La Grande Duchesse de Gérolstein

Auréolé du succès de La Belle Hélène (1864) et de La Vie parisienne (1866), la carrière d’Offenbach connaît son apogée lorsqu’il entreprend l’écriture de La Grande-Duchesse de Gérolstein. Ses heureux collaborateurs, Meilhac et Halévy, situent l’argument dans le duché imaginaire de Gérolstein vers 1720. La guerre – qu’orchestrent le général Boum et le baron Puck pour combler l’ennui de cette duchesse en quête d’un mari – est prétexte à dénoncer la situation géopolitique d’une Europe dont les contours ne cessent de se redessiner. C’est pourquoi la scène du complot use d’un sous-texte où l’on tourne en ridicule l’actualité diplomatique, quand l’acte III parodie les codes du grand opéra de Meyerbeer. Offenbach se montre féministe avant l’heure en donnant à son héroïne l’initiative du rapprochement amoureux. L’air « Ah ! que j’aime les militaires », sous forme d’ode à la gente masculine, concentre tout l’enjeu de la partition. La chose pourrait choquer et pourtant le public, friand lui aussi d’intrigues militaires, se prend au jeu. Débutée à l’été 1866 à Étretat, la partition est achevée à Nice durant l’hiver. La presse suit au jour le jour le montage de l’œuvre, étalant les différentes négociations de salaires, pointant les passages susceptibles d’irriter la censure, préparant ce qui va devenir l’événement théâtral de l’année. L’œuvre est créée en pleine Exposition universelle, si bien que se pressent au théâtre des Variétés bon nombre de dirigeants et têtes couronnées. C’est ainsi que Napoléon III, l’empereur Alexandre II de Russie, Guillaume I^er de Prusse, le chancelier Bismarck et Adolphe Thiers applaudissent à leur propre parodie, à peine trois ans avant d’être réunis sur un autre théâtre, celui de la guerre franco-prussienne.