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Causerie dramatique. Namouna

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CAUSERIE DRAMATIQUE
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE ET DE DANSE : Namouna, ballet en deux actes, de MM. Nuitter et Petitpa, musique de M. E. Lalo. […]

Enfin nous avons eu le ballet de Namouna, depuis si longtemps attendu ! Enfin nous avons fait faillite ! aurais-je envie d’ajouter, en rééditant une annonce célèbre, car Namouna a fait faillite à nos espérances et à nos désirs. Il faut malheureusement enregistrer un insuccès, assez accentué surtout le soir de la première représentation, dont on peut appeler, mais sans pouvoir espérer obtenir de l’opinion autre chose qu’un succès d’estime. Qu’on le dise un peu brutalement ou avec politesse, Namouna est une œuvre ennuyeuse, et c’est le pire blâme que puisse encourir un ballet.

Namouna se présentait à nous sous de fâcheux auspices, et le personnel du théâtre, superstitieusement, considérait que ce ballet « portait la déveine ». Au moment où on commençait à le mettre à l’étude, le musicien, M. Lalo, était gravement frappé de maladie ; il fallait arrêter le travail et confier à M. Gounod, dit-on, le soin d’orchestrer un bon tiers de la partition ; puis c’était Mlle Sangalli, la principale interprète, qui tombait malade à son tour. Namouna apparaissait et disparaissait sur l’affiche. Ces ajournements ne disaient rien de bon. On racontait que ce ballet ne serait jamais joué, et que son auteur n’avait récemment reçu la croix d’officier qu’en compensation du retrait annoncé de Namouna. Tous ces bruits ne prévenaient pas le public en faveur de l’œuvre. Ajoutez que les abonnés et les habitués de l’Opéra sont divisés en deux camps. Quoique, dans un récent divertissement, Mlles Sangalli et Mauri se soient embrassées, leurs partisans ne prennent pas au sérieux cette réconciliation et continuent à se faire la guerre. Il n’est pas jusqu’au krach de la Bourse, à ce qu’on raconte, qui n’ait eu son contre-coup à l’Opéra. Un banquier qui passe pour avoir gagné gros à la débâcle de l’Union générale s’intéressait à Namouna, et les perdants en avaient conçu une mauvaise humeur noire contre le ballet. Tout conspirait contre la pièce nouvelle. Et, malheureusement, pour lutter contre ces dispositions fâcheuses, la musique de M. Lalo n’a que des mérites sévères qui demandent, pour être goûtés, beaucoup d’attention et un peu de bonne volonté. Ajoutons enfin, pour ne rien oublier, que Namouna a passé pour avoir été imposée à l’Opéra, bruit qui, fondé ou non, n’était pas fait pour assurer à ses auteurs les sympathies des musiciens et de leurs amis, gens fort exclusifs, et qui n’admettent pas volontiers que le ministère intervienne, — quand ce n’est pas en leur faveur 1

Le libretto de Namouna n’est pas bon. Je suis bien fâché d’avoir cet avis, que je ne saurais dissimuler, l’un des auteurs étant M. Nuitter, dont nous apprécions tous le talent autant que nous gardons de sympathie à sa personne. J’imagine volontiers que M. Nuitter a été trop modeste pour son œuvre. Il aura trop aisément consenti à ne faire pas autre chose que fournir un cadre quelconque aux « pas » et « ensembles » réglés par son collaborateur M. Petitpa, et trop aisément accueilli cette idée qu’un ballet est assez bon qui fournit des prétextes aux décors et aux évolutions de la danse. C’est une erreur. Un ballet est autre chose qu’un « divertissement » ; c’est un petit drame, et il faut y trouver les qualités essentielles de tout drame, la clarté, la logique, l’intérêt, la vraisemblance même, étant réservée la part de convention qui appartient au genre. Namouna manque un peu de tous ces mérites nécessaires.

