Roma de Massenet
À L’OPÉRA DE MONTE-CARLO
« ROMA » DE MASSENET
(DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL)
Monte-Carlo, 18 février. – La récente reprise du Cid à l’Opéra de Paris y aura préparé la création de Roma, le nouvel ouvrage de Massenet, dont la primeur fut donnée hier aux hôtes de Monte-Carlo.
Le héros martial, qui a si souvent cédé le pas au héros élégiaque dans le théâtre du plus sensible des musiciens français contemporains, domine de nouveau ici, et dans Roma nous retrouvons l’âpre lutte entre l’amour et le devoir, le rude conflit entre la passion arrêtée dans son cours et l’implacable conscience des sentiments supérieurs qui font obstacle à cette passion.
Roma, c’est la Rome vaincue, d’Alexandre Parodi, agencée pour la scène lyrique par M. Henri Cain, qui possède l’heureux don de pouvoir toucher aux chefs-d’œuvre sans les mutiler et sait transformer une tragédie en opéra tragique, – comme c’est présentement le cas – sans que soit diminuée l’ampleur du sujet.
Et vous connaissez Rome vaincue : l’histoire de la vestale Fausta, qui ayant profané sa sainte condition en se donnant au tribun légionnaire Lentulus a déchaîné sur sa patrie la colère des dieux et doit ensuite sacrifier sa vie-pour réparer son crime sympathique, pour permettre à Rome de repousser Annibal, instrument de la vengeance céleste.
Ici encore, c’est la femme qui fortifie le courage que l’amour compromet si facilement chez l’homme, c’est Fausta qui donne à Lentulus la leçon d’héroïsme et accepte la mort avec sérénité.
Massenet, qui puisa ses plus belles expressions lyriques au cœur des grandes amoureuses, devait inévitablement se laisser séduire par ce rare caractère d’héroïne, par cette noblesse de volonté imposant l’expiation à l’amour. Avec l’art minutieux qui lui est familier et qui apparaît si séduisant dams son orchestration, il nous a révélé tous les jolis sentiments de l’amante de Lentulus, – tendresses défaillantes, élans vers la vie, repentir ardent, réaction suprême de l’énergie native, résignation faite de dignité... Quelle intelligente compréhension du rôle fut celle de Mme Kousnezoff !
M. Massenet a d’ailleurs le souci de mettre bien en valeur chaque rôle de la pièce. C’est ainsi, que deux personnages épisodiques ont pris à la représentation une importance capitale ; ce sont l’esclave gaulois et la vestale Junia. L’esclave gaulois représente le danger dont Rome est menacée ; il est haineux, mais une certaine fierté naturelle le rend sympathique, et M. Noté qui, vocalement tire de ce rôle un parti merveilleux, l’a également joué avec une mesure dont on ne saurait trop le louer.
La vestale Junia n’a qu’un air à chanter, mais quel enchantement que cet air ! Du plus pur Massenet, une mélodie qui répand ce charme prenant dont le musicien de Werther a le secret. Mme Guiraudon, avec sa voix limpide et son style impeccable, en a fait un joyau. Dans un même esprit d’agrément, M. Massemet prête au fougueux Lentulus d’inoubliables accents de joie intime, alors que ce tribun va revoir Fausta, et c’est pour M. Muratore l’occasion de chanter en demi-teinte avec une extrême virtuosité. M. Muratore, dès son entrée en scène au premier acte, – Lentulus revient, blessé, de la guerre, – avait fait impression : il joue avec ses nerfs, avec son cœur, on sent en lui le ressort de la puissance dramatique : c’est, en vérité, un artiste dont l’Opéra doit s’enorgueillir.
Un autre interprète appartient également à notre Académie Nationale de Musique : M. J.-F. Delmas. Cet admirable tragédien lyrique a personnifié avec une grandeur d’allure et une vérité d’émotion peu communes le sénateur Fabius, oncle de Fausta. Apprenant le crime qui met Rome en péril, il sait trouver, dans la vaillance de son honneur, la résolution nécessaire au triomphe de sa patrie, et c’est lui qui dicte l’arrêt condamnant celle qu’il chérie comme une fille. Une autre belle et altière figure, c’est celle de l’aïeule de Fausta, l’aveugle Posthumia qui, à la nouvelle de l’inévitable sacrifice, puise, elle aussi, dans son âme romaine, la force d’assister son enfant jusqu’à la poignarder pour lui épargner la longue agonie que des lois barbares imposaient aux vestales coupables. Mlle Lucy Arbell, dans ce rôle, fut extrêmement pathétique ; le public d’élite de cette première représentation lui fit un succès personnel, très vif, flatteur et mérité.
L’âme romaine, héroïque et brutale, M. Massenet l’a comprise et il en a noté une des plus vibrantes expressions dans les chœurs auxquels il a donné une place importante. Sa partition prendra place parmi les œuvres contemporaines à la fois les plus fortes et les plus subtiles : de l’ouverture – tout à fait remarquable – à l’hymne final, tout y progresse en beauté : pages de haute tenue classique au deuxième acte, prélude du Bois sacré, entr’acte vocal du dernier tableau, etc.
M. Raoul Gunsbourg a pour M. Massenet un véritable culte : c’est avec un zèle affectueux qu’il a mis en scène Roma. Avec cette richesse d’imagination – qui a fait de lui un poète, un musicien, autant qu’un directeur infiniment habile – M. Gunsbourg a situé la passionnante action de cet ouvrage dans son atmosphère propre.
L’orchestre de l’Opéra de Monte-Carlo, conduit par M. Jehin, rivalise avec les premiers orchestres de l’Europe... Mmes Eliane Peltier, Doussot, M. Clauzure, complétaient l’ensemble très homogène de l’interprétation.
Cette « première » monégasque fut donc une intéressante fête d’art qui aura, on le sait, son lendemain à Paris. Réjouissons-nous.
Édouard Beaudu.
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Jules MASSENET
/Henri CAIN
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data di pubblicazione : 18/09/23