Musique. Cinq-Mars
MUSIQUE
Opéra-Comique. – Cinq-Mars, drame lyrique en quatre actes. Paroles de MM. Poirson et Gallet, musique de Charles Gounod.
Je reviens aujourd'hui, pour les expliquer et les compléter, sur les impressions sommaires que j'ai données hier, au sortir de la première représentation de Cinq-Mars. L'ouvrage m'a paru faible et je l'ai dit avec ma sincérité ordinaire. Je vais essayer d'en déduire mes raisons, telles qu'une attention scrupuleuse durant les quatre actes et deux heures de réflexion m'ont permis de les débrouiller. J'admire trop M. Charles Gounod pour le flatter, même en apparence, sur une œuvre hâtive, essoufflée, mal venue, qui, certainement, comptera peu dans son bagage d'artiste. Le livret que lui ont taillé MM. Poirson et Gallet dans le roman célèbre d'Alfred de Vigny n'était guère de nature à l'inspirer, il faut en convenir ; mais, tout en tenant compte de l'insuffisance du poème, je dois reconnaître que le musicien pouvait en tirer un meilleur parti. Qu'on veuille bien me dispenser de réticences banales. M. Gounod n'a pas improvisé cette partition, il l'a brochée, comptant bien dissimuler t'indigence des idées sous la richesse de l'instrumentation. Il a beau, sous ce rapport, avoir fait merveille, l'ouvrage n’en vaut pas mieux. Un tel scintillement sur une telle pauvreté, ressemble à une pluie de paillettes cousues sur une vile étoffe pour lui donner un faux air de brocart d'or. Cinq-Mars n'est rien moins qu'un brocart d'or : c'est une mousseline pailletée.
Tout le monde a lu le roman de Vigny. Son intérêt vient plutôt, selon moi, de la date de son apparition et de ses principaux épisodes que du propre fond de son sujet. Recèle-t-il un drame dans ses flancs un peu démodés ? Je ne le crois pas. Les ressorts de l'intrigue sont empruntés à la politique, et je ne vois guère que le dénouement capable de saisir le spectateur aux entrailles, surtout si l'on écarte Laubardemont comme l'ont fait nos deux librettistes. À plus forte raison, ne recèle-t-il pas un bon livret. L'opéra s'accommode mieux de la légende que de l'histoire, par cette raison que la légende est lyrique et que l'histoire ne l'est pas. Aucune mélodie, si caractéristique soit-elle, ne nous traduira la Raison d'État, et je défie bien toutes les ritournelles imaginables d'exprimer intelligiblement les conspirations de marmousets qui marquèrent le règne de Louis XIII. Ajoutez des chœurs aux ritournelles et des soli aux chœurs, vous n'y parviendrez pas davantage. Cela n'est ni assez poétique, ni assez simple, les deux qualités essentielles des sujets que l'on peut mettre en musique. Et, par malheur, ni l'une, ni l'autre, ne se trouvent dans Cinq-Mars.
Les personnages s'y agitent comme des ombres chinoises ; les situations s'y heurtent aucun caractère ne s'y dessine. Les airs, les duos, les trios, les morceaux d'ensemble s'y succèdent pour cette seule raison qu'il faut bien qu'on chante dans un opéra. Au fond, rien de plus factice. C'est là l'excuse du compositeur et aussi sa condamnation, car il n'était pas forcé d'accepter un livret pareil.
Raconter l'action dans ses menus détails est inutile. La voici dans ses grandes lignes.
Un bref exposé suffira pour qu'on puisses rendre compte des broderies dont M. Gounod l'a pu couvrir.
Le lever du rideau est préparé par une introduction saisissante. Des accords sonores se font entendre. Ils se prolongent jusqu'à perte de rythme, entremêlés de plaintes lugubres. Un éclat sec des cuivres y coupe court. Puis, commence une marche funèbre, murmurée par les clarinettes au milieu de la lamentation étouffée de tous les instruments. Alors, des profondeurs de l'orchestre, les accents du Dies iræ résonnent. Le trombone et le basson se rejettent par lambeaux la terrible phrase, à laquelle répond l'orchestre entier par une large cadence religieuse. Ce prélude est magistral et plein de promesses qui ne seront pas tenues.
Maintenant, la toile est levée. Nous sommes chez la maréchale d'Efflat. Cinq-Mars, élégant, joyeux, spirituel, converse avec ses amis. Le cardinal l'appelle à la cour il veut faire de lui sa créature auprès du roi. Mais au moment de partir, sa voix tremble. C'est qu'il aime la princesse Marie de Gonzague, la noble commensale de sa mère. Hélas ! de Thou, son fidèle ami, ne voit qu'orages à l'horizon de cet amour et tente vainement de l'en détourner. Pour connaître leur avenir, ils ouvrent au hasard un livre et tombent sur la mort fraternelle de deux saints martyrs. Et ils se jurent de vivre et de mourir unis, dans un ensemble fort beau, mais qui serait plus beau encore s'il n'était à l'unisson.
À ce propos, je ferai observer que le rôle de de Thou, écrit primitivement pour un baryton, a dû en dernier lieu être confié à un ténor. De là le nombre excessif des unissons que M. Gounod s'est vu contraint d'admettre.
J'espère que nous ne les trouverons qu'à titre de variantes sur la partition gravée.
Du reste, le début de l'opéra ne manque pas de grâce et de brillant. Le petit chœur des amis de Cinq-Mars est d'une jolie couleur, et les dialogues qui suivent sont bien compris. Le duo du livre se nuance d'une émotion de plus en plus forte, jusqu'à l'explosion « Vivre et mourir... » et tout le détail de ces morceaux est heureusement trouvé.
