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Revue musicale. Déjanire

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REVUE MUSICALE
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE : Déjanire, tragédie lyrique en 4 actes. Poème de L. GALLET et de M. C. SAINT-SAËNS. Musique de M. C. SAINT-SAËNS. […] 

Le mythe d’Hercule, « symbole d’une force inconsciente, asservie, arrivant par la souffrance à l’affranchissement du principe divin qui travaille en elle », est un de ceux qui ont depuis le plus longtemps séduit M. Saint-Saëns ; à tel point qu’il faillit un jour le mettre au théâtre, et écrire Hercule et Omphale au lieu de Samson et Dalila. Il devait y revenir plus tard avec Déjanire, l’opéra que vient de représenter l’Académie Nationale de Musique, et qui couronne si magnifiquement sa carrière de compositeur. Mais il avait auparavant, qu’on me pardonne l’expression, « essayé » son sujet dans trois œuvres qui sont comme des états successifs de sa pensée : deux poèmes symphoniques, La Jeunesse d’Hercule et le Rouet d’Omphale, et surtout la musique de scène destinée à la Déjanire, de Louis Gallet.

C’est en 1897 que L. Gallet proposa à M. Saint-Saëns un livret d’opéra sur la légende de la mort d’Hercule. M. Saint-Saëns venait de visiter les arènes de Béziers, et les avait trouvées merveilleusement appropriées à la représentation d’un spectacle à l’antique dans lequel la déclamation, le chant, la musique et les danses seraient étroitement unis. Sur ses conseils, L. Gallet modifia son plan et s’inspirant de Sophocle à travers Sénèque, écrivit une tragédie d’allure classique, en prose rythmée, où alternaient les chœurs et la déclamation : Déjanire.

Déjanire fut représentée en 1898, sur l’initiative de L. Castelbon de Beauxhostes et déchaîna un enthousiasme unanime. Ce fut un triomphe inouï et presque unique dans la courte mais glorieuse histoire des Arènes biterroises. Au mérite de l’œuvre en elle-même, s’ajoutaient la nouveauté de l’entreprise, son exceptionnelle réalisation, et tous ces facteurs extra-musicaux qui sont la gloire des spectacles en plein air réussis et qui se trouvèrent, cette année-là, pour l’Inauguration des Arènes, miraculeusement réunis : l’importance de la figuration, la beauté des silhouettes autour desquelles le vent faisait flotter des voiles, l’eurythmie des attitudes scéniques que la musique et le grand air amplifiaient, les acclamations, les cris de joie des foules méridionales, la vertu du ciel limpide et bleu, et surtout la magie d’un soleil couchant qui teintait d’or pâle et de rose les hauteurs sinueuses du décor où s’étageaient les toits d’Œchalie. 

Le drame de L. Gallet et C. Saint-Saëns fut encore joué aux Arènes en 1899, et la même année à l’Odéon. Mais ici l’équilibre était rompu : à une pièce comme Déjanire conçue selon le mode antique, l’air et l’espace sont nécessaires, et l’habileté du meilleur metteur en scène est impuissante à les remplacer. M. Saint-Saëns le comprit et songea alors à transformer la tragédie en drame lyrique. Plusieurs années cependant devaient s’écouler avant qu’il entreprît ce travail. Le maître a raconté dans Musica comment il fut amené à donner à son œuvre la forme définitive qui est la sienne aujourd’hui. « Les vers blancs de Louis Gallet, de longueur inégale, pouvaient être chantés ; on chante bien de la prose ! Mais, à tort ou à raison, à mon avis, de même que le dialogue du roman ne saurait être celui du théâtre ; un texte destiné à la déclamation et un texte destiné au chant ne sont pas la même chose et chaque fois que je tentais de mettre de la musique sur les vers de Déjanire, une répulsion invincible m’arrêtait. Ce fut ainsi jusqu’au jour où je pris le parti de modifier le texte pour le rendre musical, en supprimant partout les mots, les vers qui n’étaient pas indispensables, et auxquels la musique aurait donné une importance exagérée, en développant, au contraire, pour les exigences du chant certains passages, en donnant à tels vers plus de sonorité, en modifiant même l’allure de certaines scènes ; une fois entré dans cette voie, la métamorphose devint facile, et le drame lyrique se substitua sans effort à la tragédie ».

