Critique musicale. Psyché
CRITIQUE MUSICALE
Psyché, opéra-comique en quatre actes, paroles de MM. J. Barbier et Carré, musique de M. A. Thomas ; histoire de Psyché selon Apulée, La Fontaine, Molière et Corneille ; Psyché, musique de Lully.
[Résumé de l’intrigue]
Quelques mots seulement sur la musique. La reprise de l’opéra de M. A. Thomas n’a pas été inutile pour prouver que les vieux auteurs ne sont pas tout à fait à dédaigner s’ils ont fait autrement qu’on ne fait aujourd’hui, ce n’est pas une raison pour que souvent ils n’aient fait bien. Je dirai même que la partition de Lully, pour son temps, valait beaucoup mieux que celle de M. A. Thomas pour notre temps. À ce point de vue, on lira l’œuvre de Lully avec intérêt ; l’acte même de l’Enfer n’est pas indigne de considération, sans préjudice pour Gluck qui d’ailleurs a profité de Lully et de Rameau.
Psyché, de MM. J. Barbier, Carré et A. Thomas, a été donnée pour la première fois le 26 janvier 1857. Les changements qu’on y a faits pour la reprise étaient nécessités en partie par la nouvelle distribution des rôles. Un changement assurément inopportun, c’est la suppression presque complète des dialogues et leur remplacement par des récitatifs, à l’exception de quelques paroles au premier acte.
La théorie est une belle chose, surtout quand elle est vraie ; mais le public ne s’occupe guère de théories esthétiques. Certes, je l’ai dit, le mélange de la musique et du dialogue est illogique dans l’opéra comme dans ce qu’on appelle une ode-symphonie mais, pour supprimer le dialogue dans l’opéra-comique, il faudrait d’abord que la musique fût écrite et chantée de façon à ce que l’on comprît toujours et sans peine les paroles ; il faudrait ensuite que cette suppression fût dans le goût du public du théâtre Favart.
Je ne crois pas que la seconde condition soit remplie, et je sais très bien que la première ne l’est pas ni ne le sera de longtemps. On avait déjà alourdi la Statue pour agrandir les proportions d’un simple opéra-comique ; c’est une des causes de ce que la reprise de l’œuvre de M. Reyer n’a pas eu le succès qu’on attendait. D’autre part, les Diamants de la Couronne font recette malgré tout ce qu’on peut dire contre la pièce et la musique, le public s’amuse, cela lui suffit, et il n’a pas tort à son point de vue.
Un autre changement inopportun dans l’opéra de M. A. Thomas, c’est qu’au lieu de trois actes on en a fait quatre. La division primitive était toute naturelle ; le premier acte se terminait par l’enlèvement de Psyché, le second par sa chute, le troisième par sa réhabilitation. Le second acte a été partagé en deux ; aussi, en définitive, a-t-on été obligé de supprimer plusieurs morceaux du troisième acte nouveau et de le réduire aux proportions d’un simple tableau faisant suite au second acte, avec un entr’acte de trois ou quatre minutes seulement. La nouvelle édition de l’opéra n’a donc en réalité que trois actes, dont le second est trop long.
Le rôle d’Éros a été créé par Mme Ugalde, un mezzo-soprano déclassé qui chantait des rôles de soprano léger à roulades. Mlle Engalli a une voix de mezzo-soprano dramatique peu exercée aux roulades ; il a fallu arranger le rôle en conséquence. Un autre rôle qui a subi des remaniements non moins importants, c’est celui de Mercure. Dans le conte original et dans la partition de Lully, ce dieu (qui ne paraît pas dans la pièce de Molière et de Corneille) se contente de son petit office de messager des dieux. Au contraire, dans l’opéra de M. A. Thomas, le rôle ayant été destiné à Battaille qui l’a créé en effet, Mercure est devenu le traître de la pièce, le zélé champion de Vénus, un nouveau Méphistophélès.
Morlet ayant une voix de baryton et étant moins apte que Battaille à chanter des morceaux à grandes prétentions et à roulades, Mercure est un peu déchu, et les défauts de son rôle n’en sont que plus sensibles.
Les rôles des deux sœurs de Psyché ont été considérablement amoindris ; ceux de leurs maris ont été supprimés il en résulte la disparition de plusieurs morceaux comiques, autrefois importants. Ce qu’on a certainement eu tort de ne pas supprimer, ce sont les pastiches d’une forme italienne aujourd’hui arriérée et que je signalerai tout à l’heure.
Passons rapidement en revue les différents morceaux de la partition. Au premier acte, le peuple et le roi implorent Vénus pour qu’elle écarte le fléau qui désole le pays ; Mercure, prenant la place du grand prêtre, demande qu’une victime jeune et belle périsse dans les flots, et il désigne Psyché. Les prêtres entraînent la jeune fille, mais Éros la fait enlever par Zéphyr.
Le chœur d’introduction est doux et agréable ; l’air de Psyché, est d’une forme banale et usée. Du grand air de Mercure, on n’a conservé que le commencement. La romance d’Éros a du charme ; c’est un des morceaux qui ont eu le plus de succès. Le duo d’Éros serait convenable, s’il ne se terminait par un agitato assez vulgaire. Le finale, tout en manquant d’originalité, est scénique, à l’exception, d’un morceau d’ensemble écrit dans une forme italienne vieillie, que M. Offenbach et d’autres compositeurs d’opérettes ont ridiculisée avec pleine raison. Il suffirait en effet de transporter l’andante « Du ciel contre nous courroucé » dans quelque bouffonnerie pour le rendre très amusant.