À peine nos deux inséparables ont-ils fini qu'arrive le Père Joseph, le confesseur de Richelieu, ce capucin sinistre qu'on a baptisé l’Éminence grise. Il annonce à la princesse Marie que le roi de Pologne la demande en mariage. Le chœur la félicite Cinq-Mars désespère ; Marie hésite à répondre. Cet ensemble est diffus il pourrait produire beaucoup plus d'effet, car il renferme une belle phrase.
Je n'ai pas besoin de vous dire que, restée seule, la princesse chante une ballade aux étoiles « Nuit resplendissante et silencieuse ». Rêverie vraiment pénétrante et tout à fait digne de l'auteur de Faust. Je regrette que Mlle Chevrier ne lui ait pas donné plus de relief. Mme Carvalho eût enlevé la salle avec un tel morceau.
L'acte se termine par le duo d'amour que vous avez vu poindre. Les deux amoureux échangent leurs serments. Ils ne seront que l'un à l'autre. M. Gounod excelle en ces sortes d'épanchements du cœur. Il a été plus heureux dans Faust et dans Roméo mais cette page amoureuse n'en est pas moins très remarquable.
Le tableau suivant nous transporte à la cour. Cinq-Mars est devenu grand-écuyer du roi, et Marion Delorme, que le cardinal veut exiler comme conspiratrice, vient lui demander protection. Les galants seigneurs lui content fleurette dans un style très entortillé. On me dira que le style Louis XIII est entortillé en littérature. D'accord ; mais pourquoi mettre ces billevesées en musique ? Ne peut-on choisir autre chose ? Aucune idée dans tout cela, d'ailleurs. Je n'excepte que la chanson de Fontrailles, gaillardement enlevée par M. Barré et que l'on a bissée. Le chœur des courtisans flagornant le grand écuyer est, après cette chanson, la petite marche royale que j'ai citée hier, la meilleure inspiration du second acte. Jusqu'au baisser de la toile, nous n'avons plus à présent qu'à nous affliger.
Une conspiration s'est ourdie contre le grand cardinal. Cinq-Mars, dont le mariage avec Marie de Gonzague est entre ses mains, renonce à l'espoir de le fléchir et consent à être le chef des conjurés. Ils doivent se réunir chez Marion Delorme, qui les reçoit sous le couvert d'une fête somptueuse.
Le ballet des bergers et des bergères, si vanté d'avance, se place ici. C'est un chapitre de d'Urfé mis en action et, malheureusement aussi, en musique. La belle Marion, superbement personnifiée en Mme Franck-Duvernois, célèbre le pays de Tendre dans un air interminable. Comment Charles Gounod a-t-il pu consentir à décrire musicalement la carte de Tendre, avec ses rivières de pleurs, ses ruisseaux de tendresse, son hameau de Bel-Accueil et ce tas d'autres fadaises ? En écoutant ces intitulés, je souffrais cruellement pour lui. J'ai dit hier que les Bergers ne sont qu'un remaniement du ballet rococo de Cendrillon : je ne trouve rien de mieux à en dire. Ça et là, un joli motif se rencontre ; mais que c'est froid et décousu !
Vient ensuite le finale de la Conspiration. Les récitatifs de Cinq-Mars laissent à désirer de la fermeté. De Thou, qui intervient pour arracher son ami à son erreur et finalement pour s'attacher à son sort, ne chante que des banalités sentencieuses. Le chœur « Sauvons la noblesse et la France » est commun de rythme et d'une sonorité de chœur d'orphéon. Ce finale est redondant, creux, froid. J'ajourne le compositeur à quelques années d'ici : il sera le premier à le condamner, s'il le relit.
L'acte entier de la Chasse sort de la même veine. La situation dramatique est celle-ci : le grand-écuyer a enlevé Marie pour l'épouser dans une chapelle des bois. Le Père Joseph, qui a appris, on ne sait comment, la conspiration, vient à point pour arrêter le coupable et pour chanter avec la fugitive un duo où un beau motif s'ébauche et se dissipe en promesse, et ou M. Giraudet cherche, en vain, l'occasion de déployer les sons admirables de sa voix de basse-taille. L'Hallali, dont on avait parlé comme d'un pendant au chœur des soldats de Faust, a passé inaperçu au milieu de l'ennui général.
Nous touchons au dénouement. Cinq-Mars et de Thou attendent la mort dans leur cachot. Marie corrompt un geôlier pour faciliter leur évasion. Elle arrive trop tard. Richelieu les a livrés au bourreau et ils marchent au supplice au rythme de la marche funèbre de l'introduction et en répétant leur tutti du premier acte : « Vivre et mourir ensemble ! » Ce finale très intense d'accent, très solennel et très religieux d'allure est venu secouer à temps les nerfs de l'auditoire.
Voilà l'œuvre telle qu'elle est, sans complaisance et sans parti-pris. Elle n'ajoutera rien à la réputation du maître compositeur qui s'est fourbu en allant trop vite.
Un mot seulement des interprètes :
Le ténor Dereims possède un organe guttural et chante avec mièvrerie. M. Stéphane se débat contre le rôle ingrat de de Thou avec une vaillance dont il faut lui tenir compte. J'ai parlé de M. Giraudet, un consciencieux artiste, doué d'une voix superbe, et de Mlle Chevrier, que j'attends à une création prochaine, Mme Franck-Duvernoy a su faire applaudir les casse-cou qui lui servent de rôle, et Mlle Philippine Lévy s'est montrée un agréable petit berger chantant.
Georges.
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data di pubblicazione : 26/09/23