C’est ce drame lyrique que l’Opéra vient de représenter. Je rappelle brièvement le sujet.

Hercule a vaincu et mis à mort Eurytos, tyran d’Œchalie. L’heure a sonné où le héros, fils de Zeus, que n’a encore éprouvé nulle défaite, va connaître son premier revers. Au lieu de regagner Calydon où l’attend Déjanire, il demeure en la ville qu’il a conquise, enchaîné par la grâce et par la beauté d’Iole, fille d’Eurytos. Une coupable ardeur l’éloigne de son épouse, et le porte à posséder la vierge infortunée. Mais celle-ci, loin de se rendre, maudit la passion dont la poursuit le meurtrier de son père. Elle aime en secret Philoctète l’ami d’Hercule, et Philoctète l’aime aussi… Malgré les sinistres avertissements de Phènice la prophétesse, Hercule persiste en son dessein, et charge son compagnon d’être auprès de la vierge le messager de son amour. 

Pendant qu’Iole et Philoctète se lamentent, Déjanire prévenue de la trahison du fils d’Alcmène, accourt en Œchalie, courroucée, furieuse, et décidée à défendre ses droits sur le cœur de son époux. Mais c’est en vain qu’elle menace et qu’elle se révolte, qu’elle implore et qu’elle supplie : Hercule, aveuglé par la passion, reste insensible aux pleurs comme aux sourires. « Retourne à Calydon », dit-il. Cependant la résistance d’Iole à ses désirs l’inquiète ; il craint un rival ; un regard que jette à Philoctète la vierge en détresse lui apprend le secret de leur tendresse, et, furieux, grondant, exaspéré, il fait jeter Philoctète en prison en proférant le serment terrible « Que la fille d’Eurytos m’appartienne, ou, je le jure, Philoctète périra ! » 

L’action se précipite. Iole épouvantée cherche aide et protection auprès de Déjanire et la Reine alors songe à la tunique sanglante que Nessus expirant lui donna. « Si ton époux vient à t’abandonner, avait dit le perfide Centaure, fais-lui porter cette robe qu’empourpre le sang qui me fuit ; la flamme d’amour en son cœur renaîtra. » Qu’Iole, donc, feigne de se soumettre au caprice d’Hercule, et qu’au jour de ses noces elle offre au héros la tunique enchantée… 

En une pompe éclatante et majestueuse, au milieu des danses, des chants et des prières, se célèbrent les noces du fils de Zeus et de la fille d’Eurytos. Hercule a revêtu la tunique fatale faisant asseoir Iole sur le trône, il s’avance vers l’autel, la coupe des libations à la main, pour célébrer les saintes liturgies. Tout à coup il pousse un rugissement de douleur. Sa chair brûle sous le tissu de pourpre. Il veut se précipiter dans les flots de la mer ; mais soudain un éclair à lui. La foudre embrase le bûcher du sacrifice, et le fils de Zeus, purifié par la souffrance, se livre aux flammes dévorantes que le ciel vient d’allumer pour lui.

Et dans une radieuse apothéose, on voit bientôt le héros s’élever vers l’Olympe, pendant que le peuple chante :

L’invincible Hercule succombe, 
Mais il se relève immortel !

En dépouillant l’œuvre de Louis Gallet de tous les épisodes qui n’étaient pas absolument essentiels à son développement, en en condensant, et en en resserrant la trame, M. C. Saint-Saëns a donné à Déjanire l’allure à la fois noble et sévère d’une de nos grandes tragédies classiques. Dans la conduite de l’action, rapide et tendue constamment vers le dénouement tragique, plus, il faut bien le dire, que dans le style de son dialogue et dans la qualité de sa versification, il a apporté un constant souci de clarté et de simplicité. Cette simplicité, on peut même lui reprocher de l’avoir poussée à l’extrême, et trop sommairement réalisée : les personnages de Déjanire sont moins des êtres vivants et agissants que des entités en chacune desquelles se synthétise un sentiment ou une passion spéciales ; les chœurs qui sont pour la plupart complètement indépendants de l’action, exposent la situation, à la manière antique, et préparent la scène où va se dérouler le conflit de deux sentiments opposés. Et cette conception dramatique, un peu simpliste, fait perdre à Déjanire, en tant que drame, du mouvement et de la vie.

