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Dernier mot sur l'Ariane de Massenet

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ARIANE
DERNIER MOT SUR L’ARIANE DE MASSENET
[Cet article arrive au terme d’une série de feuilletons consacrée à la figure d’Ariane.]

Il y a un peu plus de trente-deux ans que fut inaugurée à Paris, le 5 janvier 1875, la salle du Nouvel-Opéra. Peut-on nommer un grand ouvrage, parmi ceux qui ont été montés depuis cette époque à titre d’œuvres nouvelles, dont le succès ait été dès l’origine unanime, incontesté, rendu notoire par un ensemble de recettes atteignant le maximum, et soutenu sans dépression pendant plusieurs mois ? Oui, Ariane. En existe-t-il un second dans les mêmes conditions ? Nous ne le voyons pas.

Cependant, si l’on voulait insister, un autre grand opéra en cinq actes arriverait immédiatement après. Le Cid, joué dans sa nouveauté le 30 novembre 1880, avait dépassé sa centième en 1900. Certes, les personnes qui ont été témoins de l’éblouissement causé aux spectateurs de la première représentation par l’éclat incomparable de certaines parties de cette tragédie lyrique, les musiciens qui ont senti à tête reposée le charme pénétrant et la beauté passionnée de cette partition française et espagnole à la fois, et cornélienne aussi, se sont étonnés justement de la lenteur relative de son acheminement. Ne l’oublions pas d’ailleurs, sans Ariane, le Cid tiendrait la première place parmi les œuvres ayant commencé leur carrière dans notre trop luxueux palais d’Opéra, et non sur une autre scène française, comme Faust, ou à l’étranger, comme Sigurd.

S’il nous plaisait maintenant de faire intervenir, pour l’évaluation des éléments d’un succès, toutes les circonstances dont il y a lieu de tenir compte, nous constaterions que pendant le premier quart de siècle d’existence du Nouvel-Opéra, le troisième rang, après Ariane et le Cid, appartient ex aequo à Patrie de Paladilhe et au Roi de Lahore de Massenet. On se souvient de l’accueil que reçut, le 27 avril 1877, ce Roi de Lahore, dont le coloris somptueux, le style simple et d’une souplesse extrême témoignaient hautement de l’originalité du jeune maître, alors âgé de trente-cinq ans, qui devait dans la suite se frayer des voies d’accès vers les domaines les plus divers de son art, et montrer dès l’abord que sa manière, exempte de toute raideur, s’adapte à tous les sujets, se prête à toutes les exigences, excelle à rendre toutes les nuances des sentiments humains.

Les années 1877, 1880 et 1906 marquent donc trois étapes glorieuses pour l’histoire de l’opéra français ; mais, ce qui peut nous surprendre, c’est l’impuissance dans laquelle se sont trouvés, pendant plus de trente ans, les compositeurs, même doués de talent et de génie, lorsqu’il s’est agi de s’imposer de prime abord au public dans la salle du Nouvel-Opéra. Un seul a pu surmonter hautement les obstacles, c’est Massenet, et cela, aux moments les plus exceptionnellement significatifs de sa carrière. Il faut donc bien admettre que la communication rapide et spontanée entre les artistes de la scène et les spectateurs est particulièrement difficile dans le monument dont on a fait tant d’honneur à l’architecte Charles Garnier. Disons mieux, les œuvres qui parviennent à se soutenir malgré les causes de dépression inhérentes à ce local défectueux sont trois fois fortes et trois fois résistantes.

Ariane est de celles-là. Les trois personnages principaux de cet opéra sont présentés avec un tel relief qu’il suffit de les avoir vus pour ne plus les oublier. Ariane, amoureuse douce et dévouée qui préfère la mort à son désespoir qu’elle prévoit inconsolable, Phèdre chasseresse, qu’un thème bien connu caractérise en traits frémissants de passion, Thésée enfin, l’éphèbe entraîné vers celle qui lui paraît, à un instant déterminé, la plus belle, quitte à changer en moins d’un jour, en moins d’une heure, dans son inconscience juvénile, telles sont les trois figures que la musique de Massenet nous a superbement présentées en traits lumineux et profonds.

