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La Musique. L'Ancêtre

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LA MUSIQUE
Au théâtre de Monte-Carlo : première représentation de l’Ancêtre, drame lyrique en trois actes, poème de M. Augé de Lassus, musique de M. Camille Saint-Saëns.

Amant alterna Camenæ. Les Muses de Monte-Carlo aiment les chants alternés de M. Massenet et de M. Saint-Saëns. Chaque année, elles offrent l’hospitalité du théâtre dont elles sont souveraines à l’un ou à l’autre de ces maîtres illustres. C’est tantôt M. Massenet avec son Jongleur de Notre-Dame, et tantôt M. Saint-Saëns avec son Hélène ; puis M. Massenet revient accompagné de Chérubin ; et cette fois enfin M. Saint-Saëns présente l’Ancêtre aux spectateurs qui de tous les pays du monde accourent vers la Méditerranée d’azur. On ne peut se succéder avec plus de régularité que ne font ici l’auteur de Manon et celui de Samson et Dalila ; les années impaires appartiennent au premier, les années paires au second. Et tous deux appartiennent à Monte-Carlo : Monte-Carlo est le seul lieu de l’univers où depuis quatre ans on puisse voir représenter pour la première fois les ouvrages nouveaux de nos deux musiciens les plus glorieux ; il vaut bien la peine qu’on aille à Monte-Carlo. Allons-y donc cet hiver pour M. Saint-Saëns ; nous y retournerons pour M. Massenet l’hiver prochain : amant alterna Camenæ.

Le sujet de l’Ancêtre est une histoire corse, histoire de vendetta naturellement, qui comme toutes les histoires de vendetta semble avoir pris de plus ou moins loin Colomba pour modèle. Voici. Premier acte. Un site sauvage dans les montagnes de Corse. Un ermitage entouré de ruches d’abeilles ; près de l’ermitage, deux chapelles funéraires dont l’une porte gravé sur son fronton le nom de Fabiani, et l’autre le nom de Pietranera. Le jour naît. Le Père Raphaël, vieil ermite à barbe blanche, sort de son logis, bénît le soleil levant, les oiseaux et les fleurs. Les abeilles éveillées par l’aurore sortent des ruches et l’enveloppent de leur bourdonnement ; il leur parle, il les appelle ses petites sœurs, ainsi que saint François d’Assise.

L’ermite a formé le projet de réconcilier en ce jour les deux races des Fabiani et des Pietranera, races ennemies que sépare un long et tragique passé de haine, de vengeance et de sang. Le chef des Pietranera est Tebaldo, jeune officier des armées de Napoléon, que la paix vient de ramener au pays natal ; le chef des Fabiani, de même âge à peu près, s’appelle Leandri. Mais plus qu’à cet adolescent, la famille entière obéit à sa grand’mère, la vieille Nunciata, ancêtre farouche et formidable. Le Père Raphaël a convié les représentants des deux maisons à venir devant lui abjurer solennellement leurs inimitiés ; il les attend. Tebaldo paraît d’abord avec les siens : les guerres, les conquêtes, la gloire, le spectacle prodigieux de l’épopée impériale ont affaibli en lui le ressentiment des querelles de clocher ; il consentirait volontiers à l’oubli du passé. Chez ses adversaires, plus d’un cœur, comme le sien, désire l’apaisement et le pardon. Vanina, sœur de Leandri, et Margarita, orpheline recueillie dans la maison des Fabiani, aiment toutes deux le bel officier, dont elles furent les amies dans leur enfance, avant qu’une haine mortelle eût séparé les deux races. Mais leur secrète inclination ne peut rien sur la destinée : c’est de Leandri, le chef, c’est surtout de Nunciata, la grande aïeule, que dépend l’avenir. 