En revanche, elle se prête merveilleusement à la musique dont M. C. Saint-Saëns a voulu revêtir son sujet. On a parlé de Glück à propos de Déjanire, et ce n’est point à tort que pareil rapprochement a pu être imaginé. Déjanire évoque en effet les tragédies lyriques de l’auteur d’Alceste, non seulement extérieurement, par ses heureuses proportions, sa division, la coupe de plusieurs de ses airs, son alternance de chœurs, d’airs, de divertissements et d’ensembles, mais intérieurement aussi par l’ampleur de son inspiration, la noblesse de son style, et la vérité de sa déclamation. Avant toutes choses, M. C. Saint-Saëns place l’expression frappante et juste des sentiments et des passions. Telle est aussi, d’ailleurs, la préoccupation de tout musicien digne de ce nom. Mais tandis que la jeune école recherche aujourd’hui l’expression dans la sonorité, M. Saint-Saëns, comme les maîtres d’autrefois, recherche la sienne uniquement dans l’accent et dans la ligne mélodiques. Chez lui, la déclamation reste toujours maîtresse de la forme : elle est précise, nuancée et possède une remarquable justesse. La pensée du musicien est nette, et il la traduit avec une éloquente concision. Rien de plus significatif, par exemple, que les thèmes très courts qui revêtent chaque personnage comme d’une étroite et souple tunique, et se déforment au gré de leurs mouvements : la sonnerie éclatante, pleine d’une robuste fierté qui annonce l’approche d’Hercule, et le thème même du demi-dieu qui est celui dont le Maître se servit autrefois dans la Jeunesse d’Hercule – mélange de force réfléchie et d’ardeur enthousiaste ; le thème de Déjanire, impérieux et saisissant avec ses trois quartes descendantes ; celui d’Iole, chaste et délicat. 

Rien de plus expressif aussi, et en même temps de plus sobre, que les moyens employés par M. Saint-Saëns pour peindre le caractère de ses personnages, et dégager les sentiments qui s’agitent en eux. C’est une touche légère, une inflexion, une altération de rythme, un retard ; un simple contretemps dans accompagnement, nous montre Déjanire frémissant d’impatience aux portes d’Œchalie ; trois sauts successifs de quartes peignent magnifiquement la frénétique fureur d’Hercule ; le persistant unisson sur une seule note des deux voix d’Iole et de Philoctète clame mieux que le plus enfiévré des duos, la force et l’éternité de leur amour ; quatre notes qui s’exhalent pianissimo, comme un soupir s’échappe d’un cœur trop plein, font peser sur nous la fatigue d’Hercule, et c’est une vocalise sans accompagnement qui fait superbement éclater la joie surhumaine du demi-dieu. 

Cet art tout classique de soutenir et de rehausser discrètement l’idée par un détail mélodique, et de considérer la musique non seulement comme une joie pour l’oreille, mais comme le plus puissant moyen d’émouvoir le cœur et d’exciter l’esprit, c’est très proprement l’art de Glück.

Mais l’art de M. Saint-Saëns est en même temps moderne. On a trop dit, pour lui en faire un reproche, que l’auteur de Déjanire, adversaire déclaré de la musique nouvelle, était plus inspiré par ses devanciers que par ses contemporains, proposition vraie en elle-même, mais défectueuse par la façon dont elle est formulée. Le maître et le doyen de notre musique actuelle, celui qui représente depuis plus d’un demi-siècle l’esprit classique français, n’a pas à être Influencé par l’école moderne. Il en connaît les idées, les tendances, et les formules aussi exactement que quiconque et l’on peut être assuré que le musicien nourri de toute la musique du passé, qui, ainsi que le disait Gounod, « pourrait écrire à volonté une œuvre à la Rossini, à la Verdi, à la Schumann, à la Wagner », serait également capable d’écrire aujourd’hui une œuvre à la Debussy ou à la Ravel, aussi bien certes que MM. X. ou Y. Mais ce serait indigne de lui qu’il changeât sur le tard d’idéal et de style et puis, en fin de compte, il lui est permis de croire que toute la musique ne s’est pas exclusivement résumée dans l’art d’écrire des appogiatures sans les résoudre, et de ne confectionner que des accords de neuvième. Il ne méconnaît pas du reste l’importance, au point de vue expressif, de la plupart de ces artifices d’écriture, et il ne se prive aucunement de s’en servir ; mais il n’en use qu’à point voulu, pour obtenir un effet calculé, logiquement et point machinalement, et sans les ériger en système, comme il s’en est de tout temps servi, et comme au reste, s’en servirent avant lui et Liszt et Chopin et Weber et même Bach. Citerai-je tous les effets neufs et du modernisme le plus hardi dont s’enrichit la partition de Déjanire, depuis les quartes du thème de Déjanire dont j’ai parlé plus haut, jusqu’aux hurlantes appogiatures qui soulignent dans la scène finale le supplice d’Hercule, brûlé par la tunique de Nessus ? 

