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Semaine théâtrale. Le Timbre d’argent

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SEMAINE THÉÂTRALE
LE TIMBRE D’ARGENT

Après un nombre exceptionnel de répétitions d’orchestre, la première représentation du Timbre d’argent. — partition de M. Camille Saint-Saëns, poème de MM. Jules Barbier et Michel Carré, — a enfin pu s’effectuer vendredi dernier, devant une salle comble. Tout ce que Paris renferme de lettrés ès musique s’y était donné rendez-vous. Chacun voulait juger des tendances lyriques définitivement adoptées par le jeune maître de la nouvelle école, et grande a été la surprise de tous : c’est que la musique du Timbre d’argent, qui ne date pas d’hier, est en effet des plus éclectiques, et ne saurait satisfaire les exigences des musiciens de l’avenir ou du passé. On sent bien qu’au moment où cette musique a été écrite, — il y a plus de dix ans, — l’auteur n’avait encore aucun système préconçu dans l’esprit. Il voulait écrire une grande partition le mieux possible et voilà tout. Aussi, peut-on tenir pour certain que, si M. Camille Saint-Saëns a pour objectif de devenir le prophète de la musique dramatique de l’avenir en France, il reniera avant peu, à l’exemple de Richard Wagner, ce premier enfant lyrique, malgré ou à cause de ses mérites mêmes ; mais nous estimons que l’auteur du Timbre d’argent restera compositeur dramatique français, et qu’il s’inspirera des chefs-d’œuvre de notre école pour devenir le digne continuateur des maîtres qui l’ont illustrée.

Chacun sait que M. C. Saint-Saëns est un maître symphoniste, et qu’il est aujourd’hui peu de jeunes musiciens, en Allemagne comme en France, qui aient le droit de se nommer ses pairs. Nul ne possède mieux que lui la technique de son art, nul ne trouve des harmonies plus fines et plus neuves, nul ne dispose d’une palette orchestrale plus riche de tons et plus variée de couleurs. Mais tout grand musicien qu’il soit, il est deux choses qui manquent encore au talent de M. Saint-Saëns pour qu’il prenne au théâtre la grande et légitime place qu’il occupe au concert ; c’est d’abord l’expérience scénique pour laquelle il serait vraiment déraisonnable de ne pas lui ouvrir un large crédit ; c’est ensuite ce don précieux de l’émotion sans lequel la musique perd son caractère d’universalité, qui la rend, à mon avis, supérieure à tous les autres arts. La muse de M. Saint-Saëns a souvent la grâce et le charme, mais ne manque-t-elle pas de sensibilité ? Elle trouve rarement une de ces phrases simples et expressives qui ont fait vibrer l’âme du compositeur avant de remuer jusque dans ses profondeurs tout un public d’esprits profanes et de cœurs naïfs, c’est-à-dire le fond même de tout public de théâtre.

La roche se fendra-t-elle définitivement un jour et la source vive en jaillira-t-elle, comme les eaux bouillonnantes du désert sous la baguette sacrée de Moïse ? L’avenir seul nous le dira, car toute la science du monde ne saurait donner les qualités naturelles qui font pour ainsi dire partie de l’organisme ; mais elle sait les développer et leur donner cette haute perfection qui fait les grands artistes.

Ces réserves faites, nous sommes heureux de constater que bien des pages de la partition de M. Saint-Saëns ont reçu du public un accueil des plus chaleureux. Il faut citer tout d’abord une charmante mélodie, chantée au début de l’ouvrage par M. Caisso :

Demande à l’oiseau qui s’éveille,

qu’on a voulu entendre une deuxième fois, et qui méritait à tous les titres les honneurs du bis. A noter également, dans ce premier tableau, un petit chœur plein de verve :

Carnaval ! Carnaval !

que nous retrouvons à la fin de l’ouvrage dans son plein épanouissement.

Je n’ai guère à citer, dans le deuxième tableau, que la piquante instrumentation du pas de l’Abeille, que Mme Théodore danse avec beaucoup de grâce et de poésie ; car malgré le bon accueil fait à la romance avec accompagnement de violon solo :

Le bonheur est chose légère,

je tiens ce morceau en assez mince estime.

Conrad, ébloui par les séductions de la Circé Fiammetta et par l’éclat fulgurant de l’or que le timbre magique fait pleuvoir dans ses mains, a quitté le toit champêtre qui abritait son heureuse pauvreté. Son ami, le violoneux Bénédict, vient rappeler à l’ingrat ses jours de paix et de bonheur, en susurrant à son oreille le refrain d’une chanson villageoise. Telle est la situation. Il n’est pas douteux qu’il n’eût fallu là une de ces inspirations simples et naïves dont nous parlions plus haut. Malheureusement la phrase mélodique, enroulée dans les spirales du violon, n’a que l’apparence de la simplicité ; au fond, elle est cherchée et tourmentée. Substituez par la pensée au motif de M. Saint-Saëns la pénétrante mélodie que cet ignorant de Grétry a trouvée pour une situation analogue de Richard Cœur de Lion et vous sentirez immédiatement l’émotion courir dans la foule, vous verrez le parterre se soulever sous le vent de l’inspiration.

