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Critique musicale. La Princesse jaune

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CRITIQUE MUSICALE
Débuts de M. Lassalle dans Guillaume Tell. – La Princesse jaune, opéra-comique en un acte, paroles de M. L. Gallet, musique de M. C. Saint-Saëns ; partition de piano et chant chez Hartmann. – Reprise de Bonsoir voisin, opéra-comique en un acte, paroles de MM. Brunswick et A. de Beauplan, musique de M. F. Poise.

[…] Vous vous rappelez peut-être un opéra légendaire en quatre actes intitulé le Timbre d’argent, qu’il ne faut pas confondre avec la Timbale du même métal, et qui a passé de l’Opéra-Comique au Théâtre Lyrique, puis à la salle Ventadour, puis encore a l’Opéra-Comique, je ne sais même où il n’a pas passé, et chaque fois les auteurs le retouchaient selon le bon plaisir du directeur qui ne le montait jamais. Cependant, à l’Opéra Comique, on avait fini par prendre la chose au sérieux ; on avait même engagé une danseuse tout exprès, car dans le Timbre d’argent il y avait un rôle de muette, ce qui n’est pas un mérite, un rôle muet étant aussi illogique dans un opéra qu’une chanteuse le serait dans un ballet. Quoi qu’il en soit, pour faire un peu gagner à Mlle Trevisan les appointements qu’on lui payait, on fit improviser le Kobold, et pour consoler M. Saint Saëns de son Timbre fêlé, on le chargea d’écrire la musique d’un petit ouvrage en un acte.

M. Saint-Saëns ne doit pas trop regretter ses tribulations, non seulement parce qu’il a fini par atteindre son but, ce qui n’arrive pas à tout le monde, mais encore parce qu’il est toujours imprudent d’aborder le théâtre par un grand ouvrage ; il vaut mieux s’essayer d’abord dans un opéra en un acte ou, tout au plus, en deux actes, malgré ce qu’on a pu alléguer contre un début aussi modeste. Le début de M. Saint-Saëns a été heureux, du moins selon mon avis. D’après ce que j’ai dit dans mon dernier feuilleton, vous me dispenserez cette fois-ci de parler de wagnérisme ; j’ai même reproché plusieurs fois à M. Saint-Saëns de ne pas suivre une voie unique et bien marquée. Cependant dans la Princesse jaune, il a pris une route arrêtée après mûre réflexion et en y employant toute sou habileté et son talent. Sans doute, je n’approuverai pas tout dans son œuvre, et on peut dire qu’en général elle n’accuse pas un caractère assez personnel, mais n’oublions pas que c’est une œuvre de début ; la première condition pour arriver à l’originalité, c’est d’en finir avec les hésitations et de voir clairement ce qu’on veut faire et pourquoi on le veut.

La Princesse jaune n’ayant que deux personnages, l’intrigue ne saurait être compliquée ; la conclusion est prévue dès l’abord ; le but essentiel était évidemment de fournir au compositeur le moyen de montrer son aptitude à la musique théâtrale. Il n’y a pas de chœur ; après le changement de décor, on entend quelques femmes chanter à l’unisson dans la coulisse. On serait tenté de croire que c’est par respect de la couleur locale, puisque les peuples orientaux ignorent l’usage de l’harmonie ; mais Gluck, Mozart et Weber auraient autorisé M. Saint-Saëns, comme ils ont autorisé M. Bizet, à faire chanter en chœur polyphonique, les Japonais, comme les Égyptiens, les Indiens, les Babyloniens, les anciens Grecs et les Romains. Je pense plutôt que M. Saint Saëns n’a pas fait usage du chœur par parti pris ou sur la demande de la direction de l’Opéra Comique ; car à la fin de la pièce on entend une valse dans la coulisse annonçant le commencement de la kermesse ; il y avait là une seconde occasion de placer un chœur soit dans la coulisse, soit sur le théâtre, et même de faire un morceau d’ensemble assez développé.

Un jeune philologue hollandais a tant étudié le persan, le sanscrit, le chinois, le japonais, l’histoire du Japon, les merveilles du Japon, qu’il s’est épris d’une belle passion pour le Japon et même pour une Japonaise dont une tapisserie lui représente l’image.

Aller à Yeddo ou à Nangasaki serait bien long et bien coûteux ; heureusement Kornélis a découvert dans un grimoire japonais la recette d’un breuvage magique qui doit satisfaire instantanément ses désirs. Il a passé dix nuits à chercher le sens d’un mot qui l’embarrassait ; enfin il a eu recours à la science d’un certain docteur Paulus. Sa cousine Léna, le voyant rêveur et préoccupé, a la curiosité d’ouvrir les volumes qui encombrent sa table ; elle y trouve un madrigal en langue japonaise adressé à la belle Ming de la tapisserie. La traduction française qui y est jointe ne lui laisse pas de doute sur la folie du jeune docteur ; elle en éprouve une jalousie et un courroux bien légitimes. C’est la scène par laquelle commence l’opéra ; M. Saint-Saëns l’a mise en musique avec beaucoup de goût ; elle aurait même gagné à être un peu plus développée. Un petit motif de valse, bien placé d’ailleurs, montre immédiatement que le compositeur ne veut pas se brouiller tout à fait avec les habitudes de l’Opéra-Comique. On remarquera aussi une heureuse modulation sur les paroles :

Ah ! si j’étais faite ainsi,
Peut-être il m’aimerait aussi !

