Renaud de Sacchini
Dans les trois premières représentations de Renaud, le rôle d’Armide a été rendu par Mlle Levasseur, avec l’intelligence, la noblesse & la vérité d’expression qu’on devait attendre de l’Actrice qui a joué pendant six ans avec tant de succès & de supériorité les rôles les plus forts & les plus intéressants de ce Théâtre ; mais nous ne pouvons pas dissimuler que dans la partie du chant elle a paru au-dessous de ce qu’on avait droit d’espérer ; soit que la musique de ce nouveau rôle ne soit pas analogue au genre de sa voix & à sa manière de chanter, soit que son organe, fatigué par un travail forcé & continu, ait perdu de sa flexibilité, on a trouvé qu’elle ne mettait pas dans son chant, surtout dans les beaux Cantabiles du second Acte, la grâce, la rondeur & la douce mollesse qu’exige ce caractère de musique. Le Public, aussi ingrat pour elle que Renaud l’a été pour Armide, oubliant tout ce qu’il lui a dû de plaisir pendant plusieurs années, tout celui qu’il devra aux Actrices à qui elle a servi de modèle, l’a reçue avec une froideur bien sévère. Elle a quitté le rôle d’Armide après la troisième représentation. Mlle Saint-Huberti, dont le zèle est infatigable, l’a pris à la quatrième ; elle a été accueillie avec des applaudissements universels & répétés. Elle a joué en effet ce rôle avec plus d’abandon, & en a chanté les airs avec plus d’adresse, d’agrément & de sensibilité. Nous ne doutons pas que dans les représentations suivantes elle ne le rendre avec plus de perfection encore, & qu’elle ne mérite tous les applaudissements dont on l’a comblée à celle-ci.
Le sieur Legros n’a pas eu, dans le rôle de Renaud, le succès qu’il devait se promettre, il l’a quitté après la quatrième représentation, & il sera remplacé par le sieur Lainez.
Le sieur Laïs, dans le rôle d’Hidraot, & le sieur Chéron, dans celui d’Adraste, ont obtenu les applaudissements du Public.
Mlle Maillard a joué avec intelligence & avec grâce le rôle d’Anthrope. Cette jeune Actrice, qui joint à une figure agréable, à une taille avantageuse, une voix facile, sonore & sensible, annonce un talent naturel qui peut devenir précieux pour ce Théâtre si on s’occupe à le cultiver & à le perfectionner.
Mlle le Bœuf, fille de l’Auteur du Poëme, a chanté dans le dernier Divertissement deux airs de différent caractère, avec une voix légère, flexible & très-exercée, & elle a été fort applaudie.
Nous ne pouvons que répéter ici les éloges que nous avons déjà donnés en plusieurs occasions à la précision, à l’ensemble, à la grande intelligence que l’Orchestre a mis dans son exécution, moyen qui contribue plus qu’on ne pense aux succès & au grand effet des opéras. Ce tribut d’éloges pour les Virtuoses qui composent l’Orchestre & pour le Chef qui les dirige, est une dette que nous acquittons au nom du Public, qui ne peut pas leur rendre par des applaudissements particuliers, comme aux Acteurs, la justice que méritent leur zèle & leurs talents.
La marche qui prépare le Divertissement du primer Acte, & la disposition des quadrilles des différents Peuples Asiatiques qu’elle introduit sur la Scène, ont paru d’un très bon effet.
Mlle Gervais exécute dans ce Divertissement un pas qui ajoute encore à l’idée qu’on avait déjà de son talent : on ne peut pas exprimer avec plus de légèreté & de précision la caractère & le rythme de l’air qu’elle danse.
Mlle Guimard & le sieur Vestris dansent au troisième Acte une entrée Pantomime, dont l’intention est agréable & l’exécution parfaite.
Mlle Peslin & le sieur Lefevre ont fait le plus grand plaisir dans l’entrée des Pâtres, par la force, la vivacité & la gaité qu’ils y ont mis.
Mlle Durpré & le sieur Gardel terminent ce Ballet par une chaconne qu’ils ont exécutée avec cette supériorité de talent que l’on leur connaît.
Cet Opéra a été mis avec assez de soin, quoiqu’il y ait beaucoup d’observations à faire sur le costume & sur les décorations. On es étonné de voir des guerriers Sarrasins vêtus à-peu-près comme des Chevaliers Européens & tenant conseil en plein air, assis dans des fauteuils à bras. À la première représentation Armide se montrait au premier Acte vêtue d’une espèce de dalmatique par dessus son armure, qu’on a trouvée de mauvais effet. À la seconde & à la troisième représentation elle a été vêtue en Guerrier armé de pied en cap, même en arrivant sur son char. Mme Saint-Huberti arrive au premier Acte vêtue de l’habit de femme avec la baguette de Magicienne. Au second elle prend une armure, mais avec une espèce de jupe qui défend jusqu’au dessous du genou, & qui semble caractériser une femme. Ce costume est de meilleur goût, mais nous semble peu d’accord avec la Scène du second Acte, où Renaud, à qui elle vient de sauver la vie, la prend pour un Guerrier.
Il serait à désirer que la décoration du fond qui représente le développement du camp des Sarrasins fût peinte avec plus de vérité, d’accord & d’entente de la perspective. On trouve que les arbres & les tentes du dernier plan surtout n’ont pas les dégradations de formes & de couleurs qu’exigeraient les distances & les grandeurs respectives des objets.
La forêt du troisième Acte, les coteaux qui la terminent, le combat qui s’exécute dans le fond pendant la nuit au bruit du tonnerre & au feu des clairs, ont paru d’un effet très bien entendu & très pittoresque. On désirerait seulement que le Palais magique qui remplace cette Scène fût plus éclairé ; le contraste en serait plus brillant & plus agréable.
N. B. : Il s’est glissé dans le dernier Mercure, article de l’Opéra, une faute d’impression qu’il importe de corriger. Page 139, ligne 2, on lit : N’a pas toute la fierté & le caractère de Renaud que les paroles & la situation semblent exiger, lisez : Toute la fierté que les paroles, le caractère de Renaud & sa situation semblent exiger.
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data di pubblicazione : 15/09/23