas cette préférence au sublime trio du cinquième.

Un pas de cinq où Mmes Julia, Noblet, Montessu, Dupont ont fait des merveilles, où Perrot a dansé à ravir, et quelques danses d’ensemble ornent le second acte. Au troisième, c’est la gracieuse et séduisante Taglioni qui conduit le chœur des nonnes baladines ; l’effet qu’elle a produit est vraiment enchanteur, et l’on conçoit comment Robert se donne au diable pour lui plaire.

Tous les décors sont beaux ; celui du troisième acte est magique : le clair de lune est rendu avec une vérité inouïe ; le dernier est éblouissant. Les costumes sont de la plus grande richesse ; la mise en scène, pleine de goût et d’effets piquans, fait le plus grand honneur à M. Duponchel.

Levasseur, Nourrit, Lafond, Mmes Damoreau et Dorus, remplissaient les rôles de Bertram, Robert, Raimbaud, Isabelle, Alice. L’exécution a été excellente de la part des acteurs. L’orchestre, admirablement conduit par M. Habeneck, s’est surpassé : son rôle est des plus importans dans Robert-le-Diable, et il s’en est tiré de manière à justifier encore, s’il en était besoin, sa réputation de premier orchestre du monde. Je suis obligé de clore ma harangue un peu brusquement ; mais un succès tel que celui de Robert-le-Diable captivera long-temps l’admiration du public et me donnera souvent l’occasion de réparer mes omissions. On assure que la mise en scène de cet opéra a coûté près de deux cent mille francs : c’est de l’argent bien placé. Depuis long-temps on pensait qu’il était impossible de mettre plus de pompe et de luxe à l’Opéra ; M. Véron a prouvé le contraire. 

X.X.X.

Persone correlate

Compositore, Librettista, Giornalista

CASTIL-BLAZE

(1784 - 1857)

Compositore

Giacomo MEYERBEER

(1791 - 1864)

Opere correlate

Robert le Diable

Giacomo MEYERBEER

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Eugène SCRIBE Casimir DELAVIGNE

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data di pubblicazione : 03/11/23