Lancelot de Joncières
Le titre joue un rôle énorme dans le nouvel opéra.
M. Victorin Joncières eut beau protester, crier, gémir, se plaindre. Le pli était pris, et l’on continua d’écrire : Lancelot du Lac.
– Je vous en prie, me disait M. Joncières, laissez le lac à la mise en scène, remisez le lac aux accessoires. Mon opéra s’intitulera Lancelot, sans lac, sans aucun lac.
Ah ! bien, oui… les supplications de l’auteur étaient vaines, et l’on continuait toujours à appeler sa pièce : Lancelot du Lac. Il fallut les affiches officielles pour convaincre le public que s’il y avait un Lancelot, hier soir, à l’Opéra, il n’y avait plus de Lancelot du Lac.
Pourtant on nous a montré un lac superbe, – au troisième acte, – éclairé par une lune électrique comme il y en avait encore au douzième siècle et comme il n’y en a plus, hélas ! aujourd’hui. Même de ce lac sortent des danseuses portant sur la tête des lampes à incandescence ; et l’on conviendra que, pour un lac et des farfadets du douzième siècle, la lampe à incandescence est vraiment une innovation.
– Déjà ! disait Mlle Delna dans la coulisse. M. Joncières, qui est spirite, pourrait seul nous expliquer si les Bretonnes disparues depuis huit cents ans avaient prévu la lumière électrique pour leurs nocturnes folichonneries sur le lac de Lancelot, et si les aimables baigneuses de la Grenouillère armoricaine connaissaient les secrets de l’accumulateur.
Mais M. Joncières ne nous le dira pas, parce qu’il est spirite, il est un spirite ultra-moderne, un spirite de quintessence tout à fait parisienne. Dans le mot : spiritisme, il y a le mot : esprit, et c’est évidemment pour cela que M. Joncières s’est adonné aux pratiques d’Allan Kardec. Personne n’étant plus spirituel que lui, personne ne devait être plus spirite.
Grâce à son pouvoir sur les esprits, il a pu évoquer, hier soir, l’ombre du regretté Bertrand.
Lancelot avait été reçu, par Bertrand, il y a six ans.
Et Bertrand, du haut du ciel de théâtre qui est sa demeure dernière, a dû être content. La mise en scène de Lancelot est un gros succès, et l’ancien associé de M. Gailhard, qui s’occupait surtout de la mise en scène se fût félicité lui-même des décors de MM. Aimable, Jusseaume et Carpezat.
Il eût été ravi de la leçon d’escrime où Mlle Robin reçoit de si formidables coups d’épée, avant de disparaître sous les flots – ce qui faisait dire, hier soir, à un homme politique facétieux : « Voici le Robin des eaux après le Robin des bois ! »
Le seule chose qui eût manqué à son plaisir, eût été l’absence du compositeur. M. Victorin Joncières, malade depuis la répétition générale, avait dû rester chez lui, où ses amis lui portaient à chaque entr’acte les impressions du public.
Maintenant, ne trouvez-vous pas que voilà assez de musique ?
La première représentation d’hier soir fut la quatrième représentation musicale depuis cinq jours. Si cet état de choses devait continuer, je finirais sans doute par comprendre quelque chose à la musique, et par devenir musicien.
Th. Abonde
Les lecteurs de la Liberté sont restés, j’en suis sûr, trop amis de M. Victorin Joncières pour ne pas se réjouir grandement avec moi du succès obtenu hier par son plus récent ouvrage. Tandis que la masse du public ne connaît en lui que le maître musicien de Dimitri, du Chevalier Jean, de La Mer, eux en effet, ont appris à admirer et à aimer le critique éminent, de si haute autorité et d’esprit si ouvert, si indulgent, si accueillant aux jeunes, que je n’ai certes pas la prétention de remplacer ici.
M. Joncières eut ce double et rare mérite, en notre époque d’inquiétudes artistiques, d’être des premiers à comprendre et à prôner Wagner, sans se laisser troubler par son œuvre. Il sut garder sa personnalité intacte, et, pour grand qu’il estimait le maître de Bayreuth, il ne se crut pas obligé de l’imiter : il survit droite sa voie, où il menait son tempérament bien français, fait de clarté, de force et de charme.
C’est à peine si vous trouverez dans Lancelot par-ci par-là quelque harmonie, discret hommage à Lohengrin ou à Tristan, plutôt que réminiscence. L’ensemble de l’œuvre est franchement de l’école des Gounod et des Thomas, et, si mes préférences personnelles m’entraînent plutôt vers d’autres idées, je ne pris cependant qu’estimer cette franchise, et rendre hommage à la noblesse d’expression, à la fermeté de pensée, à la sûreté de facture, que M. Victorin Joncières, dans la pleine maturité de son talent, déploie à chaque page de sa nouvelle partition.
Il est fâcheux qu’il n’ait point trouvé cette fois un poème digne de lui. Ses librettistes n’ont pas rendu intéressant le sujet tiré de nos antiques romans nationaux. Aux personnages qu’ils leur ont empruntés, ils ont donné la psychologie incohérente et simpliste des traditionnels héros d’opéra.
[Argument de la pièce] […]. Tout ce premier tableau est d’un éclat et d’une vigueur tout à fait remarquable.
Un long et très séduisant duo l’amour remplit presque tout le second tableau. […].
Le troisième tableau n’est qu’une sorte d’intermède chorégraphique. Et j’avoue que, s’il faut subir la nécessité du ballet, c’est encore ainsi que je le préfère et non point mêlé à l’action. […]. Pourquoi, hélas ! ce ballet est-il réglé avec cet art antédiluvien, dont l’Opéra est le dernier et inexpugnable refuge ?
Et voici, en contraste le couvent. […].
Un large prélude, en sourdine, précède un court épilogue, de l’impression la plus saisissante. […].
Ce bel ouvrage est interprété, à l’Opéra, par cette tête de troupe, brillante façade derrière laquelle il n’y a rien. M. Vaguet, en constant progrès comme voix, comme chant et comme diction, a remporté un grand et juste succès personnel dans le rôle de Lancelot. Mlle Delna a toujours une bien belle voix, toujours une émission et une prononciation bien déplorables, et de plus elle gagne une majesté qui donne quelque chose d’incestueux à ses amours avec ce héros juvénile ; M. Renaud est un superbe Arthus ; Mme Bosman une délicieuse Elaine ; M. Fournets chante avec beaucoup de tendresse son arioso du second acte ; et M. Bartet a remarquablement composé son bout de rôle.
Enfin, au milieu d’une mise en scène sans caractère, l’Opéra a fait pour M. Joncières ce que depuis longtemps il ne faisait plus que pour Wagner : les frais d’un décor neuf, et qui est fort beau.
Gaston Carraud
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/Édouard BLAU Louis GALLET
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data di pubblicazione : 22/09/23