Au second acte, Mercure continue son rôle en annonçant à Éros la colère de Vénus : la déesse veut que son fils cache à Psyché son nom et sa nature divine, sinon il la perdra ; s’il persistait ensuite à la voir, ce serait pour elle un arrêt de mort. Au commencement de l’acte, deux morceaux ont eu du succès ; ce sont un gracieux chœur de nymphes et des couplets légers de Mercure. De l’air d’Éros on n’a conservé que la première partie. Le duo d’Éros et de Psyché se termine encore d’une façon trop italienne, dans la manière de Donizetti ; M. A. Thomas a cependant cru cette partie excellente, puisqu’il l’a reproduite au dernier acte.
Le trio des femmes est le seul morceau où les sœurs de Psyché soient en relief ; au premier acte, elles font simplement office de coryphées. C’est une scène à trois personnages avec des intentions dramatiques plutôt qu’un véritable trio. La chanson bachique manque de verve et se termine par un ensemble banal. Signalons encore dans cet acte un agréable chœur avec danse, en rythme de valse lente, et la scène finale où Éros vient chercher Psyché ; cette scène est charmante et bien faite.
Au troisième acte, devenu tableau final du second, il ne subsiste que le prélude, l’Invocation à la nuit et un grand air chantés par Psyché. Quand le pétillement de la lampe et peut-être les cris de joie de Psyché ont réveillé Éros, le dieu disparaît dans une trappe et Psyché tombe par terre : le décor change pour représenter une gorge fermée par de grands rochers. Psyché chante la première partie de son air, restant couchée et croyant encore voir son amant, puis elle se lève et exprime son désespoir. La première partie de l’air vaut mieux que la seconde.
Le dernier acte commence par une bacchanale qui, pour produire de l’effet, exigerait les ressources de mise en scène dont dispose l’Opéra, car rien n’est moins nouveau qu’une bacchanale. Mercure présente à Psyché un masque qui paraît doué d’un pouvoir magique et funeste ; mais Psyché le refuse ; Éros vient à son secours sous les traits d’un simple berger. Psyché reconnaît sa voix quand il est parti, elle veut se noyer, ce qui fournit une petite scène rappelant Hamlet, de M. A. Thomas.
Éros revient et empêche Psyché de se tuer ; ici, la situation rappelle Orphée de Gluck, car Psyché insiste et supplie tant Éros qu’il finit par laisser échapper l’aveu fatal. Psyché devrait aussitôt tomber morte ; mais, dans l’intérêt de l’effet musical, les trois personnages ont cru devoir reprendre d’abord la mélodie italienne du duo du second acte. À part cette reprise malencontreuse, cette scène est bien traitée ; c’est, quant à la musique, la meilleure de l’acte. Les esprits de l’Enfer chantent un chœur dans la coulisse ; il serait hors de propos de parler de Gluck. Le reste de la musique de l’acte est encore trop italien, ce qui ne serait pas un grand défaut si c’était le seul.
Pour ressusciter Psyché, MM. J. Barbier et Carré se sont servis d’un moyen dont l’idée leur est venue sans doute en lisant le poème de l’opéra de Lully. Éros menace de détruire l’univers, rien qu’en se croisant les bras, à tout jamais. « Hélas ! Dit Mercure, Jupiter lui-même aurait peur de ton courroux ! » Force est donc aux dieux de faire la volonté de ce « garnement ailé » comme dit Apulée. On voit apparaître Vénus, couchée sur un nuage au fond de la scène ; puis on voit, toujours au fond de la scène, Éros et Psyché monter au ciel.
Ce n’est pas la première fois que Mlle Heilbronn est engagée à l’Opéra-Comique ; elle y a fait sa rentrée après avoir passé par des théâtres étrangers, par les Variétés, le Théâtre-Italien et le Théâtre-Lyrique. Sa voix semble par moment trop faible ; mais elle rend le rôle de Psyché avec beaucoup de sentiment et de passion. Mlle Engalli est à l’Opéra-Comique comme elle l’était au Théâtre-Lyrique, une artiste admirablement douée, mais inégale et d’une éducation vocale incomplète.
On lui a redemandé la romance du premier acte ; tout le monde a remarqué aussi qu’en forçant sa voix elle altère les voyelles, de manière, par exemple, à terminer la romance par : daxend dâs cieux avec un point d’orgue sur dâs, afin de mieux marquer la prononciation grotesque. Une autre conséquence, c’est que la voix surmenée arrive à chevroter, à devenir gutturale ou à détoner. Il y a là un danger sérieux qu’un bon travail vocal et l’étude du style pourraient seuls conjurer.
Morlet a débuté avec bonheur à l’Opéra-Comique dans le rôle d’Arlequin de la Surprise de l’Amour ; le rôle de Mercure lui convient moins bien et ce n’est pas sa faute si, un moment, il a failli échouer dans un air médiocre et aussi prétentieux que l’Évocation du dernier acte. Morlet est un bon acteur comique, mais le rôle de Méphistophélès-Mercure n’est pas comique.
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Ambroise THOMAS
/Jules BARBIER Michel CARRÉ
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data di pubblicazione : 03/11/23