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Théâtres. Opéra-Comique. Psyché

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THÉÂTRES.
OPÉRA-COMIQUE. PSYCHÉ.

Que de choses dans un menuet !

En vérité, cette exclamation n’était du tout point si ridicule qu’on a bien voulu le croire ; et cela se comprend, puisque aujourd’hui il est parfaitement reconnu, d’accord avec Jacotot, que tout est dans tout.

À plus forte raison puis-je m’écrier : Que de choses dans un opéra-comique, même plus ou moins comique.

N’allez donc pas me demander un compte rendu complet et détaillé de Psyché après une seule audition. En bonne conscience, ce ne serait pas raisonnable. Tenez-moi quitte pour quelques impressions et souvenirs que je vais essayer de vous traduire de mon mieux ; et, pour le reste, faites comme moi, allez-vous récréer au théâtre de la place Boieldieu : ce sera du temps bien employé. À votre tour, vous me direz ce que vous aurez vu dans la charmante pièce. Notez que je maintiens le mot de charmante, et je me tiens d’avance pour assuré que vous ne me dédirez pas, quoi qu’on die d’ailleurs. Dame ! chacun son opinion, et je déclare que la mienne est favorable à la pièce en question, qui ne devrait pas vieillir plus que son sujet.

Maintenant causons de la chose. Justement ce n’est pas le plus facile, car il me faudrait vous parler pertinemment :

1o De la fable en elle-même, comme tissu et comme moralité ;

2o De la pièce écrite par MM. J. Barbier et Carré ; 

3o De la partition ; 

4o De la danse ; 

5o De l’exécution, sous le rapport musical et dramatique ainsi que sous le rapport chorégraphique ; 

6o Enfin de la mise en scène, 

Sans oublier même les applaudisseurs frénétiques ou systématiques, auxquels j’étais bien tenté de crier : mais taisez-vous donc, vous allez réveiller… Éros qui dort !

Or, quant à la fable, tirée du roman d’Apulée, Psyché, la célèbre bien-aimée de l’Amour, est la fille d’un roi dont le nom n’est point indiqué. Elle a deux sœurs, ses aînées. Sa beauté ravissante, parfois un si funeste présent pour les femmes, excite au loin l’admiration universelle. Les peuples qui l’adorent font fumer l’encens en son honneur et lui donnent le nom de Vénus. Ils vont jusqu’à la trouver plus belle que la blonde déesse. On comprend qu’un parallèle aussi téméraire fasse monter la rougeur au front de celle qui a remporté le prix sur le mont Ida. Le dépit s’empare d’elle, et pour venger une semblable insulte, elle fait jurer à son fils que Psyché soupirera pour le monstre le plus terrible qu’ait produit l’univers. Cependant ses deux sœurs aînées se marient :

Fières par habitude, et coquettes par goût,
D’esprit très-ordinaire, et d’humeur très-jalouse ;
C’étaient de ces beautés qu’on rencontre partout,
Qu’on n’aime point, mais qu’on épouse.
On vantait au loin leurs trésors,
Non ces trésors dont la nature
Orne l’esprit, pare le corps
Et de Vénus enrichit la ceinture,
Mais des trésors de ce métal
Auquel on donne sur la terre
Une valeur imaginaire,
Qui, pour un peu de bien, y fait beaucoup de mal.
Cependant en formant à peu près un total
De leur âge, de leur naissance,
Item de leur dot, tout compris,
Nos deux sœurs étaient pour des maris
Deux figures de convenance.

