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Ariane de Massenet

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS

Opéra : Ariane, opéra en cinq actes, paroles de M. Catulle Mendès, musique de M. J. Massenet.

Le premier décor de la nouvelle Ariane que M. Gailhard vient de présenter au public avec le grand luxe et le grand goût indispensable dans le cadre somptueux de l’Opéra-Garnier évoque une grève de la Crète, au pied du mont Ida. Sur la pente de la montagne s’espace le labyrinthe dédalien. Les sirènes chantent autour d’une galère à l’ancre ; Pirithoüs et une troupe de soldats montent la faction devant la porte de bronze du labyrinthe. Dans l’abîme de verdure, Thésée est aux prises avec le Minotaure, qui s’apprête à dévorer les sept jeunes garçons et les sept vierges du tribut vivant :

... Le royal Thésée ignorant de la crainte

Les a suivis parmi l’erreur du Labyrinthe

Pour les sauver du monstre ou mourir avec eux.

Ariane, qui a donné au héros le fil conducteur, attend aussi le retour de l’aimé et adresse une fervente prière à Cypris. Phèdre vient la rejoindre, sa sœur Phèdre, la rude amazone insensible jusqu’à présent aux séductions des « beaux jeunes hommes ». C’est elle qu’Ariane défaillante charge de suivre du haut d’une roche le combat de Thésée et du Minotaure. Phèdre assiste à la victoire du héros, et ce spectacle la pénètre, à son insu, d’une émotion amoureuse. Quand Thésée reparaît, quand il emmène Ariane dans sa galère, loin du sombre palais de Minos et de Pasiphaë, elle implore la grâce de le suivre :

Ma sœur ! ma sœur ! Ariane chérie !

Me laissez-vous sur les bords désertés

De ce pays qui n’est plus ma patrie

Puisque vous le quittez ?

Le héros consent, et Phèdre baise sa main avec une ardeur passionnée. Le geste est assez significatif pour qu’au deuxième acte (la galère en pleine mer) nous ne soyons pas surpris de voir Phèdre se lamenter à la poupe du vaisseau, tandis que Thésée et Ariane reposent, tendrement enlacés, sous les rideaux de leur tente. Les îles glissent au fond de la scène, les écueils passent tout près de la rampe, un rideau de nuages court dans le ciel comme au final de la Walkyrie ; les éphèbes et les fillettes saluent le paysage ensoleillé ; le héros et sa compagne échangent des serments de fidélité éternelle. Cependant, Ariane s’inquiète, car « son héros n’a qu’à choisir » :

Ne dis pas que tu m’aimeras, dis que tu m’aimes.

Thésée lui répond par un madrigal :

Quand Hercule eut conquis,

Sur le thalame exquis

De Cassiopée,

La rose d’une bouche et le lys frais d’un cœur,

Il marcha désormais de son grand pas vainqueur,

Un lys à la Massue, une rose à l’Épée !

Pendant ce temps, Phèdre, appelle la mort ; la tempête se déchaîne, pour s’apaiser bientôt et coucher mollement la galère sur le sable fin de la plage de Naxos. C’est là, dans l’île des lauriers-roses, aux écueils sans courroux (troisième acte) que s’engage le duel passionnel des deux sœurs. Duel inégal, car Ariane est une résignée. Nous la voyons, au lever du rideau, gémir sur la froideur de Thésée, et le chœur des vierges murmure sous les bosquets fleuris :

Très pâle, en pleurs, le cou baissé

Comme une tige brisée,

Elle semble un grand lys blessé

Qui pleurerait sa rosée.

Ariane ne sait pas encore avec qui Thésée s’apprête à la trahir, et Phèdre elle-même ignore toujours qu’elle est aimée. Mais, à la première rencontre, la tendresse incestueuse du héros se déclare ; Phèdre cède à la fatalité et Ariane la surprend dans les bras de son beau-frère. Tableau ; syncope. Phèdre s’enfuit ; les vierges se groupent autour de la reine évanouie. Ariane ne se ranime que pour apprendre la fin tragique de sa sœur, qui vient de blasphémer la déesse de Naxos en brisant la statue d’Adonis et qu’a punie la chute du marbre. On rapporte le cadavre de Phèdre et les pleureuses mènent le deuil.

*

Logiquement, le drame est terminé. Il y a divorce moral entre Ariane et Thésée, qui s’est enfui dans la montagne. Le héros n’a plus qu’à s’embarquer avec le fidèle Pirithoüs, laissant dans son palais la dolente abandonnée. L’action repart cependant sur nouveaux frais et va remplir encore deux actes. Ariane — qui est décidément l’ange du sacrifice — veut ressusciter Phèdre et recommencer le miracle d’Orphée. Elle implore Cypris qui l’a trop bien vengée ; la déesse s’attendrit (voilà qui est bien peu conforme à la mentalité des Olympiens !) et lui prête les trois Grâces pour l’accompagner dans sa descente aux enfers.