Mais, il en est une autre, qui se détache en demi-teinte et brille par son charme discret. C’est celle de Perséphone.

Le quatrième acte lui appartient entièrement, et son introduction dans Ariane offre des contrastes particulièrement heureux. Secondée par les Ames invisibles, les Vieillards des Enfers, les jeunes filles ses compagnes, les Grâces, les Furies, les Désirs, les Jeux..., Perséphone joue son gracieux monodrame, qui deviendra un duodrame à l’arrivée d’Ariane. Elle est d’abord immobile, les yeux demi-clos, marmoréenne comme Galathée lorsqu’elle s’anima devant Pygmalion. On dirait une idole naissant peu à peu à la vie. C’est à peine si sa voix sait articuler une mélopée et rassembler les sons qui doivent prêter leur rythme aux syllabes. Son effort pour se donner l’apparence d’une souveraine, pour en affecter les attitudes, la trahit visiblement ; elle a voulu infliger des peines, et son âme s’est attendrie ; son esprit s’égare en de doux ressouvenirs des jours de son enfance :

Je rêve au clair frémissement... des abeilles sur les calices...

La victoire des Grâces sur les Furies la ravit. Son extase naïve s’exprime sur les plus jolies notes d’un de ces cantabile dont on oserait dire qu’ils sont une des coquetteries du Maître, car leur portée artistique et leur signification dans son œuvre ont beau être élevées, ils demeurent inséparables de ce qui constitue sa conception musicale du type féminin. Ils sont comme le reflet le plus pur du charme ondoyant de la femme, ils caractérisent sa démarche molle et un peu hésitante, le contour harmonieux de sa personne dans le balancement de la taille, le mouvement de la tête, le sourire, le modelé arrondi des bras :

Avec leurs gestes d’or et leurs danses fleuries.
Les Grâces de Cypris ont lié les Furies.

Mais elle n’est plus du tout maîtresse d’elle-même, la pauvre Perséphone, elle perd entièrement conscience de son rôle en voyant tomber à ses pieds des bouquets de roses rouges et blanches ; elle redevient mortelle, retrouve la gamme entière des inflexions de sa voix. Elle chante maintenant, et les sons ne paraissent plus ni lointains, ni voilés. Elle chante sur un mode différent, pouvons-nous dire, sans, attacher toutefois à ce terme son sens technique consacré, car, depuis longtemps déjà, la tonalité de si mineur et celle d’ut mineur, si impressionnantes au début, presque funèbres même en leurs tons éteints, se sont transformées. Des modulations heureuses ont vivifié les coloris à mesure que s’affermissaient les rythmes. La phrase mélodique s’est animée à son tour, s’est épanouie, suave et pure, à travers mille reflets, a pris un accent plus humain. L’orchestre palpite, monte et descend en larges intervalles, a des fluctuations de houles arrivant sur les plages, se repose parfois en des accords d’un sombre coloris.

Perséphone ne peut dissimuler son ravissement ; sa diction se fait passionnée, franchit l’étendue d’une octave et demie avec la plus parfaite aisance ; sa mimique n’a plus rien de rigide. Son chant s’abaisse et se relève en courbe élégante, en harmonieux festons, se plie mollement sur les mots de belle euphonie, se redresse avec des exclamations naïvement admiratives, et la terrible reine des Enfers, redevenue l’adolescente extasiée des prairies de Lysios, des eaux thébaines et du petit lac d’Hylé, ne se souvient plus ni de sa puissance, ni de ses noces divines, ni de sa mission de garder lésâmes. Le moindre objet terrestre lui fait oublier son empire. Elle consent à rendre Phèdre et accepte la rançon des roses.

Laissons maintenant à ses triomphes l’œuvre de Massenet, qui semble avoir éloigné la fatalité qui pesa si longtemps sur le Nouvel-Opéra ; disons un dernier mot sur l’Ariane historique et légendaire qui a tant occupé l’humanité.

[…]

Amédée Boutarel.

Persone correlate

Giornalista

Amédée BOUTAREL

(1855 - 1924)

Compositore, Pianista

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Opere correlate

Ariane

Jules MASSENET

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Catulle MENDÈS

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data di pubblicazione : 16/10/23