Critique musicale. Lancelot
CRITIQUE MUSICALE.
OPÉRA. – Lancelot, drame lyrique en quatre actes et six tableaux, paroles de MM. Louis Gallet et Édouard Blau, musique de M. Victorin Joncières.
Il faut avouer que les théâtres en ce moment n’ont point de pitié de nous autres, pauvres critiques de musique, et qu’ils nous traitent sans merci. Nous ne savons plus auquel entendre et où donner de l’oreille. Tous partent en même temps, tous s’ébranlent à la fois : […].
Comment voulez-vous que nous nous y reconnaissons au milieu d’un tel tohu-bohu, alors qu’on nous fait passer sans transition du Couronnement de la Muse aux chevaliers de la Table-Ronde et de la guerre des Cévennes aux exploits légendaires du feu roi Cambrinus ? Pour ma part, tout se mêle, tout se brouille dans mon esprit ahuri, si bien que je crois voir le tendre chevalier Lancelot conter doucement fleurette à la gentille Louise sur le versant de la butte Montmartre, que je rencontre les Dragons de Villars au bord du Lac des Fées, s’entretenant familièrement avec Martin et Martine, et que j’en viens à confondre la belle Elaine du susdit Lancelot, avec la Belle Hélène des Variétés, aussi bien que les compagnons du bouillant Achille avec les pneus du noble roi Arthus.
[…]. Parlons donc de Lancelot.
Nous voici donc encore dans le cycle des romans de la Table-Ronde, dont on a tant abusé depuis que Wagner s’en est emparé avec Lohengrin, Tristan et Parsifal, et q’il serait peut-être temps de laisser reposer un peu. Ces hommes à casque et à cuirasse ne sont certes pas sans intérêt, mais on nous a déjà tellement raconté leurs exploits qu’il me P. ? : semble qu’on pourrait sans inconvénient, passer à un autre genre d’exercices. Parmi ces romans, que Micheline, Hersart de La Villemarqué et Geruzez nous ont fait connaître d’une façon plus ou moins intime, le Chevalier au Cygne, Tristan du Léonais, Perceval le Gallois, ont été ainsi mis à la scène. Voici que maintenant on nous présente le galant chevalier Lancelot du Lac, appelé par le poète Chrétien de Troyes, le Chevalier à la Charrette, parce que, ayant perdu son cheval, il s’installa dans la charrette d’un paysan pour aller à la recherche de la reine Genièvre, femme du roi Arthur de Bretagne, qu’un chevalier félon, Mélégéans, avait enlevée à son époux.
C’est ici que les auteurs du livret de Lancelot ont pris des privautés avec les traditions des poètes de la Table ronde. En effet, ils nous présentent celui-ci comme non point même le soupirant, mais l’amant avéré de la reine Genièvre (qu’ils appellent Guinèvre), par conséquent traître et déloyal envers son prince tandis qu’au contraire il prouva son dévouement et sa fidélité à ce dernier en se mettant à la poursuite du ravisseur et de la victime. Quand je dis victime, je me sers d’un euphémisme, car la légende veut que ladite reine Genièvre ait été une gourgandine assez accomplie, qui en fit voir à son mari de toutes formes et de toutes couleurs. Quoi qu’il en soit, voici comment les librettistes ont accommodé l’histoire de Lancelot.
[Argument de la pièce]
Telle est cette pièce assez singulière, qui se dévoile, en réalité, entre quatre personnages, sans grand intérêt, sans vraies situations, sans cri de passion, sans élans lyriques, sans un de ces coups de théâtre, de ces surprises qui font naître l’émotion du spectateur et qui peuvent exciter l’inspiration du musicien. Les caractères sont mollement tracées, sans qu’on puisse prendre un réel intérêt à tel ou tel des héros du drame, et les événements eux-mêmes se succèdent sans imprévu, sans enchaînement logique, sans rien qui saisisse, provoque ou retienne l’attention. Tout cela manque de mouvement, d’action, de véritable chaleur.
La musique devait naturellement se ressentir de ce manque de vie intense si nécessaire à la scène lyrique. Cela est d’autant plus à regretter que M. Joncières montre, dans cette œuvre nouvelle, le souci de se maintenir dans la bonne voie et semble vouloir réagir contre les tendances excessives et funestes en honneur depuis trop longtemps chez quelques-uns de nos compositeurs et qui les font s’écarter trop délibérément des nobles et saines traditions de la grande école française. Dans son exemple, la partition de Lancelot manque de couleur et de mouvement, en même temps que de nerf et de vigueur. On sent que le musicien n’a pas été port par son sujet et qu’il n’a pas eu pleine confiance en sa solidité.
Citerai-je quelques passages de cette partition estimable, mais un peu plus languissante qu’on ne le souhaiterait ? Ce sera d’abord, au premier acte, le chœur sans accompagnement des chevaliers : Lancelot, brave entre les braves, qui est d’une belle allure et d’un accent plein de franchise, puis la marche sonore et brillante qui accompagne le cortège royal et l’arrivée des souverains au milieu des chevaliers. Ensuite, au second tableau, la grande scène de Guinèvre et de Lancelot, qui renferme d’heureux épisodes mais qui manque d’accent passionné, et dans laquelle on rencontre plus de langueur amoureuse que de vrais cris d’amour, pénétrants et chaleureux. Puis encore, au second acte, le duo de Lancelot et d’Elaine, agréable comme dessin et comme couleur, et où le compositeur a consenti enfin à nous faire entendre l’accord de deux voix simultanées, moyen que je l’aurais félicité d’employer plus souvent.
En tête de l’interprétation il faut citer M. Vaguet, chargé du rôle de Lancelot, dans lequel il apporté ses qualités ordinaires de chaleur de style et de correction comme chanteur, de conscience et d’habileté comme comédien. Il n’y a que des éloges à lui adresser. Je n’en dirai pas tout à fait autant de Mlle Delna, à qui convient médiocrement celui de Guinèvre, où elle manque absolument de distinction et d’autorité ; la voix est toujours belle, mais la voix ne suffit pas toujours, et Mlle Delna nous l’a un peu trop prouvé. M. Renaud, au contraire, joue avec beaucoup de dignité et d’autorité le rôle du roi Arthus, qu’il chanterait encore mieux s’il voulait perdre la déplorable habitude de s’étaler à perte d’oreille sur certaines notes de sa voix, dont nous savons apprécier la beauté sans qu’il soit besoin pour lui de recourir à ce fâcheux expédient. Mme Bosman représente d’une façon touchante, avec son talent habituel, le personnage de la tendre Elaine, et l’ensemble est bien complété par M. Fournets (Alain), par M. Bartet (Markhoel), et aussi par M. Laffitte, qui nous donne une couleur aimable et légère au rôle du joli ménestrel Kadio.
Arthur Pougin
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Lancelot
Victorin JONCIÈRES
/Édouard BLAU Louis GALLET
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data di pubblicazione : 31/10/23