Quatrième acte : le Tartare. Un paysage « fuligineux », — je cite l’indication du livret, — le mur de bronze des enfers, la rive du Styx, le champ des pleurs, « sous un plafond qui est l’envers de la Terre ». Le dieu Hadès, couronné de rubis sombres, occupe un trône qu’entourent des spectres. Au premier plan est assise, dans une gaine de marbre, Perséphone, un lis noir en la main droite. Elle rêve à la Terre et voici justement qu’une lueur terrestre pointe au fond, du tableau. C’est Ariane qui arrive avec le groupe des trois Grâces, accompagnées des Ris et des Jeux, comme dans les ballets du dix-septième siècle. Les Furies reculent devant la lumière et la reine peut implorer Perséphone. La compagne d’Hadès se montre d’abord inflexible : « Il n’est point de retour pour les Ombres vers le jour », mais Ariane dévoile une corbeille de roses et Perséphone n’a plus rien à lui refuser :

Emmène ta sœur ! emmène ta sœur !

Des roses ! des roses ! des roses !

Je vois, j’aspire, et touche et baise la douceur

De toutes les humaines choses

Dans leurs chères fraîcheurs écloses !

Emmène ta sœur ! Que de roses !

Cinquième et dernier acte : le palais pélasgien de Naxos. Athènes, menacée par les amazones, appelle Thésée ; le « chef des nefs guerrières » est venu chercher le héros, mais il refuse de partir. Il erre comme un insensé parmi les roches, appelant tour à tour Ariane et Phèdre : « Si l’une revenait ? » demande Pirithoüs. « J’attendrais l’autre. »

Elles reviennent toutes les deux. Thésée les accueille avec transports. Ariane, rassurée, va faire un bout de toilette devant la porte du palais. Et, en effet, au premier moment, l’héroïque beau-frère, la belle-sœur ressuscitée ne parlent que de « faire leur devoir », comme des personnages cornéliens. C’est que Phèdre ne s’est pas encore dévoilée. Elle se montre en pleine lumière et Thésée reçoit un nouveau coup de foudre ; il emporte la jeune fille, comme une proie, dans la galère, qui lève l’ancre. Ariane pleure et pardonne :

Mais je ne vous hais point, vous qui m’avez laissée,

Si blessée...

Durez, serments nouveaux ! Aimez, neuves amours !

Vous n’empêcherez pas qu’un jour je fus aimée

Et que j’aimerai toujours...

C’est d’aimer en pleurant que l’âme est mieux charmée !

D’ailleurs, ayant été tour à tour Alceste et Orphée, il ne lui reste plus qu’à mourir comme Ophélie. Et elle descend lentement vers la grève, à l’appel des sirènes.

*

Tel est le scénario de la nouvelle Ariane qui, après tant d’autres, aborde la scène lyrique. En principe, il n’y a guère lieu de s’appesantir sur les livrets d’opéra, qui ne sont pas nécessairement de la littérature — ou qui en sont fort peu ; mais celui-ci est l’œuvre d’un poète qui, sur la fin de sa carrière, semble témoigner une assez vive prédilection pour le drame lyrique ; et, à ce point de vue, on ne saurait le négliger. Il a une grande qualité : il n’est pas ennuyeux. Par contre, il a le défaut d’être compliqué, mignard, enguirlandé. Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales, fignolés, tarabustés, délicieux, mais souvent parasites. Et puis, les vers de M. Catulle Mendès sont devenus presque trop savoureux ; des bavures de sucrerie les empâtent et en font des sortes de pralines duchesse confites et fondantes. C’est un goûter exquis dont se fatigue le palais.

À vrai dire, on entend peu les paroles dans l’immense vaisseau de l’Opéra-Garnier, et cette critique a peu d’importance. Je suis forcé d’en adresser une plus grave à la composition du poème. L’Ariane nouvelle n’est pas une Ariane ; son vrai titre serait Phèdre et Ariane, ou les Deux Sœurs, ou quelque chose d’analogue. L’Ariane antique, c’est le symbole de l’amour trahi, c’est le prototype de l’éternelle victime des ardeurs et des rapides désenchantements du mâle. Ariane aime. Elle est aimée. Elle est abandonnée. Elle meurt. Toute la légende tient dans le célèbre distique du lamento de la Phèdre racinienne :

Ariane, ma sœur, de quelle amour blessée

Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée...

Compliquer cette idylle tragique d’une rivalité incestueuse, c’est substituer au sujet primitif une intrigue nouvelle et toute différente, qui départage l’intérêt.

