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Les premières. Déjanire

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Les Premières […]
À l’Opéra : Déjanire.

M. Saint-Saëns s’amuse. Je ne dis pas qu’il nous amuse, par exemple ! Mais il s’amuse prodigieusement… Il s’amuse à mystifier une fois de plus son public, qui, naturellement, n’y voit que du feu. Car, ne vous y trompez pas, M. Saint-Saëns est un ironiste, qui se moque de tout le monde, et de lui-même, peut-être, dans le fond. Voici qu’il nous invite à entendre, à l’Opéra, cette Déjanire, qui a déjà paru aux Arènes de Béziers et au théâtre de Monte-Carlo : et il nous demande de l’écouter sérieusement, comme nous ferions pour une tragédie lyrique de Gluck ; et il l’a fait jouer sérieusement par des acteurs tragiques. Or, je vous le dis en vérité, Déjanire est une opérette, ni plus, ni moins, et des plus bouffonnes ; mais il faudrait qu’elle fût transportée sur la scène des Variétés pour qu’on en aperçût l’immense « charge ». Il était, du reste, infiniment plus plaisant, on l’avouera, de la faire représenter à l’Opéra et applaudir comme une œuvre de haut style et de profonde inspiration. 

Vous ne me croyez pas ? Suivez attentivement le livret : Hercule entre en scène au Ier acte, et tout de suite, nous tient à peu près ce tangage « Je suis Hercule, l’homme indomptable, le tueur de monstres. Mais si j’ai de gros bras, et une lourde massue, je n’en ai pas moins un cœur et j’aime une petite femme. » Et durant toute la pièce, le farouche Hercule, oubliant tous ses travaux, ne songera qu’à cette petite femme, d’ailleurs charmante, sous les traits de Mlle Yvonne Gall... Psychologie sommaire qui ramène les héros de l’antiquité aux proportions de notre médiocrité contemporaine, qui insiste sur leurs plus pitoyables faiblesses, qui invoque les plus mesquins motifs pour expliquer leurs actes ! Point d’héroïsme, point de situation tragique ! Nous sommes en pleine opérette. Les scènes de ménage entre Hercule et Déjanire ne dépassent pas le niveau moyen des querelles entre Parisiens et Parisiennes du xxe siècle. Le seul instant qui pourrait être vraiment dramatique, celui de la mort d’Hercule dans les affreuses douleurs qu’il éprouve après avoir revêtu la tunique de Nessus, est escamoté : un cri, et puis c’est tout ! Le héros reparaît dans le ciel, à côté de Jupiter, et tout se termine comme dans un apothéose de « Revue ».

Mais la musique ? me direz-vous. – Ici, il faut faire deux parts. Tantôt M. Saint-Saëns s’est diverti, – jeu de savant, – à de subtiles fantaisies mélodiques sur les anciens modes grecs, et alors il ennuie tout le monde. Tantôt au contraire, surtout vers les fins d’acte, il soigne ses effets, il veut plaire, et il ne dédaigne pas des moyens qu’on dirait empruntés à Offenbach ou à Lecocq. Écoutez plutôt les séductions câlines de l’orchestre sur un motif de danse voluptueuse quand Déjanire adresse à son mari des paroles flatteuses, et d’ailleurs hypocrites ; ne sommes-nous pas tout près de la valse traditionnelle des duos d’amours du Petit Duc ou de la Veuve Joyeuse ? En conduisant ce duo, M. Messager n’a-t-il pas pensé aux Petites Michu ? Écoutez encore la romance que « soupire » Hercule au IVe acte : « Viens, ô toi dont le clair visage... » N’est-ce pas tout à fait « jeune premier d’opérette » ? Sentimentalisme à fleur de peau, fatuité de bellâtre, fadeur pommadée, tout y est. M. Muratore fut bissé, comme autrefois Piccaluga l’était dans Miss Helyett, et pour les mêmes raisons. 

Tout de même, le public, qui n’avait pas su rire où il aurait fallu, et qui avait observé, au contraire, un grave recueillement en présence d’une œuvre qu’on dit devoir être la dernière du Maître, le public n’a pas trouvé la soirée très gaie. « Admirable orchestration ! » disait-on dans les couloirs. « Et quels beaux chœurs ! » On sait ce que cela veut dire, et ce que pensent d’un opéra ceux qui n’en louent que l’orchestre et les chœurs. Heureusement, on s’est rattrapé sur les décors, les costumes et les danses ! Après tout, n’est-ce pas le principal ? Vous pensez bien qu’on n’avait pas habillé les Grecs en Grecs : c’eût été par trop banal. On sait du reste que, depuis deux ou trois ans, les Grecs ne portent plus au théâtre que le costume assyrien. Quant aux danseuses, elles dansent à la russe, naturellement mais ce fut exquis, et l’on ne regrettait qu’une chose : c’est que la direction de l’Opéra, par un dernier scrupule, « par respect pour le caractère officiel d’un théâtre subventionné », après avoir aboli les tutus, eût maintenu les maillots. Rassurez-vous, elles finiront bien par les laisser de côté, pour nous montrer leurs jambes et leurs pieds nus : tout le monde en serait ravi, et elles en meurent d’envie, les pauvres petites ! 

Un mot des interprètes : M. Muratore a toujours une magnifique prestance et une très belle voix ; il en a même deux, une de fort ténor et une de ténor léger, entre lesquelles il ne sait pas ménager d’assez adroites transitions. M. Dangès n’en a qu’une, et ce n’est pas celle de son emploi : là où on attend le timbre grave du baryton, il nous donne l’impression d’un second ténor. Mlle Gall et Mlle Charny ont fait apprécier des talents très sûrs. Mme Litvinne dominait l’ensemble de son incomparable soprano dramatique. Ajoutons qu’elle semble être la seule à comprendre à certains moments, par exemple à son entrée du premier acte, le caractère bouffon de la pièce et le comique de son rôle. Elle le rend tout au moins à merveille. 

P. L.

Persone correlate

Compositore, Organista, Pianista, Giornalista

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Opere correlate

Déjanire

Camille SAINT-SAËNS

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Louis GALLET Camille SAINT-SAËNS

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data di pubblicazione : 23/09/23