Pour ce qui est de la charmante princesse, elle reste seule auprès des auteurs de ses jours, leur prodiguant les caresses et les consolations de la piété filiale. Tout à coup un oracle répand l’effroi dans le pays : les dieux ordonnent que Psyché, victime pour tous, sera déportée, abandonnée sur la cime d’une haute montagne, limite du territoire que possède son père, et que là elle attendra le monstre qui doit être son époux. On obéit à l’oracle, et la malheureuse Psyché, abandonnée, gravit péniblement la pente escarpée, parvient sur la cime, s’assied et s’endort. À son réveil elle se retrouve dans des lambris d’or, sous des voûtes étincelantes de marbre et de cristal, au milieu de soyeux tapis de Perse, des émanations odorantes de jardins embaumés et des harmonies cadencées de mille instruments. Si elle doit mourir, qu’elle regrettera la vie au milieu de tant de délices ! Si elle doit avoir un époux, combien il sait faire excuser sa laideur ! et si sa laideur est en proportion avec la magnificence qu’il déploie, qu’il doit être affreux ! Tandis que Psyché s’abandonne a ses réflexions, le temps s’écoule, la nuit vient ! Lorsque les ténèbres épaisses enveloppent le monde, dans l’alcôve que n’éclaire pas même la faible lueur d’une lampe, l’époux terrible se glisse auprès de Psyché : il n’a rien d’épouvantable ; quoiqu’elle ne puisse le voir, elle en est sûre. Il lui prodigue toutes les expressions de l’amour le plus brûlant, auquel elle répond par une tendresse et une joie douce qui désormais inonde son cœur. Pourtant un nuage obscurcit son bonheur. Comment se résigner à ne connaître ni les traits ni le nom d’un époux si parfait! « Malheur à toi, Psyché, si tu viens à le découvrir. Oh ! que jamais une curiosité fatale. » Psyché promet, Psyché s’impatiente ; et un jour qu’elle a obtenu de son époux que ses sœurs viendront lui rendre visite dans son palais enchanté, Psyché cède aux insinuations perfides que glissent à son oreille ses jalouses aînées : la nuit suivante, pendant que son époux accablé repose, elle se dégage légèrement de ses bras, saisit un flambeau qu’elle a caché sous le modius opaque, s’avance d’un pas furtif vers le lit… Malheureusement en se penchant sur l’adolescent ailé pour mieux s’enivrer de ses traits, pour promener sa bouche sur ses yeux, pour respirer son haleine, la jeune curieuse hors d’elle-même laisse tomber de la lampe qui tremble entre ses mains une goutte brûlante sur le sein de son époux. Il se réveille en sursaut : « Ingrate Psyché, dit-il, vous me connaissez maintenant ! à votre ignorance tenait votre bonheur. Je ne puis plus être à vous. » Et soudain le palais aux riches colonnes disparaît, Psyché se trouve seule au milieu d’un désert aride, immense. Partout le vide, le silence, la désolation ! Le bruit d’un torrent lointain interrompt seul ses gémissements. Elle court vers cette onde écumeuse et qui mugit, s’y élance… mais la mort ne veut pas d’elle, les flots la déposent mollement sur l’autre rive. Alors elle s’abandonne à sa destinée, suit machinalement le premier chemin qui s’offre à elle, arrive ainsi, après trois jours de marche, à la petite ville où règne sa sœur aînée ; puis un peu plus tard à celle qui a pour reine sa cadette, et chemin faisant les fait tomber victimes de leur mutuelle jalousie. Grâce à un double mensonge de la jeune voyageuse, l’aînée s’imagine que la cadette, la cadette s’imagine que l’aînée, supplantant Psyché, va être l’épouse de l’Amour. À cette nouvelle, toutes deux s’élancent vers la montagne où jadis Psyché avait été laissée par ses parents inconsolables, et de l’autre côté de laquelle s’était montré le brillant palais bâti pour elle par l’Amour. Elles appellent Zéphyre, qui une fois déjà les a conduites à ce palais, et croyant s’abandonner aux ailes du dieu, elles se précipitent et disparaissent au fond de l’abîme qui environne le jardin de l’Amour. Après avoir cherché son époux de tous côtés et demandé, mais en vain, un asile à Cérès et à Junon, Psyché va se confier à la générosité de Vénus et se jette à ses genoux. La superbe déesse oublie que le plus beau privilège de la divinité est de pardonner ; elle impose à l’inoffensive suppliante des travaux au-dessus des faibles forces de son sexe. Mais un secours invisible l’aide à vaincre des difficultés incroyables. Vénus, que tant de résignation irrite encore au lieu de l’apaiser, ordonne alors à Psyché d’aller aux Enfers et de demander de sa part à Proserpine une boîte de beauté pour suppléer à ce qu’elle avait perdu pendant la maladie de son fils. Grâce à l’assistance secrète du Dieu dont elle avait enfreint les ordres dictés par la tendresse, elle sort victorieuse de cette nouvelle épreuve. Guidée, protégée, puis ranimée par l’amour, Psyché est enfin élevée au rang des immortelles. Les dieux de l’Olympe accueillent leur sœur nouvelle avec les transports que jadis ils firent éclater lors de la naissance de Vénus. Unie enfin à l’Amour, du consentement de Vénus, Psyché devient bientôt mère de la Volupté.