Voici qu’ils viennent ensemble, la grand’mère s’appuyant sur le petit-fils. L’ermite s’adresse à elle, la supplie de renoncer à la vengeance. Elle ne répond pas. Pour toucher ce cœur inflexible, il implore le Seigneur, et tous les assistants, parents, amis, serviteurs des Fabiani et des Pietranera, redisent après lui sa prière. Nunciata reste muette. Sa petite-fille Vanina la conjure de pardonner. Elle garde le silence. Une dernière fois, le Père Raphaël lui demande, de « jurer la paix et l’oubli ». « Non ! » répond-elle enfin ; et sur ce seul mot, elle s’éloigne lentement, soutenue par Leandri. L’ermite lui prédit en vain que le ciel châtiera cruellement sa dureté : elle ne tourne pas même la tête. Les partisans des deux familles se dispersent : entre eux, la guerre est à nouveau déchaînée. Au moment où Margarita l’orpheline va sortir, Tebaldo la retient. Ils se rappellent l’un à l’autre leurs jours d’enfance ; ils s’avouent leur amour, que le temps et l’absence n’ont fait que rendre plus fort, et ils se quittent en se jurant de s’aimer toujours, malgré la vendetta. Le vieil ermite reste seul. Le soir est venu ; les abeilles en bourdonnant rentrent dans les ruches, et comme le matin, le Père Raphaël parle à ses « petites sœurs ». La nuit tombe ; le rideau aussi… Il y a trois quarts d’heure à peine qu’il s’est levé avec L’aube, et que les abeilles sont sorties de leurs ruches ; déjà le jour est achevé, et les abeilles, leur tâche accomplie, s’endorment sous leur toit de chaume. Ces travailleuses ailées sont en avance sur notre époque et sur les mœurs des hommes : elles n’en sont plus à la journée de huit heures, mais à la journée d’une heure ; d’une heure moins le quart. Je sais bien que la convention a ses droits au théâtre, et que dans toutes les pièces on a coutume de faire marcher le temps plus vite qu’il ne marche dans la réalité. Mais la convention est ici vraiment excessive ; et elle apparaît d’autant plus énorme, qu’entre le lever et le coucher des abeilles, il s’est passé peu d’événements : cette fuite précipitée des heures n’a évidemment d’autre raison que d’offrir au compositeur un prétexte à commencer et à terminer son acte par le même effet musical, celui du bourdonnement des abeilles. La raison est faible, et l’artifice un peu gros. 

Deuxième acte. Chez les Fabiani. Une vaste cour rustique, entre des bâtiments d’aspect sévère. Au fond, une large porte ouverte sur la campagne. Il fait nuit. Vanina, seule, rêve tristement. L’anathème de l’ermite l’épouvante, et elle se voit séparée à jamais de Tebaldo qu’elle aime. Soudain, au loin, dans les ténèbres, un chant lugubre se fait entendre. Vanina tressaille d’effroi. Le chant se rapproche, grandit : c’est le chant des morts. Le voici tout près de la maison ; et devant la porte, des hommes apparaissent, qui portent un cadavre sur une civière de branchages. Vanina découvre le visage du mort et reconnaît son frère Leandri. Des bergers l’ont trouvé dans la montagne, frappé d’une balle au cœur, et l’ont rapporté en chantant le Requiem. Le long du chemin, le funèbre cortège s’est accru des parents, des amis et des serviteurs des Fabiani ; et maintenant ils sont tous là, dans la cour de la maison familiale dont le maître vient de périr. Tout à coup, l’ancêtre, la vieille Nunciata, éveillée par le bruit, surgit au milieu de la foule. Elle marche à tâtons vers la civière, elle voit son petit-fils assassiné. Désespérée, impérieuse et farouche, elle impose silence aux plaintes, aux lamentations, aux chants religieux. Comme Brunhilde devant le corps de Siegfried, elle veut parler seule devant le corps de Leandri ; elle prononce le vocero de son enfant, du dernier de sa race. Elle fait l’éloge de sa bonté, de sa vaillance, elle appelle sur le meurtrier la vengeance et la mort. Mais qui sera le vengeur ? Il n’y a plus d’homme dans la maison. Nunciata est trop vieille ; ses yeux sont troublés, sa main tremble. C’est à Vanina que revient la sanglante besogne. Éperdue, elle veut d’abord s’en défendre. En vain : il faut qu’elle jure la vendetta. Et à peine a-t-elle juré, qu’un serviteur vient lui révéler le nom du meurtrier : c’est Tebaldo. 

Troisième acte. Un vallon plein de fleurs, qui descend vers la mer bleue. Une source coule au fond. Sur la pente s’élève une chapelle. Quelques jeunes femmes emplissent leurs cruches à la fontaine ; elles causent entre elles de la mort de Leandri. La venue de l’ermite Raphaël les met en fuite. Le vieux moine attend en ce lieu Tebaldo et Margarita dont il protège les innocentes amours, et qu’il va marier dans la chapelle, avant qu’ils partent ensemble pour une contrée plus clémente. Tebaldo paraît ; c’est bien lui qui a tué Leandri, mais il n’a pas été l’agresseur attiré dans un piège, il n’a fait que se défendre. Margarita le rejoint bientôt ; l’ermite souhaite aux amoureux le bonheur, et les conduit vers la chapelle où il bénira leur union. À peine ont-ils disparu, qu’entre Vanina. Depuis la mort de Leandri, elle est douloureusement partagée entre le devoir de venger son frère mort et sa passion pour le meurtrier. Soudain elle entend la voix de Tebaldo et de Margarita qui échangent des paroles d’amour. La jalousie la saisit ; la haine est un moment victorieuse dans son âme. Elle s’arme du fusil d’un serviteur : elle tuera. Nunciata, l’ancêtre, survient à son tour ; elle encourage sa petite fille ; elle lui commande de tirer quand Tebaldo sortira de la chapelle. Mais au moment de faire feu, Vanina laisse tomber l’arme déjà levée : « Je ne puis pas. Je l’aime… » Nunciata maudit la lâcheté de Vanina, et ramasse le fusil : c’est elle qui fera justice. Si sa main tremble, si ses yeux sont affaiblis, la haine guidera sa balle. Elle sort, poursuivant Tebaldo et Margarita qui déjà sont loin. Vanina la suit en courant. Un coup de feu retentit. Et bientôt Vanina revient sanglante et défaillante. Elle tombe inanimée : la balle de sa grand’mère s’est égarée et l’a frappée à mort. La prophétie du vieil ermite s’est accomplie. Le ciel a châtié le cœur impitoyable de l’ancêtre Nunciata : la race des Fabiani est anéantie.