Qu’importe au surplus, et quel intérêt peut on trouver à cataloguer une œuvre dans tel ou tel genre, si cette œuvre est belle ? Or, Déjanire, claire et forte partition, d’une tenue et d’une solidité admirables, d’une unité de style qui est rare même dans l’œuvre de son auteur, musique ample et noble, tour à tour émue et pittoresque, et dans laquelle l’emploi discret des modes antiques a répandu un délicat parfum d’archaïsme que relève un charme tout moderne, Déjanire aux chœurs magnifiques est une très belle œuvre, et l’on peut dire de cette musique ce que Gounod disait, il y a vingt-cinq ans, de celle d’Ascanio, qu’elle est « non seulement élevée mais bien élevée, de belle race et de noble maison », et ce que M. Romain Rolland dit de la musique de M. Saint-Saëns en général : « Dans l’art contemporain, nerveux et tourmenté, cette musique frappe par son calme, ses tranquilles harmonies, ses modulations veloutées, sa pureté de cristal, son style fluide et sans heurts, je ne sais quel atticisme. Jusqu’à sa froideur classique fait du bien par une réaction instinctive contre les exagérations, même sincères, de l’art nouveau. » On ne peut mieux dire, ni plus justement.

Il faudrait prendre une à une toutes les pages de l’œuvre de M. C. Saint-Saëns, et montrer toutes les beautés qu’elles renferment ; car il n’est pas une défaillance dans cette partition magistrale, où tout s’enchaîne dans une haute unité de facture et d’inspiration. Mais il faut se borner. Citons seulement, dans le premier acte, la puissante et large Ouverture où se développe avec ampleur le thème d’Hercule, et le chœur d’un beau sentiment qui ouvre la scène première, en chantant les combats et la victoire du Dieu ; puis les âpres et sombres imprécations de Phénice, l’air de Philoctète, de coupe classique, et l’entrée de Déjanire, à la terrible splendeur.

Dans le deuxième acte, après le prélude adorable de blancheur et de chaste sérénité, l’air d’Iole, la perle de la partition, pur et touchant chef d’œuvre de grâce, de tendresse et de mélancolie ; la déclaration d’amour d’Hercule

Mon amour pareil à la flamme 

exaltée et brûlante, fière et chevaleresque, montant superbement sur une houle de rapides triolets ; puis le presto frénétique où se rue à son paroxysme la fureur du héros trahi, et le chœur admirable qui le suit, et avec lequel présente un si saisissant contraste le calme et religieux hymne à Pallas, porté par les harpes et murmuré par les femmes à genoux. Tous les chœurs de Déjanire, du reste, sont à citer pour leur sentiment antique si juste, l’émotion qu’ils dégagent, la fermeté marmoréenne de leur style, et la beauté de leur sonorité. 

Au troisième acte, après le dramatique récit de la mort de Nessus, la scène où Déjanire, ironique et perfide, feint de se résigner à son exil dans Calydon et surtout la scène magnifique dans laquelle Hercule arrache à Iole, le serment de lui appartenir, scène prodigieuse de vie et de passion dramatiques, et que relèvent, au moment où la vierge tend la main pour sceller sa promesse, des harmonies troublantes, d’une nouveauté et d’une intensité expressive extraordinaires ; et alors l’explosion de joie d’Hercule vainqueur, et la scène des maléfices, celle où dans la lueur mystérieuse du crépuscule, Déjanire, Iole et Phénice, penchées sur la robe du Centaure, invoquent Éros et prononcent leurs incantations.

Au quatrième acte, les danses vives, animées, spirituelles ; le bel air d’Hercule qui fait songer à Glück et à Haendel, et l’épithalame du Dieu, mélodie délicieuse et tendre, mais dont la grâce un peu efféminée a, dans la bouche du héros, quelque chose de choquant ; en 1898, il était charité par un simple coryphée, en présence d’Hercule et d’Iole, et cela était mieux ainsi.

