Une grande première. La Belle au bois dormant
Une grande première.
La Belle au bois dormant.
Un air triomphal, vif et limpide annonce le prologue, le baptême. La féerie déjà commence, et c’est éblouissant. Dans l’immense palais plein de lumière et de fête, voici le roi, costume de bleu-pâle, voici la reine avec son grand hennin, sa robe de soie bleue brochée d’argent, voici les fées, vêtues de jour, vêtues de ciel, vêtues de fleurs, et perdue dans un berceau trop somptueux — c’eut été si joli, un berceau tout de gaze, de dentelles, d’étoffes aériennes ! — Voici Aurore dont la venue fut enchantement… La gracieuse scène des présents des fées à l’enfant prodige se déroule, soulignée par une phrase musicale prophétique, et brillante, grave, tendre ou rieuse, suivant qu’elle accompagne, Brillante, Prudente, Sensible et Rieuse. Mais Urgèle surgit de la table, la tragique fée mauvaise cuirassée d’écailles scintillantes sur sa noire tunique ! Ah ! l’admirable Urgèle que Mlle Passama, les yeux étincelants, le geste frémissant, dressée comme une statue dans un ruissellement d’éclair !
Le premier acte s’ouvre dans une molle rêverie qui se déroule et se reprend, comme un songe harmonieux où chuchoteraient des voix mystérieuses et caressantes. Elle rappelle vaguement l’entr’acte symphonique de l’armée endormie dans la Navarraise de Massenet. Mais voici Aurore, une aurore toute rose et mélancolique sous ses lourds cheveux blonds. Elle chante un chant doux et comme traversé d’une plainte insaisissable, le chant mélodieux d’une triste aurore. Le passepied dansé par les jeunes filles de la Cour ne parvient pas à la distraire… Il est si gentil, si fin, ce passepied pourtant, et la musique en est si bien comme une souriante révérence. Il rappelle un peu la vieille ariette « Les marionnettes, vont, viennent, et 'puis s’en vont... » Le cor du chevalier retentit, interrompant la danse, et le voici venir sur un air de trompettes chevaleresque et rythmé, d’un grand effet d’allure et de sonorité. Mais la nuit descend sur les jardins. Alors la musique étouffée bat comme un cœur qui palpite ; la secrète force qui les attire réunit sous un rayon de lune ces deux êtres charmants, lui tout argent, elle toute rose et blonde. Le duo d’amour l’hymne émouvant s’élève vers les étoiles (et ce sont leurs cœurs qui chantent dans cette harmonie amoureuse et troublante) défaillant d’émotion jusqu’au baiser fatal qui endort Aurore pour cent ans.
Tout dormait ; au deuxième acte le siècle est révolu, c’est un réveil d’allégresse au soleil de la Renaissance. Dans un décor de village, sur une place ombragée de grands platanes roux, rit et festoie la kermesse villageoise, et se déroulé la ronde entraînante, qui reprend après le départ de Barnabé pour où l’honneur l’appelle comme chante le page moqueur, et s’alourdit dans l’ivresse du vin, de la danse et des baisers. Le chœur de la chasse est magnifique s’arrêtant net sur une explosion sonore et éclatante.
Tout l’acte est empreint d’une franche gaieté et d’un rythme joyeux et insouciant comme l’âme des bonnes gens qui s’amusent. Mais le Prince Charmant s’endort et rêve : Aurore l’appelle par un arioso d’une tendresse, d’une pureté délicieuses. Il part... L’acte qui suit est le plus fantastique. On y voit la caverne d’Urgèle, la grotte d’azur, le carrefour enchanté, des gnomes et des monstres, des décors irréels d’un romantisme pur, tel que ce vieux château tout noir dans le lointain du ciel d’or, la forêt qui marche. Il 1 y a des ballets splendides, dans la nuit et dans le jour, une fête pour les yeux et les oreilles, un ruissellement de couleurs.... et aussi une avalanche de fleurs. Cet acte est un peu une simple succession de tableaux.
Enfin le 4me acte s’ouvre par un calme prélude et la toile d’araignée lentement se défait, qui séparait de sa dentelle d’oubli, le monde du sommeil, du monde vivant. L’orchestre exprime par une phrase troublante la venue du Prince Charmant qui donne à tout le réveil, comme le jour à la nuit. Aurore s’éveille et son gracieux sourire rend tout à la vie, et c’est en un hymne d’une largeur extraordinaire, où resplendit dans sa clarté et sa profondeur la magnificence de la nature qu’elle chante : « Reverdissez, Forêts ! », l’hymne s’exalte, et la chaude et belle harmonie s’épanouit dans le chœur triomphal et l’apothéose, nous offrant dans toute sa beauté, la fleur musicale qu’est la Belle au bois dormant. Car nous n’avons que félicitations pour M. Silver. Sa musique est admirablement écrite. Elle ne rappelle Massenet que dans ce qu’il a de meilleur. Elle donne la sensation d’une extrême distinction, d’un art exquis, senti et nuancé. Très, bien comprise par le public parce qu’elle est très claire, quoique savante et d’effets très travaillés, elle est seulement quelquefois un peu grêle. Elle traduit à merveille les mouvements de l’âme les plus subtils. Mais, associons au mérite de M. Silver sa magnifique interprète, Mme Silver, dont la voix tant aimée, tant adorable n’est que caresse et que lumière ! En quoi l’auteur et l’interprète ont été merveilleusement d’accord pour célébrer ce triomphe de la lumière, et traduire le conte de la Belle au bois dormant qui - je cite M. Anatole France — « n’est autre que la lumière, sous la forme de ce qu’elle caresse le plus amoureusement au monde, la forme d’une belle jeune fille ! »
Jean GHEERBRANDT.
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La Belle au bois dormant
Charles SILVER
/Michel CARRÉ Paul COLLIN
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data di pubblicazione : 23/09/23