Vous apercevez sans doute, par ce résumé fidèle de la pièce, que l’action en est dépourvue d’originalité et de profondeur, que les caractères des personnages sont faibles et insignifiants. Tebaldo, Margarita, Vanina, l’ermite, autant de pâles figures de convention qui n’ont aucun trait particulier, aucun signe de vie et d’humanité. L’Ancêtre est un fait-divers mis en opéra. Le goût que M. Saint-Saëns a pour cette sorte de sujets extérieurs, superficiels, sommaires, médiocrement lyriques, est une chose inexplicable. Mais c’est un goût opiniâtre, et si l’on peut toujours s’en étonner, il serait vain de le discuter. La musique que l’illustre auteur de Samson a écrite pour l’Ancêtre s’accorde malheureusement trop bien avec le livret : elle est aussi sommaire, aussi superficielle, aussi extérieure que lui. On ne voit presque nulle part la volonté de pénétrer les âmes des personnages, de saisir leurs sentiments dans leur essence, d’exprimer fortement et pleinement leurs émotions et leurs passions. On dirait que le musicien se contente d’appliquer sur les mots du texte une traduction quelconque, qui n’est point inexacte, mais brève, hâtive, et comme négligente, de placer l’un après l’autre une suite de morceaux sans lien, aussi détachés, aussi indifférents, aussi accessoires que des pages d’album. Voyez de quoi se compose le premier acte. Un hymne pieux du bon ermite, point déplaisant, mais d’une onction assez fade. Un aimable effet descriptif de l’orchestre, imitant le bourdonnement des abeilles. Après quelques scènes de récit dialogué, une prière par laquelle l’ermite demande au Seigneur de donner la paix aux familles ennemies, prière bientôt reprise par les chœurs, prière dont l’idée et le développement ne révèlent rien qu’une banalité sans effort. Un duo d’amour entre Tebaldo et Margarita, le plus médiocre morceau de la partition, morceau véritablement regrettable par la vulgarité du chant et la frivolité de l’accompagnement, ordinaire duo de salon, comparable aux plus fâcheux exemplaires du genre. Puis, à la fin de l’acte, un retour de l’effet instrumental qui évoque les abeilles bourdonnantes, effet assez agréable sans doute, mais bien facile, et dont il serait impertinent de louer un artiste tel que M. Saint-Saëns : M. Théodore Dubois n’a-t-il pas fait, lui aussi, une pièce de piano où il représente non sans fidélité le bruissement du vol des abeilles ?