L’air de Kornélis « J’aime dans son lointain mystère un pays vermeil » a le caractère mélancolique et nostalgique qui convient à la situation. Je ne parle pas des effets de l’orchestre ; sur ce point, la partition de M. Saint-Saëns, comme celle de M. Bizet, prouve une habileté exquise. La mélodie de Léna, laissant un libre cours à sa douleur de se voir dédaignée et même rudoyée par son cousin, est très expressive, mais il faudrait qu’elle fût chantée autrement qu’une romance ordinaire d’opéra-comique.

Kornélis se trouvant enfin seul, se dispose à avaler le breuvage noirâtre qu’il a distillé. La prescription dit qu’il faut être prêt à risquer sa vie et avoir préalablement veillé trois nuits. Le jeune docteur en a veillé dix. Il n’en est que plus propre à subir l’hallucination. Il vide sa coupe sur une gamme chromatique ascendante ; d’ordinaire on boit sur une gamme descendante ; je ne vois nullement pourquoi l’on ne boirait pas aussi bien sur une gamme ascendante. En attendant que la liqueur opiacée fasse ses merveilles, le docteur chante une invocation où il somme l’image de sa Ming de s’animer et de devenir une Japonaise en chair et en os. C’est une mélodie en deux couplets, qui ne manque pas de charme poétique. Le poison opère et Kornélis croit voir s’ouvrir un ciel lumineux avec des nuages d’or, et les palais d’une ville flottante. Il croit entendre et il entend en effet une chanson japonaise, avec paroles japonaises que je ne saurais vous traduire ; cette chanson est accompagnée par des clochettes ou des timbres, et par quelques coups de gong ou de tamtam.

Une petite explication théorique est nécessaire ici. Les airs chinois sont faits sur une gamme de cinq notes où le demi-ton est écarté, comme par exemple serait la gamme d’ut majeur en supprimant fa et si, L’absence du demi-ton joint à la simplicité rhythmique donne à ces airs un caractère de naïveté qui en se prolongeant peut dégénérer en fadeur. La gamme des Japonais, mal connue jusqu’à présent, ne paraît pas avoir les mêmes lacunes que la gamme chinoise. 

Léna, dans la coulisse, répète la mélodie orientale, mais sur des paroles françaises exprimant ses propres sentiments, car elle termine ainsi :

Tous mes printemps sont passés
Car mes yeux se sont lassés
À pleurer mon espérance.

Voilà une erreur du compositeur ; la mélodie chinoise exprime une naïve gaieté, tandis que Léna éprouve un sentiment contraire.

Le changement de décor constitue une licence acceptable comme licence poétique, mais contestable comme licence théâtrale. Évidemment, la maison de l’oncle de Kornélis n’a pas été disposée tout exprès pour se transformer instantanément et à volonté en un pavillon japonais. L’idée la plus naturelle, c’est donc de supposer que le produit de l’hallucination de Kornélis est représenté sur le théâtre. Mais alors il faudrait que Léna, arrivant en costume japonais, représentât la princesse japonaise, que son cousin croit voir. Peu importe que la personne soit la même, puisque sous la passion extravagante du jeune docteur il doit y avoir un attachement réel et sérieux pour sa cousine. Pendant que celle-ci a pris la place de la princesse japonaise son portrait s’est substitué à celui de la princesse. C’est ici que l’auteur, c’est-à-dire M. Gallet, s’embarrasse.

Le théâtre représente ce que croit voir le personnage halluciné, et il ne représente pas du tout ce que croit voir le personnage qui a gardé son bon sens ; Léna porte un costume japonais, et elle s’imagine n’avoir pas quitté sa cornette et sa robe de laine. Elle est dans un pavillon Japonais avec vue sur la mer, et elle se figure que la chambre de son cousin avec ses vieux meubles et son énorme poêle n’a pas changé d’aspect. Elle montre son propre portrait et elle croit voir toujours la même tapisserie qu’elle déteste.

Elle est tout étonnée des grands transports de son cousin et de sa subite passion pour elle, mais il faut bien qu’elle finisse par y croire, et elle s’échappe avec peine quand le docteur devient trop pressant. Un instant après elle rentre, quand la chambre a repris sa forme première, et que l’accès de Kornélis est passé ; et voilà Léna toute désappointée en s’apercevant que son cousin s’était simplement enivré, et que ce n’était nullement à elle qu’il croyait adresser ses déclarations incendiaires. Tout le mondé est un peu mystifié dans cette affaire ; Kornélis, Léna et les spectateurs eux-mêmes, qui ne comprenant guère les paroles chantées par Mlle Ducasse, ne peuvent se rendre compte des contradictions scéniques qu’en usant le texte dans la partition ou dans le libretto.

