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Phryné de Saint-Saëns

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CHRONIQUE MUSICALE

OPÉRA-COMIQUE : Phryné[1], opéra-comique en deux actes de M. L. Augé de Lassus, musique de M. Camille Saint-Saëns. […]

M. Camille Saint-Saëns a passé depuis pas mal d’années déjà l’âge réputé heureux où l’on se demande en se battant les flancs et en bâillant d’ennui : « À quoi allons nous jouer ? » Il faut croire, néanmoins qu’il a conservé de cet âge un bien délicieux souvenir, car il éprouve encore de temps à autre le besoin impérieux de jouer à quelque chose ou avec quelque chose, et faute de sabot, de billes, de cerceau, de ballon, de volant, de toupie, de grâces ou de corde à sauter que lui interdisent et sa physionomie grave, à la Carnot, et sa haute situation musicale, c’est avec son orchestre qu’il joue parfois, et il semble en éprouver une intense satisfaction. Qu’on se rappelle son pastiche italien : Gabriella di Vergy ; puis sans chercher d’autres exemples, au cœur même d’une œuvre sérieuse, ainsi qu’une frise comique ciselée autour d’un pilier de cathédrale, le fameux motif de Pagolo, dans Ascanio, dont le renversement avait si copieusement diverti le compositeur, qu’il ne se tint pas d’en faire part à tout venant. 

Ce sont là petites faiblesses de grands musiciens, pour lesquelles le public est tenu de se montrer indulgent. C’est du reste ce à quoi il n’a pas manqué en accueillant l’œuvre nouvelle de l’auteur de Samson et Dalila, cette Phryné qui, paraît-il, lui a procuré un considérable amusement. 

Pourquoi faut-il que le nôtre n’ait pas été égal en entendant cette partition dont la forme extrêmement soignée fait ressortir si fort le fond insignifiant ? 

Certes, le poème est bien pauvre, en son invention dépourvue d’intérêt ; mais tout aussi pauvre nous a semblé la musique, et ces indigences sont encore accentuées par la façon sommaire et négligente dont l’ouvrage a été monté. 

Phryné, dont chacun connaît l’aventure, et qui désarma par sa beauté tout le tribunal athénien, vient à passer sur une place où le peuple est en train d’ériger et de couronner le buste de l’archonte Dicéphile. Comme de juste, Dicéphile savoure délicieusement son triomphe. 

Or, dès que la courtisane a paru, tout est oublié subitement. L’archonte est planté là avec sa gloire éphémère, et tous les citoyens se précipitent entraînés par la belle hétaïre, et charmés rien qu’à suivre sa trace.

Dicéphile se vengera. Il se vengera d’autant plus qu’à la nuit tombante, son buste est coiffé d’une outre et maculé de lie, et qu’il soupçonne un de ses neveux, fort épris de Phryné, d’avoir fait le coup, de concert avec elle. 

Le sévère magistrat se rend chez la courtisane, et l’on devine aisément ce qu’il peut advenir de son austère vertu. La sirène le réduit à tomber à ses pieds, et comme au théâtre on serait fort empêché pour reproduire la scène célèbre où Phryné se dévoile pour désarmer ses juges, on a imaginé de faire intervenir Vénus, sous la forme d’une statue, et la déesse prend pour un instant la place de sa rivale terrestre. Or, pour mettre le comble à la défaite de l’archonte, son neveu surgit au plus beau moment, et le surprend vaincu aux pieds de Phryné triomphante. 

Airs, ariettes, couplets, cantabiles, romances, duos, trios, finales, sont accumulés à l’envi dans cette partition volontairement rétrograde, et tandis que roulades et vocalises encombrent la partie de Phryné, les chœurs promènent en leurs ensembles des allures de bouffonnerie sans distinction.

Nous avons trouvé malencontreux surtout certain air de Dicéphile où le basson souligne opiniâtrement un effet médiocrement comique. 

Puisque le compositeur voulait s’amuser, pourquoi n’a-t-il pas entrepris de le faire utilement, en nous donnant quelque pochade chaude et vigoureuse, évoquant la Grèce antique, grâce à des mélodies colorées et originales, grâce à des sonorités curieuses, à des rythmes bizarres où harpes, flûtes, tambourins et sistres auraient pittoresquement mêlé leurs accords, leur souffle harmonieux, leur ronflement ou leur clair éclat ? 

Avec son immense talent, c’était pour M. Saint-Saëns un jeu aisé de nous donner la vision de la poétique contrée et de nous faire tomber en extase en présence du mirage séducteur, ainsi que le grave aréopage aux pieds de la divine Phryné. 

Nulle ambition si haute n’a hanté le compositeur. Il n’a entendu que se divertir et, s’il y a réussi., nous regrettons d’avoir à le chicaner sur son plaisir. Mais combien il eût été préférable de faire œuvre de durée en rajeunissant le genre de l’opérette, en en composant une qui aurait pu être un modèle pour l’avenir, en créant une forme, enfin, au lieu de couler dans un moule banal des pages sans portée, au bas desquelles on s’étonne de voir la signature de l’une des plus pures gloires de l’école française. 

L’interprétation réunit les noms de Mlle Sanderson, de Mlle Ruhls, de MM. Fugère, Clément, Barnolt, Perrier et Lonati, qui constituent un ensemble fort convenable. 

L’orchestre, sous la direction de M. Danbé, a droit aux plus vifs éloges pour la finesse et l’esprit de l’exécution. 

[…] A. Boisard

[1] La partition de Phryné vient de paraître chez les éditeurs A. Durand et fils.

Persone correlate

Compositore, Organista, Pianista, Giornalista

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Opere correlate

Phryné

Camille SAINT-SAËNS

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Lucien AUGÉ DE LASSUS

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data di pubblicazione : 18/09/23