Le premier tableau, très court et tout entier mimé sans danses, nous montre le seigneur Adriani et le seigneur Ottavio, en costume Louis XIII, faisant ensemble une partie acharnée de dés dans un casino de Corfou. Ottavio gagne à son adversaire ses trésors, son bateau et, jusqu’à son esclave Namouna. Mais, généreux comme un joueur, – à ce qu’on dit, – Ottavio donne sa liberté à l’esclave et lui fait cadeau, par-dessus le marché, de l’or et de la barque d’Adriani. Au second tableau, sur une place de Corfou, Ottavio donne une sérénade à sa maîtresse, noble dame de la ville, dont tout le rôle consiste à se promener avec dignité, vêtue d’une belle robe à queue et suivie d’un nègre portant un parasol éclatant : un tableau de Véronèse, mais mal mis en place. Adriani, aussi mauvais joueur qu’Ottavio est beau gentilhomme, tombe sur les musiciens de la sérénade et provoque son vainqueur. Les deux hommes tirent l’épée. Mais voici que Namouna, déguisée en marchande de fleurs, c’est-à-dire rendue méconnaissable par une demi-douzaine de bouquets qu’elle tient à la main ! – interrompt le duel par ses entrechats. Puis, comme nous sommes en carnaval, la scène est envahie par les Corfiotes en liesse, manifestant surtout leur joie en jouant du cornet à pistons, juchés sur une voiture. Namouna reparaît, déclare son amour à Ottavio, s’empare de lui, et le fait danser, coram populo, avec elle, sous les fenêtres de la belle dame qui disparaît comme elle était venue, sans qu’on puisse savoir à quoi elle sert. Toujours poursuivi par Adriani, Ottavio paierait de sa vie le pas qu’il a dansé avec Namouna, si les gens de celle-ci ne dispersaient les bravi d’Adriani et n’emportaient Ottavio dans le bateau qui part aussitôt. Le troisième tableau nous mène dans une autre île de l’archipel, chez un marchand d’esclaves qui paraît fort bien achalandé. C’est de chez lui que sort Namouna. Elle retourne chez son ancien maître pour racheter toutes ses compagnes de captivité. Et, comme un bienfait n’est jamais perdu, celles-ci, lorsque Adriani arrive à la poursuite d’Ottavio avec une armée de bravi, grisent tous ces coquins, les font danser, tes désarment, tandis qu’un petit Grec, dont on ne se doutait pas jusque-là, apprend à Adriani, avec un bon coup de couteau, que s’il est indélicat de jouer sa maîtresse aux dés, il est encore plus mal, l’ayant perdue, de vouloir la reprendre de force. Sur ce dénouement, la toile tombe, Ottavio et Namouna partent en bateau pour le pays des amours, sûrs, cette fois, que ce fantoche sinistre d’Adriani ne viendra plus les troubler.

Même pour un ballet, ce conte à dormir debout est, en vérité, trop absurde ! Cette situation unique, ce grand escogriffe d’Adriani courant sans cesse après Ottavio, il y a là de quoi donner un peu d’impatience au spectateur. Il semblait qu’il fût aisé, avec les grandes libertés que comporte le ballet, de trouver quelque chose de plus ingénieux, de plus dramatique, de plus poétique. On n’a vraiment pas voulu s’en donner la peine. Que si les auteurs méritent une pénitence, comme je voudrais que la pénitence fût douce, je les condamnerais volontiers à relire les cinq ou six libretti des ballets de Gautier. Ils verraient avec quel soin, avec quel amour, le poète a composé ses ingénieux récits, perpétuellement préoccupé de la clarté, de la variété, du groupement des figurants, du dramatique de la mimique ! Ce sont des modèles, mais qu’on ne doit pas désespérer à l’égaler, avec les ressources de l’Opéra, il faut seulement bien partir de ceci, que, si l’auteur d’un ballet doit compter avec le maître de danse, il convient que celui-ci ne soit pas le maître trop absolu du libretto et ne sacrifie pas le sujet à ses combinaisons de pas.

Si le libretto de Namouna a justement été trouvé mauvais par tout le monde, je ne partage pas l’opinion de ceux qui ont pensé qu’il ne fournissait pas au musicien l’occasion de montrer son génie. Comme prétexte à musique ; il en vaut d’autres ! Au premier tableau, à côté de la scène du jeu, banalement rendue par des fusées d’instruments qui ont la prétention d’exprimer la chute des dés, le musicien a eu une belle phrase à faire dire à Namouna ; phrase, qui revient dans les préludes qui sont intéressants. Le second tableau est riche en thèmes pour le musicien. Il s’ouvre par une sérénade qui n’est qu’ingénieuse, se continue par la valse de la bouquetière, qui, sans assez d’originalité peut-être, a du charme. Mais les musiciens du carnaval corfiote, montés sur un char et

soufflant dans des cuivres,
Ainsi que des démons !

