Prix de Rome
CONCOURS MUSICAL DE L’INSTITUT. AUDITION DES CANTATES ET JUGEMENT.
Malgré l’indifférence qui semble se glisser peu à peu dans le monde musical relativement à l’élément français, ce concours excite toujours un intérêt considérable. Le public suit encore notre jeunesse dans ses travaux et la presse ne manque pas une occasion de s’y montrer attentive. Cette année, les concurrents étaient au chiffre maximum : six. Il n’en est pas toujours ainsi. On sait que les cantates sont exécutées deux fois : la première au Conservatoire, le vendredi ; la seconde à l’Institut, le lendemain. Vendredi donc a eu lieu la première audition devant les membres de la section de musique de l’Académie des Beaux-Arts, soit MM. Ambroise Thomas, Gounod, Reyer, Massenet, Saint-Saëns, L. Delibes, et les trois jurés adjoints : MM. Th. Dubois, Benjamin Godard et E. Guiraud. C’est le sort qui désigne la place de chaque concurrent. On a tiré les numéros et voici quel a été l’ordre de la séance : 1. M. Gédalge, élève de M. E. Guiraud ; interprètes, Mme Conneau, MM. Seran et Bouvet. 2. M. Leroux, 2e grand prix de 1884, élève de M. Massenet ; chanté par Mlle Isaac, MM. Muratet et Bouhy. 3. M. Le Rey, élève de M. Delibes ; chanté par Mlle Tanesy, MM. Lubert et Desmet. 4. M. Savard, élève de M. Massenet ; chanté par Mlle Caroline Salla, MM. Massart et Auguez. 5. M. Missa, mention honorable en 1881, élève de M. Massenet ; chanté par Mlle Terestri, MM. Gandubert et Fournets. 6. M. Kaiser, élève de M. Massenet ; chanté par Mlle Blanche Monthy, MM. Mouliérat et Belhomme. On n’a rien su de l’effet produit à la première audition, car par un tact dont il faut les complimenter, les jurés du vendredi, tous musiciens renommés, laissent rigoureusement aux sections de l’Institut réunies le soin de juger et de proclamer des résultats sur lesquels, cependant, ils influent victorieusement par droit scientifique. La séance de samedi a été l’une des plus intéressantes auxquelles nous ayons assisté. Le public était nombreux et choisi ; mais MM. les Académiciens avaient un peu déserté le concours : vingt-huit d’entre eux seulement formaient le grand jury. La section musicale, en revanche, était au complet. M Bouguereau présidait, assisté de M. le vicomte Delaborde, secrétaire perpétuel. La cantate de M. Gédalge, la première entendue, ne contient rien qui frappe vivement l’oreille ; c’est gracieux, bien fait, mais sans assez de caractère. Celle de M. Leroux, deuxième prix en 1884, a produit beaucoup plus d’effet. Sans être d’une originalité soutenue, elle brille souvent par des éclairs qui dénotent un véritable tempérament musical. Le style est intéressant ; il y a beaucoup de chaleur dans cette composition, dont le défaut serait d’être trop touffue. L’air de Diane, le sommeil d’Endymion et le grand trio entre Pan, Diane et Endymion sont des pages remarquables. Sujet bien compris enfin et exécution de premier ordre par Melle Isaac, MM. Bouhy et Muratet. La composition de M. Le Rey, qui est venue ensuite, a paru bien pâle ; nous y avons remarqué quelques passages d’une assez bonne expression, mais la note personnelle fait défaut. Beaucoup plus de qualités dans la cantate de M. Savard, fils du regretté professeur d’harmonie, et dont le succès a été très flatteur pour le jeune concurrent. Le style est clair, vif ; l’expression juste ; parfois une heureuse trouvaille a frappé l’auditoire, mais le développement est écourté. Voilà probablement un premier prix en perspective. Interprétation excellente aussi par Mlle Salla, MM. Auguez et Massart. M. Missa n’a pas été heureux, malgré de louables efforts et des preuves évidentes de talent ; sa cantate manque d’unité et les proportions n’en sont pas suffisamment raisonnées. Nous avons remarqué une jolie introduction. M. Kaiser a fait mieux que le précédent ; il a écrit une partition qui contient de jolis motifs, mais nous ne trouvons pas qu’il ait bien compris le sujet : le sentiment est rarement juste. On lui a reproché de la froideur et ce n’est pas sans raison. Peut-être M. Kaiser a-t-il eu tort de ne pas étudier davantage son sujet avant de se livrer à la fantaisie de l’inspiration ? La délibération a duré environ une heure ; puis le président a proclamé le jugement que voici : Le premier Grand Prix a été décerné à M. Xavier-Henry-Napoléon Leroux âgé de vingt-deux ans et demi, élève de M. J. Massenet, par 27 voix sur 28 votants. Second Grand Prix : M. Emmanuel-Augustin Savard, âgé de vingt-quatre ans, également élève de M. Massent (21 voix). Mention honorable, M. André Gédalge, âgé de vingt-huit ans et demi, élève de M. Ernest Guiraud (21 voix). Ces résultats n’ont pas surpris l’auditoire ; ils ont été accueillis par des applaudissements chaleureux. La presque unanimité dont a été honoré M. Leroux était prévue ; sa supériorité sur les autres concurrents n’était pas contestée. M. Leroux est, du reste, fils de musicien : son père est chef de musique à l’École d’artillerie de Vincennes ; tout jeune, le brillant lauréat montra une vocation réelle qu’il fut facile de cultiver dans le milieu artistique où il était élevé. La séance de samedi fait le plus grand honneur à la classe de M. Massenet. Nous en félicitons vivement le jeune maître qui nous semble tenir la tête pour longtemps. Ce qui nous a fait plaisir, dans les concours de cette année, c’est que le caractère général de la musique entendue dénote des idées justes ; on n’a pas remarqué cette ambition excessive qui avait frappé dans quelques précédents concours. Nos jeunes aspirants compositeurs sont restés Français, tout en prouvant qu’ils suivent studieusement les développements de la forme musicale.
A. HELER.
Persone correlate
Permalink
data di pubblicazione : 12/07/23