Roma de Massenet

OPÉRA DE MONTE-CARLO

Première représentation de Roma, opéra tragique, en cinq actes, poème de M. Henri Cain, d’après Rome vaincue, d’Alexandre Parodi ; musique de M. Massenet.

Le grand musicien, le travailleur infatigable qui a courbé la Renommée sous le joug de sa muse familière et fidèle, Massenet, gloire de la scène française, s’est inscrit, une fois encore, au livre de Mémoire avec Roma, que le théâtre de Monte-Carlo vient de créer dans une apothéose de triomphal succès.

Roma nous apparaît comme une œuvre d’un ensemble puissamment dramatique où Massenet, ce grand charmeur, a semé d’une main experte et légère, et sous une forme exquise, de la tendresse, de la langueur, de la volupté, éclairées d’un coloris jeune et séduisant. Et cette poésie, où se révèle chez Massenet l’amour du rythme berceur, ne porte aucune atteinte à la vigueur et à la sincérité des grands mouvements dramatiques où l’énergie vocale s’allie à la puissance des sonorités orchestrales.

Plus autorisés que nous, d’autres diront tout ce que l’instrumentation de Roma renferme de charme caressant, de séduction captivante et de dramatique puissance. Bornons-nous à remercier M. Massenet de nous avoir donné, avec Roma, une joie nouvelle, une grande joie artistique, digne de celles que nous firent éprouver, après Marie-Magdeleine, sa belle œuvre de jeunesse, Hérodiade, Manon, Werther, Thaïs, et, plus récemment sur cette scène de Monte-Carlo, le Jongleur de Notre-Dame, Chérubin, Thérèse et Don Quichotte.

Roma fait briller d’un nouvel et puissant éclat la gloire du grand romantique de la Musique française. Nous ne dirons pas que c’est le couronnement de cette gloire, car nous voulons retenir le mot si juste et si enthousiaste tout récemment prononcé par un critique autorisé : « Roma, c’est son Œdipe roi ; il nous doit, il nous donnera son Œdipe à Colone ».

De l’interprétation, nous dirons en toute sincérité qu’elle fut, comme l’œuvre, admirable. Mme Kousnesoff, parfaite dans le rôle de la vestale Fausta, fit applaudir sa voix chaude et généreuse, et son jeu de tragédienne en même temps que son adorable grâce. – Mlle Lucy Arbell, renonçant noblement à toute coquetterie, a mis, dans un généreux sacrifice artistique, au service de son rôle d’aïeule (Posthumia) tout son grand talent de cantatrice et de comédienne. Sa voix pénétrante, ses attitudes puissamment dramatiques ont produit une grandiose impression de sublime douleur. — Quant à Mme Julia Guiraudon, dans le rôle — trop court, hélas ! – de la vestale Junia, elle fut véritablement la muse de la Candeur. Il est impossible de rêver rien d’aussi tendre, d’aussi suave, d’aussi pur que la vestale incarnée par Mme Guiraudon. La fraîcheur et la souplesse de son organe ont mis la salle dans une sorte d’hypnose admirative, dont le public s’est délivré par des acclamations enthousiastes. — Le rôle de Lentulus, passionnément dramatique, fut magistralement interprété par M. Muratore, le ténor le plus puissant de l’heure présente, pour qui cette création fut l’occasion d’un éclatant succès. — M. Delmas, grand et consciencieux artiste, a magistralement marqué de sa forte empreinte le personnage du sénateur Fabius. — M. Noté, superbe de fougue dans le rôle de l’esclave gaulois Vestapor, fut impressionnant de haine farouche et d’astuce assouplie. – M. Clauzure, jeune artiste au talent naissant et riche de promesses, a fait résonner le solide métal de sa belle voix de basse dans le personnage du Grand-Pontife, qu’il a composé avec une réserve noble et grande. — Mmes Eliane Peltier et Doussot complétaient excellemment la brillante interprétation de Roma.

Les chœurs, sérieusement préparés par M. Vialet, ont fait, ainsi que l’orchestre, merveille sous la très érudite et énergique direction de M. Léon Jehin.

La mise en scène, savamment réglée par M. Raoul Guinsbourg et illustrée par les splendides décors de M. Visconti, mit le comble à la somptuosité artistique du chef-d’œuvre de M. Massenet. 

GASTON BRADER.