Roma de Massenet

SOIRÉE PARISIENNE

ROMA, opéra tragique en cinq actes, de M. Henri Cain, musique de M. Jules Massenet.

Le public des répétitions générales est le plus charmant, le plus clairvoyant et le plus spirituel qui soit. Personne n’ignore cette verité essentiel que les intéressés colportent dans les salons et impriment, sans pudeur, dans les quotidiens et les périodiques. Mais il n’est pas toujours bon que le juge se montre supérieur à sa victime, et le mal me parait désastreux quand cette autorité s’appuie sur la routine et se fortifie par la vanité. Aussi, je ne crains pas de l’avouer, je ne connais pas de plus mauvais baromètre que celui de cette salie, qui applaudit par politesse, s’emballe sans raison, et dédaigne les considérations qui guident le grand public et l’amènent au théâtre.

Cette incapacité inévitable est plus flagrante encore quand, du domaine de la comédie, on transporte la critique dans le royaume de la musique ; à l’Opéra, la plupart des spectateurs jugent un art dont ils ignorent les principes élémentaires ; quant aux professionnels, familiarisés avec les secrets de l’harmonie, ils oublient trop souvent que la composition diffère des mathématiques. Ensuite, par un penchant propre à tout homme et, à plus forte raison, à tout artiste, chaque musicien juge sa méthode irréprochable, et apprécie le talent de ses confrères selon son goût particulier et ses aptitudes personnelles.

Donc, nous négligerons les bruits de couloirs et les impressions de journaux, et nous agissons de la sorte, d’abord pour les raisons énoncées ci-dessus, et, en second lieu, parce que nous ne sommes pas qualifiés pour porter un jugement sur la nouvelle œuvre de Massenet : ce dont nous nous réjouissons infiniment. En effet, quand je songe aux sarcasmes dont la critique a accablé Wagner et Bizet à l’apparition de Lohengrin et de Carmen, il me semble que seul un héros ou un imbécile peut risquer ses pronostics ; et je ne veux être ni l’un ni l’autre.

Cependant sans discuter la valeur de l’œuvre et l’opportunité de sa représentation, je vous assure que la foule viendra écouter Roma. Elle applaudira parce que l’œuvre est signée Massenet et Henri Cain et interprétée sans défaillance par Mlle Kousnetzoff, MM. Noté, Muratore et Delmas, et le public préfère les talents connus aux génies ignorés.

William Speth.