España

En 1880, Chabrier décide de se consacrer entièrement à la musique et quitte le ministère de l’Intérieur après vingt ans de service. Deux ans plus tard, il s’installe pour quelques mois en Espagne et se passionne pour les musiques traditionnelles. Captivé par l’inventivité rythmique et mélodique de ce répertoire, il note et emmagasine une multitude de thèmes. À son retour en France, Chabrier compose sa première œuvre dédiée à l’orchestre : España. Conçue comme une rhapsodie en un mouvement, l’œuvre est notée allegro con fuoco. Elle débute par les pizzicati des violons, altos et violoncelles, évoquant le pincement des cordes de la guitare. Par sa mesure à 3/8 et son rythme syncopé, le caractère est naturellement dansant. Sur le plan mélodique, l’œuvre se compose de deux thèmes principaux tirés de danses traditionnelles espagnoles. Le premier – brillant et rieur – est celui de la jota aragonaise. Il est exposé par les trompettes et bassons, repris par les cors, la harpe seule, puis le tutti orchestral, exploitant toute l’efficacité rythmique de sa cellule principale. Le second – aux courbes gracieuses et sensuelles – s’inspire de la malagueña du sud de la péninsule. Dans une ultime reprise de la tête du premier thème éclate des sonneries de trombones dont la fierté peut rappeler certaines attitudes propres au flamenco. Créée en 1883 à Paris par l’orchestre Lamoureux, España assure une célébrité mondiale à Chabrier. Manuel de Falla dira à son sujet : « Aucun Espagnol n’a su rendre avec autant de génie et de vérité la diversité de la jota telle qu’elle est chantée par les paysans aragonais. »