Je reviens maintenant à la musique. Quand le truc du machiniste a répondu aux désirs du docteur, l’orchestre, par excès de couleur locale, joue un nouvel air en tonalité chinoise ; Kornélis est si impressionné par la vue des pagodes, des murailles peintes, des tentures de soie, des marchands japonais et par les parfums du thé, que lui aussi il chante pendant quelque temps dans la tonalité chinoise. Il finit cependant par s’apercevoir qu’il manque le personnage essentiel, la princesse de ses rêves ; la voilà qui entre. Ici commence un long duo répondant à la situation énigmatique que je viens de décrire, mais je déclare qu’il est impossible de juger ce morceau au théâtre.

La voix très mince de Lhérie ne saurait rendre le délire de la passion amoureuse, quoique pour le reste cet artiste rende son rôle très convenablement. Mlle Ducasse dit gentiment les autres scènes, mais elle paraît mal à l’aise sous le costume japonais ; elle joue gauchement et chante froidement et avec peu de voix la grande scène qui évidemment est la plus difficile. Après avoir assisté à la première représentation, je suis allé assister à la seconde, la partition à la main, et quoique je me trouvasse aux fauteuils d’orchestre, il m’arrivait dans beaucoup d’endroits à peine un lointain écho de ce qui aurait dû sonner à mes oreilles d’une voix chaude, vibrante et pénétrante.

Examiné de près, le duo contient des parties expressives et bien faites, mais il prête à la critique sous plusieurs rapports. Au milieu, il y a une « chanson amoureuse » que Kornélis suppose connue de sa princesse imaginaire et qui, par conséquent, doit sembler d’origine japonaise. A part quelques mesures, elle est en effet dans la tonalité chinoise ; mais précisément pour cela, elle ne paraît pas très amoureuse. Plus loin, Kornélis reprend la phrase par laquelle a débuté le chœur des Japonaises dans la coulisse, mais il la met sur ces paroles :

Indocile amante,
Tu m’obéiras,
Je te sens tremblante,
Frémir dans mes bras.

C’est la seconde erreur de ce genre. Dans la dernière partie du duo, il devrait y avoir une gradation qui n’existe pas ou qui n’est pas assez marquée. Quand Léna s’est enfuie, Kornélis retombe dans la stupeur ; lorsque le décor a changé, Léna rentre. Le duo recommence, mais avec un caractère tout différent ; Kornélis revient à lui et proteste de son amour tout nouveau, tandis que Léna, irritée d’abord du quiproquo, se moque finement de lui et ne se rend pas sans s’être fait prier.

Ah ! quelle ardeur nouvelle !
L’amour dont ton cœur est plein,
Tourne comme l’aile d’un moulin, etc.

Les motifs de la première scène sont rappelés à propos par l’orchestre ; puis Léna continue à railler son, cousin d’un ton léger. Le motif de valse dans la coulisse est joli ; la dernière partie du duo a plu beaucoup au public ; je ne lui donne pas tort ; je dirai seulement que la mélodie rentre dans ses habitudes, car on la changerait aisément en polka.

Il me reste à parler de l’ouverture ; elle est régulièrement faite et suffisamment développée ; elle commence en mouvement lent : c’est la mélodie par laquelle Kornélis exprime sa nostalgie ; puis vient un allegro dont les motifs sont empruntés au chant des Japonaises et à un allegro à deux temps dit par Kornélis après le premier changement de décor. Les deux motifs principaux de la seconde partie de l’ouverture sont donc dans la tonalité chinoise.

La Princesse jaune est régulièrement accompagnée de Bonsoir, voisin qu’on a vu autrefois au Théâtre-Lyrique, puis aux Fantaisies-Parisiennes et à l’Athénée. Thierry joue avec rondeur et entrain, quoique un peu lourdement, le rôle de Digonard ; Mlle Reine est char mante dans lé rôle de Louisette ; je l’avais vu jouer très convenablement, il y a quelque temps, le baron de Gonesse dans le Café du roi ; mais je dois lui signaler un écueil qu’elle frise en ce moment. Comme elle n’a pas reçu au Conservatoire de bonnes leçons de vocalisation, elle détonne parfois et elle s’aventure dans les notes suraiguës jusqu’au mi et au fa. Elle donne ces notes purement, mais si elle en use beaucoup, elle en subira les conséquences comme d’autres cantatrices les ont subies, car sa voix fraîche et jolie n’est pas très robuste et demande des ménagements.

Maintenant continuons un peu à raisonner. Quand après Djamileh et la Princesse jaune on entend Bonsoir, voisin, on sent aussitôt qu’on se trouve dans un monde autre. Est-ce un monde meilleur ? Telle n’est pas mon avis. Bonsoir, voisin appartient à ce genre de marivaudage musical dont les Noces de Jeannette sont restées le meilleur type. […]

J. Weber

Persone correlate

Giornalista

Johannès WEBER

(1818 - mars 1902)

Compositore, Organista, Pianista, Giornalista

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Opere correlate

La Princesse jaune

Camille SAINT-SAËNS

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Louis GALLET

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data di pubblicazione : 03/11/23