Inutile de poursuivre plus loin cette énumération. Le fait essentiel, le fait surprenant est celui-ci. Le livret de l’Ancêtre, si dénué qu’il soit de force et de vie, offrait à M. Saint-Saëns trois situations à peu près dramatiques et lyriques. Au premier acte, la réconciliation tentée par l’ermite, ses prières, et le refus implacable de Nunciata. Au deuxième, la reconnaissance par l’aïeule du cadavre de son petit-fils, et sa déploration funèbre, son appel à la vengeance, devant les partisans de sa cause et de sa race. Au troisième, la lutte, dans le cœur de Vanina, de l’amour pour le meurtrier de son frère et du devoir terrible que lui impose la loi familiale. De ces trois situations, M. Saint-Saëns n’a traité aucune : il n’en a rien tiré, il n’en a rien fait ; il ne paraît pas même avoir songé à rien en faire. Au premier acte, il s’est contenté de faire chanter par l’ermite une phrase d’invocation médiocrement originale, faiblement significative, que le chœur après lui répète sans nul changement. Au deuxième acte, on pouvait, sans excès d’imagination, s’attendre à une scène assez frappante : ces ténèbres, ce logis où l’on apporte le corps du maître assassiné, cette aïeule pleurant la mort du dernier de ses enfants, cette lamentation douloureuse, furieuse et vengeresse, à laquelle s’unit une foule pleine de la même haine et delà même douleur ; tout cela, mis en œuvre par un musicien comme M. Saint-Saëns, devait donner matière à un tableau saisissant et puissant, à de vastes ensembles fortement construits, amplement développés, émouvants à la fois par l’énergie de l’expression et par la grandeur de l’ordonnance. Tout cela n’a donné matière à rien ; et l’on avait tort d’imaginer quelque chose. M. Saint-Saëns n’a fait que placer dans la bouche de la vieille Nunciata une déclamation, juste sans doute, mais sans grand accent, et qui même à la fin devient faible et précipitée ; il ne s’est point servi des chœurs, ou si peu qu’il vaut mieux n’en point parler. Là comme ailleurs, il s’est borné à traduire littéralement le texte du livret, sans y rien ajouter, sans l’élargir, sans l’approfondir, sans le fortifier de toute la force, de toute la profondeur, de toute l’ampleur que la musique contient en elle. Et parce qu’en cette scène le livret proposait à la musique des possibilités plus vastes, c’est ici que la traduction toute sèche de M. Saint-Saëns paraît le plus insuffisante. Quant à la situation du troisième acte, au combat intérieur qui se livre dans l’âme de Vanina, il est impossible de rien dire de la façon dont M. Saint-Saëns l’a traitée. Elle s’exprime dans un monologue dépourvu de toute émotion, et dans un quatuor qui, à la vérité ; est fort habilement écrit pour les voix : mais doit-on se résigner à n’attendre de M. Saint-Saëns que cela ?

Le cas de ce grand musicien est certes un des plus déconcertants qui soient. Avoir fait Samson et Dalila, avoir fait la Symphonie en ut mineur, deux œuvres d’une ampleur et d’une force exceptionnelles, et depuis lors, produira tant d’ouvrages petits, étroits, accessoires, tout en détails et tout en surface, c’est un problème insoluble, c’est une énigme impénétrable. Il semble que M. Saint-Saëns le fasse exprès, car M. Saint-Saëns peut, faire tout ce qu’il veut. Pourquoi veut-il faire ce qu’il fait ? Pourquoi ne veut-il pas autre chose, qui servirait mieux sa gloire ? Sans doute dans l’Ancêtre, comme en toutes ses compositions, on peut louer l’admirable sûreté de sa technique, la netteté, la facilité de son harmonie, l’élégance et la sobriété de son orchestre, la clarté et la pureté de tout son art. Mais à quoi bon tant de qualités, pour les employer à si peu de chose ? La Bruyère a écrit : « C’est faire de la pureté et de la clarté un mauvais usage, que de les faire servir à une matière sans utilité et sans nouveauté : que sert aux auditeurs de comprendre aisément et sans peine des choses faibles et frivoles, quelquefois fades et communes, et d’être moins incertains de la pensée d’un auteur qu’ennuyés de son ouvrage ? » M. Saint-Saëns m’a fait plus d’une fois songer que si La Bruyère était sévère, il n’était pas injuste.

L’interprétation de l’Ancêtre a été exceptionnellement brillante, même pour Monte-Carlo. Les rôles principaux étaient tenus par M. Renaud, M. Rousselière, Mme Litvinne, qui nous sont déjà connus, et Mlle Farrar, jeune cantatrice de l’Opéra de Berlin, qui n’a pas encore paru sur les scènes parisiennes. Elle a obtenu, sous les traits de Margarita, un succès très vif, mérité par une voix charmante, un chant expressif et un jeu gracieux. Mme Litvinne, qui figurait l’Ancêtre Nunciata, a comme à l’ordinaire épandu généreusement sa voix admirable. M. Renaud a été excellent dans le personnage de l’ermite, et M.  Rousselière a interprété celui de Tebaldo avec un éclat et une chaleur remarquables. L’orchestre a été habilement et sûrement dirigé par M. Léon Jehin. Les chœurs ont été étonnants d’aplomb, d’énergie et d’entrain. Les décors sont pittoresques ; le dernier surtout, celui du vallon fleuri, est lumineux et joyeux à souhait. Et M. Gunsbourg a mis la pièce en scène avec cette animation, ce mouvement et cette couleur qui sont ses qualités particulières.

Pierre Lalo.

Persone correlate

Giornalista

Pierre LALO

(1866 - 1943)

Compositore, Organista, Pianista, Giornalista

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Opere correlate

L’ Ancêtre

Camille SAINT-SAËNS

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Lucien AUGÉ DE LASSUS

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data di pubblicazione : 29/07/24