Audition des envois de Rome
Audition des envois de Rome.
C’est jeudi dernier qu’a eu lieu, dans la salle de la rue Bergère, cette séance annuelle à laquelle on accourt toujours avec intérêt. Il s’agissait, cette fois, d’entendre deux compositions de M. Paul Vidal qui semblent arriver un peu tardivement, puisque M. Vidal avait obtenu son prix en 1883. Mais il n’importe ; mieux vaut tard que jamais. La première œuvre est un « poème symphonique » intitulé Jeanne d’Arc ; c’est par conséquent encore de la musique descriptive, hélas ! selon la manie de nos jeunes compositeurs. Ne nous délivrera-t-on donc jamais de ce fléau, comme on a fini par nous délivrer du poème didactique ? Ceci soit dit pour le genre, car, dans l’espèce, je ne suis pas ennemi du « poème symphonique » de M. Vidal, dans lequel la voix de l’archange saint Michel se fait entendre sous forme de trompette, tandis que celles des saintes Marguerite et Catherine sont personnifiées par des harpes. J’ai remarqué dans la première partie un agréable solo de violon joué d’une façon exquise par M. Berthelier, et l’« hymne ardent de la vaillance et de la foi », qui est d’un rythme franc et d’une belle sonorité. La marche du sacre de Charles VII (marche à 6/8, par parenthèse), dans laquelle on entend d’abord les timbales seules, puis les bois, puis les cuivres, et enfin l’orchestre dans toute sa plénitude, est loin d’être sans intérêt ; c’est un morceau de grande envergure et de larges développements, bien conçu, bien conduit, bien construit, dont les épisodes s’enchaînent heureusement et dont l’éclat symphonique est remarquable. Ce qui manque un peu trop dans tout cela malheureusement, il faut bien le dire, c’est l’élément mélodique propre, c’est l’idée première, c’est la grande source musicale enfin, dont il semble que nos jeunes artistes se soucient vraiment trop peu et qu’ils négligent d’une façon cruelle. « Ils ont trop de talent, nos jeunes musiciens, me disait M. Gounod peu d’instants avant le concert, et pas assez…d’autre chose. » C’est aussi mon avis. Rendons grâce toutefois à M. Vidal, dont les tonalités sont franches et dont les rythmes sont précis. C’est un point important, que nous sommes loin de rencontrer toujours avec ses confrères en musique et en jeunesse.
Après Jeanne d’Arc, nous avons eu le deuxième acte de Saint Georges, légende dramatique en trois actes, écrite sur un poème de M. Maurice Bouchor, dont le programme ne nous donnait qu’une analyse un peu décharnée. Ici encore, j’ai à faire une objection de principe, quand je devrais me faire traiter de « perruque » par tout le clan de la nouvelle Flore musicale. Quoi ! dirai-je ; encore, toujours de la légende ! N’en aurons-nous pas bientôt non plus fini de ce côté ? Quel diable d’intérêt voulez-vous que je prenne, moi, spectateur, assis dans ma stalle, aux lamentations de la jeune Sélénis et de ses innocentes compagnes, au combat de saint Georges avec le Dragon et aux chants de triomphe qui accueillent sa victoire ? Et comment, avec de tels sujets figés sur eux-mêmes, un musicien peut-il s’ouvrir l’esprit, se monter l’imagination et sentir dans son cerveau le bouillonnement de l’inspiration ? Et la passion humaine, le feu dévorant du cœur, la tendresse, l’amour, le sentiment pathétique, le contraste des caractères, la surprise et l’émotion, qu’en faîtes-vous avec de tels sujets ? et comment voulez-vous m’émouvoir, si vous n’avez de quoi être ému vous-même ?
Enfin, puisqu’il le faut, va donc pour Saint Georges, dont « l’action, nous dit le programme, se passe au IIIe siècle après Jésus-Christ, dans le légendaire royaume de Libye, la scène représentant une vallée ombreuse, pleine de fleurs et d’oiseaux, fraîche oasis au milieu d’un pays brûlé par le soleil. » Après une courte introduction symphonique, sans saveur et sans caractère, vient un air de saint Georges, dont la seconde partie est plus ambitieuse que bien venue, mais dont la première : Dans ce clair et paisible val, est d’une heureuse diction et d’une couleur poétique charmante. Un petit chœur de jeunes filles, très court, est bientôt suivi d’un chœur général, très plein, très sonore, et empreint d’un véritable caractère religieux. Le racconto de Sélénis, accompagné par les harpes, est d’un heureux effet. Vient ensuite une sorte de dialogue entre Sélénis et saint Georges, avec interventions partielles du chœur, puis la grande scène du combat du saint contre le Dragon, avec ses divers épisodes. C’est ici surtout que le compositeur m’a semblé faiblir ; il s’agit là d’une page musicale très importante, d’un morceau de vastes proportions, qui m’a paru confus, lâche en ses développements, et dans lequel j’ai vainement cherché, avec un idée mère appréciable, le sentiment d’une forme générale solide et bien comprise. Il n’y a pas de raison pour qu’un tel morceau, ainsi conçu, puisse prendre fin, et il semble qu’il pourrait durer jusqu’à la consommation des siècles, ce qui serait bien fatigant pour saint Georges et ses compagnons. L’acte se termine par un chœur de triomphe qui ne manque ni d’élan ni de grandeur, et par des actions de grâce de Sélénis qui ne sont pas sans charme.
Dans tout cela, je le répète, ce qui manque le plus, c’est le poisson, dont la sauce est parfois excellente, mais dont la chair est plus maigre qu’il ne faudrait. Que M. Vidal, qui est en possession d’un talent sérieux et distingué, prenne un peu plus souci du fonds mélodique, qu’il ne se contente pas de la première idée qui lui vient sous les doigts, qu’il sache châtier et surtout choisir son inspiration, et il atteindra le but. Il ne saurait, d’ailleurs, se plaindre de son interprétation. Mme Leroux-Ribeyre a dit avec grâce et avec goût le rôle de Sélénis, et un amateur, M. Baudoin, qui a suppléé à l’improviste M. Escalaïs, indisposé, s’est tiré tout à son honneur de la partie de saint Georges. Quant à l’exécution générale, très ferme, très sûre, très précise de la part des chœurs et de l’orchestre, elle fait le plus grand honneur à M. Garcin, ainsi qu’au personnel qu’il dirige avec tant de souplesse et d’autorité.
Arthur Pougin.
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data di pubblicazione : 16/10/23