Herculanum de David
C’est l’ode-symphonie le Désert qui a fondé la réputation de M. Félicien David, c’est le Désert qui est resté sa meilleure partition, sans en excepter Christophe Colomb, la Perle du Brésil et Herculanum. Dans cette œuvre pittoresque il y avait une fraîcheur d'idées, un charme d'inspiration, une élégance de forme, une unité de style, une individualité enfin, qui ont du premier coup élevé Félicien David au rang des maîtres français.
De la symphonie au drame lyrique il y a un long espace. Ce sont deux genres bien différents. On peut être un charmant fantaisiste, un imitateur plus ou moins exact des harmonies innombrables qui s'agitent dans la nature, reproduire fidèlement et de façon à séduire l'esprit les murmures plaintifs des vagues capricieuses, le bruit des éléments en courroux ; on peut, si on est poëte descriptif, former avec l'inspiration mélodique un intéressant tableau ; mais, tout en ayant les qualités du paysagiste, on peut aussi n'avoir pas les qualités qui constituent le génie dramatique.
M. Félicien David est poëte ; ses rêveries ont un charme inexprimable. Ôtez-lui les étoiles, le ciel bleu ou sombre, les gazouillements de l'air, les langueurs de la solitude, les marches à travers les sables brûlants, les soupirs des bengalis dans les oasis verts, vous dépaysez son inspiration. Les passions humaines, il ne les sent pas et il ne saurait les reproduire. Tout ce qui vit, s'anime, s'enthousiasme, en dehors de ses fraîches et poétiques chansons, ne touche pas son cœur. Il lui faut, pour que sa muse le réveille, le bercement du hamac, et les vagues bruissements qui courent dans la prairie émaillée. Il chante la nature, les fleurs, les ruisseaux, les brises caressantes, les mariages des étoiles, tout ce qu'il voit autour de lui, et ce qu'il croit entendre dans les lointains infinis. Ne le troublez donc pas dans ses rêves heureux, vous allez briser les cordes de sa lyre. Encore une fois, il n'a ni la fibre de la passion, ni le sentiment des grandes choses humaines. Si vous lui parlez de l'amour d'Othello, il vous donnera une chanson de troubadour, et fera mourir Desdemone sur une ritournelle langoureuse de hautbois.
Ceci dit, on connaît d'avance notre opinion sur la musique d'Herculanum.
Le poëme, écrit par Méry, a subi de nombreuses modifications ; il eût mieux valu, croyons-nous, l'offrir au public tel que le poëte l'avait conçu. N'importe ce qui nous est resté ce sont de très beaux vers, comme Méry sait les écrire, et ce n'est pas sa faute si le musicien est resté trop souvent au-dessous des belles inspirations qu'il avait à interpréter. Évidemment, dans le poëme primitif on ne pouvait avoir eu la pensée de parodier la Magicienne, car l’Herculanum d'aujourd'hui offre de telles ressemblances avec le libretto de M.de Saint-Georges qu'en changeant les noms des personnages, le lieu de la scène et l'époque, on retrouvera les situations a quelques détails près, et tous les caractères de la Magicienne. Le dernier acte est exactement pareil. Mais ce qui est bien différent, c'est la musique ; le trio seul du cinquième acte de la Magicienne éclipse, au point de vue dramatique, toute la partition de M. Félicien David.
Savez-vous ce qui manque à cette musique d’Herculanum c'est la foi. Rien n'y respire la grandeur. On n'y trouve pas un seul passage empreint de cette puissante poésie dramatique qui seule au théâtre réchauffe le cœur. Dans cette lutte des martyrs chrétiens et des oppresseurs païens, il n'y a rien qui vibre, rien qui élève l'âme dans des régions divines. Il semble que ces grandes figures qui se dressent sous les vastes colonnades des temples antiques aient effrayé le musicien. Pas un élan, pas une émotion communicative qui se fasse jour à travers ce vaste tableau où dominent Christ et Satan, c'est-à-dire le bien et le mal, le néant et l'éternité. Quand le musicien veut prier, il est froid et sans grandeur ; quand il veut blasphémer il, est incolore et monotone, quand il est aux prises avec les fortes passions du cœur humain, il ne trouve que des accents efféminés.
En vain on chercherait, dans ce drame, vigoureusement coloré par le poëte, une grande idée, une forme neuve, un effet hardi, quelque chose enfin dont on puisse dire : Voilà le génie dramatique. La musique d’Herculanum coule comme un ruisseau tranquille. De temps à autre le compositeur découvre quelques fraîches marguerites, puis il continue sa course, sans se douter qu'un compositeur lyrique doit avoir autre chose à offrir au public que des marguerites ou des bluets.
Herculanum avait une ouverture, on l'a coupée : pourquoi ? Nous l'ignorons ; il est resté une courte introduction sans la moindre importance. Le premier chœur n'a pas de caractère ; il n'est ni brillant, ni bruyant, il est vulgaire. Deux romances se succèdent, une chantée par M. Roger et répétée par Mme Gueymard-Lauters, l'autre chantée par Mme Borghi-Mamo, avec un contre-sujet. La romance de M. Roger est simple et n'est pas, quant au caractère, sans analogie avec celle de Joseph, À peine au sortir de l'enfance ; la mélodie n’est élégante et pleine de douceur. La romance de Mme Borghi-Mamo est moins heureuse, et la cavatine qui la suit, conçue tout à fait dans le moule de toutes les vieilles formules italiennes, est sans originalité. Après ces trois morceaux, Mme Borghi- Mamo chante encore un brindisi en ré. La première partie a été évidemment inspirée par le brindisi de Lucresia Borgia la seconde est empruntée au boléro des Vêpres Siciliennes. (On pourrait s'en assurer.) Ce morceau, fort bien interprété, a obtenu un grand succès, on l'a fait même répéter.
