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Renaud

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Le sujet de Renaud est de ce pauvre Pellegrin, dont le nom, quoique devenu célèbre en 1704, par l’honneur unique qu’eut cet Auteur, de gagner, pour ainsi dire, doublement le Prix de Poésie de l’Académie Françoise [note de bas de page : Il avait envoyé une Ode & une Epître : celle-ci fut couronnée ; mais on lui dit qu’il avait eu un Concurrent dont la Pièce avait balancé les suffrages de l’Académie & cette Pièce se trouva être son Ode.], est aujourd’hui presque aussi décrié que celui de l’Abbé Cotin, qui était de l’Académie même. M. le Bœuf, qu’on a d’abord mal conseillé dans le choix de ce Poëme, s’est encore ôté, en l’élaguant, des ressources que Pellegrin avait su se ménager. Il a pris l’action précisément à l’endroit où celle-ci, qui a eu grand soin de représenter Renaud toujours occupé du souvenir d’Armide, le montre enflammé d’amour à la vue de cette Princesse, & venant lui offrir une paix dont il ne peut jouir lui-même. Chez M. le Bœuf, ce Héros, dans la bouche duquel il n’y a pas un seul morceau qui peigne d’avance sa tendresse, dit tout simplement, & en vers un peu durs :

Le brave Godefroy, qu’un zèle saint anime,

Vous déclare ici par ma voix,
Que vous devez renoncer à Solime,
Et sur ses murs sacrés lui céder tous vos droits.

Et ensuite, dans tout ce qui se passe entre Armide & lui, on ne fait qu’entrevoir le feu qu’il ressent pour elle ; de sorte que ce personnage, qui devrait être si intéressant, ne l’est presque pas, & a quelque chose même qui blesse : on a dû s’en apercevoir aux murmures qui se sont fait entendre, lorsqu’il dit au dernier acte : Il est temps de parler. Voilà, sans contredit, le défaut le plus essentiel du nouveau Poëme. La passion de l’amour n’avait déjà pas dans les anciens la juste étendue qu’il faut sous prétexte que les progrès de l’Art dramatique musical exigent une autre coupe, une marche plus rapide, on ne donne à cette passion aucuns développements ; & on étrangle l’action de manière qu’elle ne touche, qu’elle n’attendrit nullement. Que de moyens d’attacher, de pénétrer le cœur, par des chants d’une mélodie vive & affectueuse, ce même défaut n’a-t-il pas enlevé à M. Sacchini, qui excelle surtout en ce genre ! Quoi qu’il en soit, voici très brièvement, la marche qu’a suivie M. le Bœuf, en mettant à profit une infinité de vers de l’ancien Pöeme. [Résumé de l’intrigue].

La musique de M. Sacchini est pleine de délicatesse, de pureté & de noblesse ; c’est toujours sans recherche & avec des modulations faciles, que cet habile Compositeur a eu l’art de produire des effets, pour la plupart très heureux, & souvent neufs. Son récitatif est sage, mais peut être pas assez varié. Il règne dans ses chants, une harmonie douce & gracieuse. Ses accompagnements, aussi brillants qu’ingénieux, ont surtout le mérite rare de n’être jamais chargés ni confus. Ses chœurs, sans être bruyants, n’en sont pas moins estimables : celui des Démons, entr’autres, & le serment des Chevaliers, ont paru d’une simplicité imposante, & qui en remplit parfaitement l’objet. Tous les Cantabilés d’Armide sont de l’expression la plus touchante, & en même temps la plus aimable, principalement ceux du 2d Acte ; aussi ont-ils été applaudis avec transport. Mais un reproche qu’on peut se permettre de faire à M. Sacchini, c’est d’avoir mis un peu trop souvent du sentiment où il fallait de l’énergie : il en résulte, indépendamment du défaut d’intérêt que nous avons relevé dans le Poëme, une uniformité de ton qui à la longue fatigue le Spectateur & le refroidit. Mlle le Vasseur a très bien rendu le rôle d’Armide, & y a surtout ménagé sa voix avec tout le soin possible. M. le Gros a plu aussi dans le personnage de Renaud, ainsi que Messieurs Laïs & Chéron, dans ceux d’Adraste & d’Hidraot. Tous les Ballets sont de la composition de M. Gardel L. Les airs en ont paru, en général, peu saillants, à l’exception cependant de celui sur lequel Mlle Gervais exécute un pas qu’elle a rendu avec une supériorité qui prouve que son talent augmente tous les jours. Les pas de deux entre Mlle Dorival & M. Nivelon, ainis qu’entre Mlle Guimard & M. Vestris, ont fait beaucoup de plaisir. Mais, quelqu’agréables que soient toutes ces Danses, celles du 1er acte ont paru déplacées ; & on a trouvé qu’Armide avait raison de dire :

Ne perdons pas le temps en d’inutiles fêtes.

Cet Opéra, au surplus, est bien établi & bien exécuté. On y a fort applaudi Mlle Le Bœuf, fille de l’Auteur des paroles, pour la manière pure & légère, dont elle a chanté deux Airs qui embellissent les Divertissements.

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Compositeur

Antonio SACCHINI

(1730 - 1786)

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Antonio SACCHINI

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Jean-Joseph LE BŒUF

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date de publication : 16/10/23