Roma de Massenet
OPÉRA. – Roma, opéra tragique en cinq actes, de M. Henri Cain, d’après Rome vaincue,d’Alexandre Parodi, musique de M. Massenet[1].
Le sujet de Rome vaincue n’était point particulièrement nouveau ayant servi notamment à Spontini pour La Vestale, son fameux opéra ; la trouvaille de Parodi fut l’intervention de Posthumia et Mme Sarah Bernhardt représenta si merveilleusement la vieille Romaine aveugle que l’on s’illusionna sur la valeur d’un ouvrage de deuxième ordre en somme.
M. Henri Cain n’était point chargé de le porter au premier, mais, suivant le désir du maître Massenet, d’en constituer un livret musical qui restât le plus près possible du drame primitif.
Il s’est acquitté avec tact et adresse de sa fonction et il en est résulté un opéra tragique.
Pourquoi ce titre qui sent le pléonasme ? Quand il n’est ni bouffe, ni comique, un Opéra n’est-il point tragique ? J’en connais peu qui finissent en folichonnerie, et Roma ne me paraît ni plus tragique ni moins que tant d’autres.
Annibal a vaincu les Romains, Paul-Emile est mort, et dans la ville, on ne saurait admettre une défaite régulière ; il y a certainement du prodige ; précisément, on a laissé éteindre le foyer de Vesta : ne cherchons plus, c’est cela. Mais quelle est la coupable parmi les prêtresses ?
La recherche est assez naïve ; ces nobles et chastes demoiselles devraient bien savoir entre elles laquelle était de garde au moment de l’extinction, mais nous n’aurions pas ce délicieux rêve de Junia chanté avec tant de charme pudique par Mlle Campredon.
Par un artifice fort indigne de son caractère sacré, le grand pontife amène Fausta à se dénoncer et le Sénat la condamne à l’horrible supplice des vestales coupables : on la descendra vivante dans la tombe, avec, par atroce raffinement, un peu de lait et de pain pour prolonger son agonie.
Sa grand’mère, l’aveugle Posthumia, ne veut point qu’elle meure ainsi : elle lui tend un poignard mais l’infortunée a les poignets liés : l’aïeule, alors, d’une main tremblante, cherche la place du cœur de son enfant et enfonce l’arme libératrice.
Aussitôt, pour marquer sa satisfaction, Jupiter fait mugir sa foudre et, merveille plus étonnante encore, l’armée de Rome immédiatement revient victorieuse.
Comme les nouvelles se transmettaient vite à l’époque !
M. Henri Cain, après Parodi, a donné à ces naïvetés une apparence sculpturalement classique dont M. Massenet a tiré le meilleur parti.
Roma n’est point une des ces œuvres d’élan passionné comme Manon et Werther, il semblerait plutôt qu’elle fût en quelque sorte d’art décoratif, et le célèbre maître a montré ainsi de quelle souplesse il est capable.
Ayant devant lui un temple antique, il en a orné, jusqu’à les faire disparaître, les moindres arêtes, de guirlandes de feuillages sombres ou éclatants suivant le besoin, intercalant par places des bouquets de fleurs les plus rares, tel cet adorable andante pour flûte par quoi commence le troisième acte.
Il ne s’est point préoccupé de créer un parc ou des jardins, attaché seulement qu’il était à la décoration de l’édifice.
Louer sa presque incomparable science musicale, son écriture orchestrale serait banalité ; cette fois, il a mis comme une coquetterie à laisser le plus possible à découvert les voix des artistes et des chœurs ; il a, comme on dit familièrement, « payé comptant », et ce n’est pas à la portée de tout le monde.
Mme Kousnetzoff fut une émouvante Fausta, sa voix un peu sourde dans le médium est très belle dans le registre élevé et elle s’en sert avec un talent qui augmente de jour en jour.
Mlle Lucy Arbell s’est fait vivement applaudir surtout comme tragédienne ; elle a joué avec beaucoup de puissance le rôle angoissant de Posthumia : emportée par le rôle, elle a même un peu oublié l’âge du personnage : à l’acte du Sénat, elle a fait des gestes un peu rapides pour une si vieille femme.
M. Delmas montre en Fabius une superbe dignité et chante en très grand artiste ; M. Noté a fait valoir un rôle très court mais qui demandé un interprète comme lui ; je féliciterai encore M. Journet, le grand pontife ; Mmes Le Senne et Courbières.
Georges Boyer.
[1] L'abondance des matières nous avait obligé, hier, à ajourner le compte rendu de cette première représentation.
Persone correlate
Opere correlate
Roma
Jules MASSENET
/Henri CAIN
Permalink
data di pubblicazione : 18/09/23