Il faut citer dans ce premier acte, et c'est, croyons-nous, le meilleur morceau, une scène d'ivresse, fort bien traitée, mais qui serait mieux à sa place dans un opéra-comique. Roger chante une nouvelle romance, gracieuse et distinguée, à travers laquelle Mme Borghi jette d'agréables broderies. Arrive le prophète, qui débite un long et fastidieux récit, et ce prophète amène un final, auquel prennent part Rossini, Donizetti et Bellini.
Le second acte s'ouvre par une prière sans accompagnement le chant est par trop Enfantin ; il manque d'élévation. La foi ! la foi ! où est-elle ?
Un duo entre Nicanor (M. Obin) et Lilla (Mme Gueymard-Lauters) est sans effet. M. Obin chante un allegro qui ressemble singulièrement à l'air final du ténor dans Béatrice di Tenda. (On pourrait s'en assurer.) Le troisième temps de ce duo a un peu plus de vigueur la situation est la même que celle de Robert-le-Diable. Le tonnerre éclate et Satan apparaît. Il récite une nouvelle tirade, qui n'est pas plus gaie que la première. Enfin, voici une charmante scène : la montagne s'entr'ouvre, et l'on aperçoit M. Roger aux pieds de Mme Borghi-Mamo, dans un salon splendide. Hélios répète sa romance du premier acte, qui est accompagnée par un chœur à bouche fermée. Lilla est indignée et Satan s'écrie : Va, je mettrai l'enfer entre son cœur et toi !
II y a évidemment dans cette scène des velléités dramatiques. Il y avait la une opposition bien marquée, qui prêtait à un grand effet musical. M. Félicien David n'en a vu que le coté gracieux : il s'est arrêté un instant pour cueillir une marguerite et il a oublié le drame.
Le troisième acte s'ouvre par un chœur pétillant. Puis vient le ballet, où l'on trouve des réminiscences de Guillaume Tell : Sauvez Guillaume. (On pourrait s'en assurer.) Ces airs de ballet, fort bien écrits, ne sont pas d'une gaieté printanière. Il y règne une teinte de tristesse, qui a bien le caractère de la musique descriptive de M. Félicien David. Puis Mme Borghi-Mamo vient, on ne sait trop pourquoi, pendant que les Grâces, les Bacchantes, les Muses et les Sylvains sont en train de se divertir, chanter une nouvelle chanson d'un charmant tour mélodique. (Encore une marguerite.) Le chœur fête Bacchus sur un motif qui n'est pas précisément très neuf, et Lilla paraît.
Ici se trouve une belle situation, qui pouvait fournir au compositeur l'occasion d'un superbe morceau d'ensemble. Les paroles en sont admirables. M. Félicien David s'est contenté de faire chanter a Mme Lauters une seconde édition du Noël d'Ad. Adam. Ce morceau, qui s'appelle le Credo, est d'un style plus large et mieux approprié au caractère de la scène. Toutefois, il n'est pas à la hauteur du sujet. Vous rappelez-vous le Credo des Martyrs de Donizetti ? À la bonne heure ! voilà qui était religieux, grandiose et émouvant ! Tout ce qui suit le chant de Mme Gueymard-Lauters est sans intérêt. La fin de l'acte est encore une banalité.
Le quatrième acte ne compte que deux morceaux importants, une espèce de bacchanale, entonnée par M. Obin, avec chœurs, tout à fait dans la même situation que la bacchanale de la Magicienne. On nous permettra seulement de trouver que la musique de M. Halévy a une autre originalité et une autre valeur que celle de M. Félicien David.
Enfin, M. Roger et Mme Lauters se rencontrent sur les toits d'Herculanum, entre deux cheminées, et se réconcilient dans un duo fort long, beaucoup trop long. L'andante en ré est une délicieuse mélodie. Ici le musicien s'est un peu échauffé. La cabalette, chantée tour à tour par Mme Lauters et par M. Roger, sans être originale, a un certain brio ; c'est une note hardiment jetée qui en a fait le succès.
Le directeur de l'Opéra a traité M. Félicien David en prince de l'art. Les décors et les costumes sont d'une éblouissante beauté. L'ouvrage a été mis en scène avec une habileté rare. M. Royer a fait preuve de goût et d'intelligence. Le dernier tableau d'Herculanum est une merveille.
D'ici à peu de jours, le Théâtre-Lyrique nous donnera, lui aussi, sa grande pièce. L'on a fait répéter trois morceaux dans Herculanum. Les amis de M. Gounod ne voudront pas être en reste ; ils feront, croyez-le bien, répéter six morceaux de Faust. L'Opéra-Comique viendra après, avec Meyerbeer, qui est un géant. Pour écraser le Théâtre-Lyrique et le grand Opéra, ses amis feront répéter toute sa partition. En fin de compte, nous aurons Otello et Tamberlick au Théâtre-Italien. Rossini, qui est un dieu, pourrait bien, avec son vieil opéra sans costumes et sans décors, écraser et l'Opéra et l'Opéra-Comique et le Théâtre-Lyrique.
Léon Escudier.
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data di pubblicazione : 21/09/23