ces musiciens enragés ont tout gâté. Leur fanfare est banale autant que bruyante et ressassée à ce point qu’on a dû, depuis la première représentation, élaguer trois ou quatre reprises. Mais, a-t-on dit, c’est là une musique de foire, et l’auteur est resté dans la vérité en lui gardant ce caractère. S’il en est ainsi, si une intention comique a existé vraiment chez le musicien, il fallait nous en prévenir, ce qui était aisé en donnant aux joueurs de trompettes un costume et une allure grotesques. L’idée parodique eût alors été claire, tandis qu’à la façon dont les choses nous sont présentées, cette fanfare a été justement prise pour une grosse erreur du compositeur. Ceux qui connaissent les œuvres de M. Lalo, qui, exécutant remarquable avant d’être un compositeur, a écrit, outre deux opéras, une quantité considérable de musique de chambre, ceux-ci savent seuls que ses qualités sont la distinction et la science, et peuvent voir, dans cette fâcheuse fanfare, un effet voulu de vulgarité. Tout le monde, d’ailleurs, a reconnu un musicien délicat dans la phrase initiale du troisième tableau, le réveil des esclaves, et dans l’air dansé pour flûte, avec un accompagnement étouffé de cymbales, qui a tous les mérites, le rythme, la mélodie et l’invention. Mais, il faut l’avouer, ces jolies qualités, cette science, tout a paru noyé dans une mer de notes inutiles ! Le musicien procède par petits détails, par menus fragments de pensées mélodiques, enchâssées avec art. Mais que n’aurait-on pas donné pour trouver une inspiration large, développée « carrément », pour rencontrer, dans un ballet, un rythme qui fit battre la mesure aux pieds, une valse qui entraînât les auditeurs ! C’est, à proprement parler, l’inspiration qui fait défaut. La musique de danse n’a pas besoin de toute la science que M. Lalo a mise dans sa partition. Cette science peut faire la joie d’amateurs savourant un quatuor. Elle ne suffit pas au public de l’Opéra qui demande, avant tout, de la musique d’expression. Prenons, par exemple, l’orgie des brigands au troisième tableau de Namouna. Il y a là de véritables curiosités musicales. N’empêche que douze mesures de l’orgie de Zampa, faites avec peu de chose, frapperont davantage. Et, n’en déplaise aux musiciens de profession, le public a raison. Le ballet et la pantomime comportent des effets clairs et simples. Les sentiments doivent être exprimés avec force, la musique suppléant à la parole qui manque aux mimes. Quant à la danse, je suis comme ces bonnes gens (traités de philistins par quelques-uns) qui veulent qu’un portrait soit ressemblant et qu’une musique à danser soit dansante. Vous aurez beau me dire que le « morceau de peinture » est beau et que le travail de l’orchestre est ingénieux. Certes, je ne dédaigne pas ces qualités : mais l’essentiel fera toujours défaut à mes yeux.

Il y a trois décors dans Namouna, tous trois intéressants, quoique inégalement originaux. La taverne du premier tableau n’est que convenable. La place publique de Corfou est déjà un décor plus important. Il a ce caractère de vérité qui est maintenant ordinaire à nos grands artistes décorateurs. Mais le décor ne m’a pas paru approprié assez à l’action. Puisque nous étions en carnaval, pourquoi ne pas égayer la scène par des tentures, des baraques foraines ? On en eût mieux supporté cette fameuse fanfare dont je parlais tantôt. Le dernier décor enfin, le harem du marchand d’esclaves, sur la mer, est le plus poétique des trois. La scène est occupée et ombragée par un seul arbre immense, et, à travers son feuillage et sous ses branches, on aperçoit une adorable vue de mer, la Méditerranée bleue comme une cuve d’indigo, avec des vagues crespelées qui la rayent de blanc. C’est tout à fait exquis. Mais, comme il faut savoir prévoir les malheurs de loin, je signale dans ce joli décor une légère et dangereuse tendance au japonisme, si fort à la mode aujourd’hui.

Il n’y a de rôle, dans Namouna, que pour Mlle Sangalli. Le farouche Adriani ne danse pas — il ne manquerait plus que ça ! — et le doux Ottavio danse peu. Un danseur, M. Vasques, je crois, est venu exécuter quelques pirouettes bien senties ; on l’a fort applaudi. Mais, seule, Mlle Sangalli a pour elle un rôle mimé, des pas d’ensemble, des pas de deux, des soli. Je ne l’aime pas beaucoup comme mime. C’est un art qui s’en va. Par contre, elle a obtenu un grand succès de danseuse. Namouna n’est malheureusement pas jolie et n’a rien, dans la figure, des grâces indolentes et de l’énergie passionnée qui conviendraient au personnage. Mais elle a dansé avec moins de rudesse qu’à l’ordinaire, n’abusant pas des « renversements », usant des pointes, et, sauf le parcours, toujours un peu lourd, elle a exécuté ses soli avec grande maestria. Et quelles jambes parfaites ! On comprend que la danseuse les montre volontiers dans les pirouettes rapides ! Elle pourrait dire, comme cette aimable Mme de Staël à qui on reprochait de se décolleter trop et trop volontiers, « qu’on montre sa physionomie où on l’a ». À côté de Mlle Sangalli, Mlle Subra a dansé un pas charmant, avec esprit. Quant au bataillon des coryphées, il est discipliné. Mais que les jolies filles y deviennent donc rares ! Napoléon, qui avait sur l’Opéra une idée de politique plus que de moraliste, voulait que le foyer de la danse fût un jardin d’Armide où ses « guerriers » vinssent oublier les fatigues de la guerre et peut-être aussi les tentations de la politique qui les reprenait à Paris. Il serait peu satisfait des coryphés d’aujourd’hui, et quelque ukase comme il savait les faire enjoindrait à M. Vaucorbeil, dans les vingt-quatre heures, de mettre sa vieille troupe à la retraite et de trouver cinquante belles personnes pour la remplacer. […]

Henry Fouquier

Persone correlate

Letterato, Giornalista

Henry FOUQUIER

(1838 - 1901)

Compositore

Édouard LALO

(1823 - 1892)

Opere correlate

Namouna

Édouard LALO

/

Charles NUITTER

Permalink

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data di pubblicazione : 02/11/23