Musique. Namouna
MUSIQUE
Opéra : Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux, par MM. Nuitter et Petipa, musique de M. Edouard Lalo.
Il ne s’agit pas dans ce ballet du « sofa sur lequel Hassan était couché » ni de toutes les adorables choses sur lesquelles s’étend à loisir la libre fantaisie de Musset. La Namouna du poète a été mise en musique à la salle Favart, sous le nom de Djamileh. Celle de Nuitter a avec elle cette lointaine ressemblance, qu’elle est esclave et s’est donné pour gageure d’être aimée par celui que le hasard a fait son maître d’un jour.
Nous ne raconterons pas par le menu les incidents de ce poème en trois tableaux qu’éclaire le ciel bleu de l’Archipel. Namouna rentre dans le domaine ordinaire de ce qu’on appelle les ballets d’action, et n’a d’autre prétention que de fournir au chorégraphe et au musicien prétexte à de jolis tableaux, à de gracieux épisodes. Avouons que M. Petipa ne s’est pas mis en grands frais pour remplir le canevas tracé par son collaborateur, l’érudit archiviste de l’Opéra, M. Nuitter. Dans ces ensembles déjà vus mille fois, pas plus que dans les solos, nulle recherche de la couleur locale, nulle préoccupation du caractère. La chorégraphie de Namouna pourrait se danser partout ailleurs qu’à Corfou et s’y trouverait aussi bien à sa place. Quelques épisodes ont cependant fait plaisir : ainsi, au deuxième tableau, le duel, interrompu à chaque reprise par la gracieuse apparition d’une bouquetière, qui vient se placer entre les deux adversaires, des fleurs pleins les mains ; au deuxième acte, la sieste des esclaves, encadrée dans une magnifique toile de M. J.-B. Lavastre, le divertissement des fleurs et le pas de Mlle Subra. Les tours de reins de Mlle Sangalli obtiennent toujours le même succès ; mais M. Vasquez finira par agacer le public avec ses sauts en hauteur qui le font ressembler à miss Ænea, moins la corde élastique.
M. Lalo, le compositeur, peut dire comme le berger de Virgile : La fortune lui a souri tard. Candidior postquam. La fortune, sous les apparences d’un ballet en deux actes ! Assurément, M. Lalo avait rêvé plus belle et plus avenante. Disons-le aussi, il la méritait tout autre : ses débuts, qui remontent déjà assez loin, avaient fait pressentir un artiste soucieux de la forme et pur de toute vulgarité. Le public ne lui ayant guère manifesté que de l’indifférence, M. Lalo se tint à l’écart, produisant peu, bien décidé à ne pas descendre aux banalités qui assurent le succès, jouant de l’alto, — instrument modeste mais essentiel, — dans la meilleure société de musique de chambre de Paris, regardant passer le flot de la popularité sans trop envier ceux qui, plus heureux ou mieux organisés que lui pour le succès, avaient su diriger ou suivre le courant. Son opéra de Fiesque fut très-remarqué par le jury d’un concours qui cependant préféra couronner une œuvre d’importance beaucoup moindre, insignifiante, ou pour mieux dire inepte ; mais M. Lalo ne put en obtenir la représentation. Depuis 1870, s’est fait souvent applaudir par le public des séances symphoniques, lequel n’est pas toujours facile à intéresser. Sarasate a promené dans tous les concerts d’Europe sa Symphonie espagnole et sa Rhapsodie norvégienne. Comme Brahms, avec qui il a plus d’un point de ressemblance, M. Lalo excelle à revêtir d’une riche harmonie les airs et les danses populaires ; il sait les in trumenter de façon à en relever le piquant. Sa mélodie, quand il la tire de son propre fonds, est austère ; mais il la pare de séduisantes sonorités : elle a pour défaut d’être courte d’haleine et manque souvent d’expansion.
Au point où M. Lalo est parvenu, entouré, comme il l’est à juste titre, de l’estime des artistes et des connaisseurs, il eût pu décliner l’honneur qu’on voulait lui faire en le chargeant d’écrire un ballet pour l’Opéra. On sollicite la commande d’un ballet quand on est jeune, qu’on a des mélodies et des rhythmes plein la tête, et une imagination encore fraîche qui s’émeut à la moindre apparence d’une situation poétique ou dramatique. Alors, quelle excellente occasion d’apprendre le métier que ce travail presque toujours improvisé qui force le musicien à se plier aux exigences parfois bizarres du chorégraphe, au plus léger caprice de la danseuse ! M. Lalo n’avait pas à faire cette expérience.
Il fallait ou le laisser à ses combinaisons symphoniques, dans lesquelles il apporte tant de finesse et de distinction, ou jouer un de ses opéras. La besogne fatigante, asservissante, à laquelle il s’est prêté n’était pour lui d’aucun intérêt. Namouna réussissant n’ajoutait rien à la gloire du compositeur : telle ou telle de ses œuvres déjà publiées, connues et appréciées, renferme plus de véritable musique qu’il ne pouvait espérer d’en mettre dans un ballet, même en deux actes. Le malheur a voulu que Namouna ne réussit point.
Et pourtant, si l’on voulait prendre la peine d’écouter, que de choses on y découvrirait qui sont dignes d’attention et que goûteront les délicats. L’introduction, courte mais claire préface ; la phrase tendre qui caractérise Namouna ; l’entr’acte, joué au milieu d’un bruit qui a empêché d’en saisir les finesses, mille autre détails ingénieux et pittoresques, témoignent d’un rare tempérament musical. Le deuxième acte, sauf l’orgie finale, est bien réussi ; il contient notamment avec une valse du mouvement le plus original, un délicieux morceau de flûte, finement exécuté par M. Taffanel, et que le public a voulu réentendre.
MM. Rubé et Chaperon sont les auteurs des deux décorations ou premier acte ; la seconde surtout est d’une belle couleur. Eugène Lacoste a dessiné pour Namouna des costumes d’un goût parfait et d’une fantaisie très-artistique.
Octave Fouque.
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Édouard LALO
/Charles NUITTER
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data di pubblicazione : 23/09/23