Le livret d’Ariane a un autre défaut : l’abus des situations lyriques ou romanesques, mais non dramatiques. Le poète se souvient trop qu’il est poète et s’attarde à des joliesses qui ne passent pas la rampe. Au premier acte, à l’instant le plus pathétique, nous voyons les enfants qui viennent d’échapper au Minotaure se précipiter sur la scène. Ils devraient être encore tout frémissants de l’assaut du monstre et se tasser au coin d’un décor, palpitants, atterrés, comme un troupeau de bêtes traquées. M. Catulle Mendès nous les montre, au contraire, « jolis, fous, puérils ». Ils cueillent des fruits, ils cueillent des fleurs ; les éphèbes évoquent la gloire future des Panathénées, les vierges pensent à faire les Galathées parmi les roseaux du Céphise... Que devient la vérité théâtrale au milieu de toutes ces gentillesses ?

Autre exemple : recommençant le tableau de la descente d’Orphée aux enfers et voulant faire du neuf, le librettiste a imaginé une Perséphone dont il définit ainsi l’état d’âme dans l’avertissement de la brochure : « Perséphone, pareille, mélancoliquement, à un rêve radieux et précis de Gustave Moreau, porte, pour sceptre infernal, un lis noir dans sa main lourde de pierreries, et, dans le cœur, la nostalgie des petites fleurs des champs ». Bref, c’est comme une Perséphone à âme de grisette, tel le capitaine des Gaîtés de l’escadron ; et il suffit qu’Ariane lui offre des roses pour qu’elle laisse Phèdre remonter vers la lumière... L’idée est jolie, encore qu’un peu trop subtile et précieuse, mais elle ne peut rien fournir à la scène ; elle y est inexistante, elle ne se réalise pas dramatiquement.

De même, au dernier tableau, quand Ariane a commis la gaffe invraisemblable de laisser en tête à tête, pour aller se recoiffer, Thésée, toujours vibrant, et Phèdre ramenée des enfers, le librettiste nous fait entendre le duo embarrassé et même hypocritement honteux des deux amants, qui répètent sans conviction : « Nous pourrions faire une jolie fugue du côté d’Athènes... Tu vaincrais les géants... Et toi, les Amazones... Mais nous ferons, notre devoir. » Puis, il imagine ce coup de théâtre : « Phèdre a laissé tomber son voile. Thésée la voit. C’est la première fois qu’ils se revoient, de tout près, face à face. C’est terrible et délicieux. Pendant qu’ils n’osent pas se regarder et qu’ils se regardent pourtant, l’orchestre, qui est leur cœur même, leur rappelle leurs inassouvis désirs, et tout ce qu’ils ont espéré, tout ce qu’ils ont dit. Ils ne sont plus maîtres d’eux-mêmes... » Voilà encore une situation lyrique, — romanesque aussi et qu’on pourrait analyser dans un livre, mais qui ne comporte aucune réalisation scénique. C’est très joli de dire que l’orchestre devient le cœur même de Phèdre et de Thésée en cet instant critique. Il faudrait encore pouvoir nous le montrer d’une façon objective. L’entreprise est chimérique et, malgré tout leur talent, les deux chanteurs, forcés de prendre des poses, pendant que l’orchestre s’emballe pour eux, n’arrivent pas à se dédoubler.

*

Si j’ai cru devoir signaler ces menues défectuosités du livret d’Ariane, c’est que je ne vois pas sans inquiétude les livrets d’opéra s’orienter vers des subtilités et des finesses peu compatibles avec le cadre immense — et malheureusement presque immuable — du monument Garnier. Mais, dans l’espèce, elles importent peu, car le maître Massenet a tablé sur la mosaïque de ce scénario, moins grec que byzantin, une œuvre de la plus puissante, de la plus saisissante unité.

Ariane a pris rang, dès le premier soir, parmi les grandes partitions de M. Massenet. C’est une composition d’un admirable caractère, d’une poignante humanité, d’une superbe ampleur dramatique — et, en même temps, du charme le plus pénétrant. Une spectatrice, derrière moi, la définissait une « tendre merveille ». C’est bien cela, en effet, et j’aurai plaisir à détailler, dans la prochaine revue musicale, les adorables surprises que va réserver, au public de l’Opéra, pendant de longs soirs, cette nouvelle œuvre d’un maître toujours jeune, d’une incomparable et miraculeuse jeunesse.

Je dirai aussi avec quel éclat et quelle sûreté Ariane-Bréval, Phèdre-Grandjean, Perséphone-Arbell, Cypris-Demougeot, Thésée-Muratore et Pirithoüs-Delmas ont composé leurs rôles. Pour aujourd’hui, je ne veux qu’associer dans le même triomphe le compositeur, les interprètes (sans oublier Mmes Zambelli et Sandrini, d’une grâce aérienne au tableau du duel des Grâces et des Furies) — et aussi le metteur en scène. M. Gailhard nous a donne, avec la collaboration de MM. Amable et Jambon, le véritable « grand spectacle » conforme aux traditions de l’Académie de musique, dans sa plénitude et sa splendeur.

Camille Le Senne.

Persone correlate

Compositore, Pianista

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Opere correlate

Ariane

Jules MASSENET

/

Catulle MENDÈS

Permalink

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data di pubblicazione : 18/09/23