Au troisième tableau nous avons à signaler un chœur charmant

Séduisante aimée,

dont on n’a pas apprécié suffisamment, à notre avis, la structure délicate, et une chanson napolitaine, qu’on a peut-être un peu trop bruyamment fêtée, grâce à la désinvolture rythmique que lui donne Melchissédec, qui tout baryton qu’il est, trouve moyen d’y lancer à toute volée un labémol. La chanson est jolie, du reste, et faite de main de maître, mais elle a le tort à nos yeux d’être coulée dans un moule dont on a trop abusé depuis quelque temps, celui des chansons espagnoles ou napolitaines. Signalons encore dans le reste de l’ouvrage, qui mériterait une bien plus longue analyse, la mélodieuse cavatine de Conrad :

Nature souriante,

une chanson à demi-voix dite par M. Caisso et Melle Sablairolles : le Papillon et la Fleur, où les paroles et la musique rivalisent de grâce et de poésie et que l’on a redemandée aux deux jeunes interprètes.

En résumé, l’œuvre de M. Saint-Saëns contient des parties très remarquables, auxquelles on désirerait seulement un peu plus d’unité, un style plus ferme, plus franc, plus scénique. L’instrumentation, cela va sans dire, est fouillée et ciselée comme une œuvre de Benvenuto Cellini, mais la multiplicité des détails nuit forcément à l’impression d’ensemble. La musique de théâtre, croyons-nous, veut des lignes plus simples et des formes plus sobres. Faut-il le dire encore malgré le luxe de l’orchestration, la sonorité n’est pas toujours parfaite ; les chœurs, tous d’une exécution difficile, n’arrivent que rarement à une grande explosion vocale.

Mais tout cela, M. Saint-Saëns le sait aujourd’hui mieux que nous. L’expérience est faite et il ne tient qu’à lui de nous donner à sa nouvelle partition une œuvré de maître.

En attendant, les vrais amateurs de musique voudront entendre et réentendre la musique du Timbre d’argent. Il y a là bien des éléments d’une étude intéressante et curieuse. Cette première grande partition de M. C. Saint-Saëns suffirait seule à justifier la haute protection que l’État accorde si justement à notre Théâtre-Lyrique. Et nous devons ajouter que M. Albert Vizentini, en montant cet ouvrage, a bien compris son mandat. Les jeunes compositeurs ont enfin un théâtre où ils peuvent produire leurs œuvres dans de bonnes conditions.

Ce n’est pas à dire que l’interprétation du Timbre d’argent soit irréprochable : loin de là. Conrad, M. Léon Blum, n’a pas toujours triomphé d’un rôle fort difficile, du reste, à porter ; Hélène et Rosa, Mmes Salla et Sablairolles, si charmantes qu’elles soient, ne sont pas sans reproche non plus. Seul, Spiridion, M. Melchissédec, le Méphistophélès de la pièce, a été à la hauteur de sa mission. Le succès de la soirée lui est échu en partage avec Mlle Théodore, l’excellente ballerine, et un jeune tenorino, M. Caisso, qui chantonne le rôle de Bénédict avec peu de voix, mais beaucoup de goût.

L’orchestre de M. Daubé mérite de vifs éloges ; il s’est distingué dans bien des pages ardues de la partition. L’ouverture, — trop symphonie de concert peut-être, — a mérité de nombreux bravos, et la valse des Filles de l’enfer — admirablement dansée par Mlle Théodore, a fait fanatisme. Bref, le Timbre d’argentrenferme de nombreux éléments d’attraction, multipliés à l’infini par les auteurs du livret, MM. Jules Barbier et Michel Carré, qui ont tenu à honneur de justifier le titre d’opéra fantastique. M. Albert Vizentini les y a aidés par une mise en scène des plus luxueuse, trop luxueuse peut-être au point de vue de la musique proprement dite.

Est-on bien sûr de servir vraiment l’art musical par une telle accumulation de décors et de costumes ? Un opéra n’est pas une féerie. Puis, avec la carte à payer de pareilles mises en scène, n’arrive-t-on pas forcément à la ruine de nos scènes lyriques ?

C’est un double question à étudier on ne peut plus sérieusement. [...]

H. Moreno

Persone correlate

Giornalista, Editore

Henri HEUGEL

(1844 - 1916)

Compositore, Organista, Pianista, Giornalista

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Opere correlate

Le Timbre d’argent

Camille SAINT-SAËNS

/

Jules BARBIER Michel CARRÉ

Permalink

https://www.bruzanemediabase.com/it/node/5509

data di pubblicazione : 16/10/23