Ariane de Massenet

Théâtre de l’Opéra. — Première représentation d’Ariane, opéra en cinq actes, poème de M. Catulle Mendès, musique de M. Massenet.

La poésie et les beaux-arts ont fort exploité la légende mythologique d’Ariane, sœur de Phèdre :

La fille de Minos et de Pasiphaé

qui s’éprit d’amour pour Thésée, et qui, après avoir été abandonnée par le vainqueur du Minotaure, se jette dans la mer pour y engloutir sa douleur.

De nombreux compositeurs s’en sont également inspirés. C’est ainsi qu’aux siècles derniers, depuis Monteverde, qui fit représenter en 1607 à la Cour de Mantoue, Ariane à Naxos, on peut encore citer, parmi les auteurs les plus connus, Cambert, qui, en 1687, célébra les malheurs de la sœur de Phèdre sur un livret de l’abbé Perrin, puis Haëndel, Winter et Benvenuti.

Pour constituer les éléments d’un opéra en cinq actes, M. Catulle Mendès a dû agrandir le sujet. C’est ainsi qu’il nous fait assister aux angoisses du peuple grec devant le labyrinthe, pendant que Thésée combat le Minotaure, et que Pirithoüs, son compagnon fidèle, exhorte la foule à fuir les séductions des sirènes, dont les voix se mêlent au bruit caressant de la mer.

Puis, un autre tableau important a encore été ajouté à l’action principale ; c’est celui des Enfers, où règne Perséphone. Ariane y vient supplier la déesse de lui rendre sa sœur Phèdre, qui y expie son attentat contre la statue d’Éros. Perséphone clémente y consent, mais le bonheur d’Ariane sera de courte durée, car la fatalité de l’amour l’emportera et Thésée et Phèdre ne tarderont pas à s’enfuir vers Athènes.

Il ne faudrait pas croire qu’en abordant un sujet aussi classique, M. Massenet ait consenti la moindre concession au genre poncif, qui fut si longtemps l’auxiliaire accoutumé des sujets mythologiques.

La partition d’Ariane est, au contraire, conçue et réalisée, dans son ensemble comme dans ses détails, avec le sentiment profondément dramatique et l’exquise musicalité qui sont les qualités les plus brillantes de l’auteur. Les personnages n’ont, d’ailleurs, sous la plume de M. Catulle Mendès, rien de commun avec les fantoches endormis depuis longtemps sous les vers des pâles imitateurs de Racine, les Campistron, Lamotte et Lagrange-Chancel.

M. Massenet a même, dans Ariane, donné à l’élément symphonique une importance qui contribué fortement à son intérêt et ajoute à la grandeur de l’œuvre.

Si, parfois, il a prodigué l’art profond et raffiné de son esthétique musicale à des poèmes d’un lyrisme plus restreint et d’un accès plus facile, il a concentré sur celui-ci des inspirations d’une grandeur et d’une sobriété qui éveillent parfois le souvenir des Alceste et des Iphigénie.

Ajouterai-je que les auteurs ont évoqué un paganisme très doux, et que le Tartare, lui-même, où l’on voit les Furies vaincues par les Grâces, est presque attrayant ? J’ai plaisir à citer la prière d’Ariane, d’un charme extrême ; l’hymne chanté par Eunoé s’accompagnant de la lyre, avec les réponses douloureuses d’Ariane ; la mélopée de Perséphone, la scène tragique de Phèdre et les chœurs des sirènes. Les interprètes d’Ariane ont rivalisé de talent et de sens musical. Mlle Bréval a composé une Ariane superbe d’émotion et de tendresse. Mlle Grandjean a trouvé des accents de grandeur tragique dans le rôle de Phèdre, et Mlle Lucy Arbell est une très poétique Perséphone.

M. Muratore a fort bien rendu les différents aspects du rôle de Thésée et M. Delmas développe dans celui de Pirithoüs les ressources de sa belle voix et de sa remarquable diction. Je dois encore mentionner Mmes Demougeot, Mendès, Laute et MM. Triadou et Stamler, qui ont su mettre en relief divers rôles épisodiques.

Sous la direction éminemment artistique de M. Paul Vidal, l’orchestre a droit aux plus vifs éloges pour la précise souplesse de son exécution.

G. de Boisjoslin.