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Les pensionnaires de Rome. Suite et fin

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LES PENSIONNAIRES DE ROME. 
(Suite et fin.)

Si ce ne sont pas les anciens modèles que les Grands-Prix de musique viennent chercher à Rome, c’est encore bien moins l’étude de l’école moderne qui les y appelle ; l’anecdote suivante donnera une idée du discrédit dans lequel est tombée cette école auprès des artistes étrangers. Un des lauréats qui se trouvait en Italie sous la dernière administration de M. Horace Vernet, y fit connaissance avec un jeune allemand, dont le rapprochait une entière conformité de goûts et de principes ; ce dernier poussait si loin le dédain et l’antipathie pour tout ce qui porte le nom de musique italienne, que son ami, lequel du reste n’est guère moins exagéré dans le même sens, résolut de lui donner une leçon et de s’amuser un peu à ses dépens ; en conséquence, muni d’une troupe de camarades qui devaient jouer dans cette comédie le rôle de témoins, il arrive un beau jour chez notre compositeur germanique, et lui remet un morceau italien en le priant d’en prendre connaissance ; l’autre refusa d’abord, puis enfin cédant à des instances réitérées, il se met en devoir d’exécuter le malencontreux morceau ; mais quelle exécution don Dieu ! c’était une traduction de la pensée du maître, à peu près comme les charges de Dantan sont une image de l’original ; la séance terminée, le Français (le mystificateur était Berlioz, le mystifié Mendelsohn Bartholdy) avoue à son ami qu’il vient de chanter un air de l’Orféo, de Gluck ; le tour était sanglant, mais de bonne guerre, et il n’y avait pas moyen de s’en fâcher. 

En voici la contre-partie. 

À la suite d’un repas de corps, dans lequel on avait bu et festoyé plus que de raison, les convives à qui il en restait tout juste assez pour se conduire, se disposaient à rentrer à l’Académie, quand une idée traversa le cerveau d’un de ces jeunes fous, mais une idée fantasque, pantagruélique, et comme il n’en peut naître qu’après de copieuses libations ; on décida de chanter en chœur, c’est-à-dire, de chanter tous à la fois, et chacun une mélodie différente. On peut juger quel épouvantable charivari dut résulter d’un pareil amalgame ; les chiens s’enfuyaient sur leur passage en poussant des hurlements sinistres. Le jour où se passait cette farce ridicule, il faisait un temps magnifique et les bons habitants de la ville sainte humaient délicieusement à leurs portes, ou sur leurs terrasses, la fraîcheur de la soirée ; chacun se demandait avec effroi ce que signifiait un pareil concert, lorsqu’un certain barbier, l’oracle des commères du quartier, haussant les épaules et jetant sur la bande joyeuse un regard dédaigneux, laissa tomber ces deux mots de sa bouche : musica francesc ! le pauvre homme avait pris cette musique au sérieux. 

Indifférents au premier abord, ces deux traits prennent une grande signification, si l’on considère qu’ils sont la fidèle expression des sentimens de deux peuples : Italiens et Français se rendent cordialement aversion pour aversion, mépris pour mépris. Qu’attendre après cela du séjour dans la Péninsule ? ne pourrait-on pas donner aux fonds de l’État une destination bien plus utile, en faisant voyager les élèves en Autriche, en Prusse et dans les provinces rhénanes où il se fait encore beaucoup de musique et de bonne musique ? 

Cependant, son pèlerinage ultramontain accompli, quel sort est réservé au lauréat rentré dans la capitale ? quels soins a-t-on pris d’utiliser ses talens et d’assurer son avenir ? aux termes du règlement, il a le droit de faire représenter sur le théâtre de l’Opéra-Comique un ouvrage en un acte ; dérision, promesse illusoire ! car le plus souvent, le directeur de notre seconde scène lyrique se montre si bien disposé en faveur des nouveaux arrivans, qu’il faudrait à ceux-ci recourir aux tribunaux pour obtenir justice, c’est-à-dire, se fermer à tout jamais l’accès du théâtre. Telle est l’alternative cruelle où sont placés, presque sans exception, les pensionnaires de Rome de retour à Paris : composer des romances, ou courir le cachet, voilà d’ordinaire leur unique ressource, voilà la plus commune issue à tous leurs beaux rêves de gloire et de fortune. C’est bien la peine de faire tant de chemin pour en venir là !

Edmond Viel.

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Giornalista

Edmond VIEL

(1812 - 1876)

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data di pubblicazione : 16/10/23