Je voudrais, avant de finir, dire un mot de l’orchestration. Elle est prodigieuse de simplicité, de sobriété (encore) et en même temps de sonorité et d’éclat. On se rappelle que M. Saint-Saëns, dans un pénétrant article sur Berlioz a exposé jadis que l’orchestre de l’auteur de la Damnation semble, à l’œil, maladroit et disposé pour ne pas sonner, et que cependant, en vertu de raisons peut-être mystérieuses, il sonne. Chez M. Saint-Saëns, comme chez Berlioz, l’orchestre sonne, mais de plus, à l’œil, malgré l’apparence dépouillée, nue, tellement peu chargée, de son écriture, on voit déjà qu’il sonnera. Il y a dans toute composition polyphonique des « notes à doubler ». M. P. de Bréville, dans une étude sur M. V. d’Indy, rappelle fort justement que Wagner prétendit un jour avoir appris l’instrumentation dans Palestrina. Wagner voulait dire par là que l’étude du grand polyphoniste lui avait enseigné quelles étaient ces notes. (On sait du reste qu’il a publié pour le concert une édition du Stabat palestrinien, dans laquelle il a doublé par l’un ou l’autre chœur la phrase qu’il avait jugé nécessaire de renforcer). M. C. Saint-Saëns, aidé en cela par ses profondes connaissances acoustiques, cherche aussi et trouve toujours la note à doubler. Il connaît de plus, admirablement, les ressources de chaque instrument, et le registre dans lequel ces ressources doivent être employées avec le plus de fruit. Et ce sont là quelques uns des secrets de la sonorité pleine, claire et juste de son orchestre, obtenue sans empâtements ni surcharges, et où les plus grands effets sont réalisés avec le minimum de moyens. Ici encore, il n’est pas, quoiqu’on dise, si farouche adversaire de l’art moderne, qu’il n’enrichisse encore son orchestre d’effets nouveaux et curieux. Je n’en veux pour preuves que les magiques sonorités qui accompagnent le récit de la mort de Nessus, et cette étrange et mystérieuse impression du crépuscule (célesta et harpes) tombant sur le palais d’Hercule pendant que Déjanire, Iole et la sorcière Phénice sortent de son coffret de cèdre, toute rouge du sang du centaure, la tunique enchantée. 

L’interprétation que l’Opéra a donnée de ce chef-d’œuvre est de premier ordre. Mme Litvinne dans le rôle de Déjanire prodigue la beauté de sa voix sans égale et la puissance généreuse de son jeu terrible dans l’emportement, elle est tout charme et toute caresse dans l’amour. Mlle Y. Gall, Iole, touchante et résignée victime, soupire ses airs si délicieux et sa prière à Pallas si implorante, avec la voix pure et émouvante d’un rossignol blessé. M. Dangès met au service du rôle difficile et sacrifié de Philoctète sa voix sympathique et chaude, et Mlle Charny, impressionnante Phénice, fait vibrer dans ses prédictions sinistres les notes saisissantes de son beau contralto. Au dessus de tous, il faut mettre M. Muratore, Hercule, Hercule lui-même, incomparablement beau de taille et d’allures ; Incessu patuit deus ; il est majestueux dans la force, terrifiant dans la colère et dans la douleur ; sa voix est à la fois puissante et douce, et conduite avec un art parfait. M. Muratore est aujourd’hui sans conteste le premier de nos ténors et de nos tragédiens lyriques.

Le ballet bien réglé par M. Clustine est, par son originalité, l’agrément de ses danses, l’assemblage de ses couleurs, une fête pour les yeux. Les décors et les costumes indiquent un effort très réussi vers la reconstitution d’un style que de récentes fouilles ont fait connaître, et qui n’est plus – enfin ! – le style conventionnel généralement adopté pour la représentation de tous les sujets antiques. Les chœurs, dont la part est si importante dans l’œuvre, ont été à la hauteur de leur tâche, et l’orchestre enfin, sous la prestigieuse direction de M. Messager, a traduit avec une intelligence remarquable toutes les intentions du compositeur. Tour à tour fluide et tendre, tonnant et caressant toujours magnifiquement sonore, il nous a versé un long enchantement. […]

J. SAINT-JEAN. 

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data di pubblicazione : 22/09/23