Telle est la fable abrégée que, dans les limites de leur cadre, les auteurs de la pièce en question ont à peu près suivie de point en point.

Mais toute fable renferme une vérité déguisée, souvent oubliée, même parfois entièrement perdue.

Or dans la fable de Psyché on a voulu voir entre autres choses : 1° l’union de l’Amour et de l’Âme, union sans laquelle l’Âme serait à jamais stérile ; union vivifiante qui se trouve au fond de toutes les religions ; 2° la disparition des dieux devant un œil profane ; de l’idéal, du mystique, de l’imagination devant le flambeau de la froide raison ; de l’amour, devant l’examen impartial, complet, exact de ce qu’on aime ; 3° la curiosité inhérente à l’espèce humaine ; la curiosité, source des péchés, du mal physique et de la mort : la curiosité, cause du terrible drame de la déchéance. 4° la théorie de l’expiation (car Psyché, en descendant aux Enfers, en passant par une léthargie profonde, expie son péché) ; 5° la puissance de la magie.

De sorte que la pièce de M. J. Barbier et compagnie renferme un profond enseignement philosophique auquel il se peut bien que les auteurs n’aient nullement songé. J’aime les pièces mythologiques et féeriques, parce qu’elles ont le mérite de faire penser, d’appeler agréablement les sérieuses méditations des personnes qui réfléchissent, surtout quand ces pièces sont charpentées à la façon de Robert le Diable et accompagnées d’une musique parfaitement appropriée au sujet.

Pour juger de ce double mérite, encore une fois j’engage mes lecteurs à suivre les représentations de Psyché, œuvre qui, en somme, est bien exécutée. Madame Ugalde, qui a surtout captivé mon attention, laisse fort peu à désirer comme jeu et comme chant ; j’oserai seulement dire tout bas que parfois sa prononciation dans les tons aigus m’a déchiré la membrane du tympan. Comment se fait-il qu’une si jolie bouche prononce si aigrement : Pour te sauvééé... Psychééé… Je suis un simple bééérgééé… Après tout, nos savants astronomes disent qu’il y a des taches au Soleil ; et les poétiques Orientaux, qui comparent les belles femmes à la Lune, n’ont jamais prétendu que l’astre des nuits fut exempt de toute espèce d’imperfection ; donc… lecteur, concluez.

Moi qui, en dépit de la chanson, préfère la danse, je dois dire combien j’ai applaudi au joli divertissement exécuté dans le palais de l’Amour. C’est à peine si j’ai laissé passer inaperçu le plus petit geste, un entrechat, un rond de jambes, un sourire, un clignement d’œil des danseuses ; j’entends parler de celles qui m’ont paru jolies et artistes. Car au milieu de cet essaim de bayadères, j’en ai bien remarqué plusieurs qui n’avaient de la bayadère que le costume de convention, et sur la physionomie desquelles rien, absolument rien ne se traduisait. Et je me disais : par ma foi, celles-là n’ont rien reçu du ciel d’Indra, et l’on peut sans danger pour aucun sage leur confier le fameux Tal : elles auraient beau invoquer Marouta, le dieu resterait sourd à leur voix.

La danse bien entendue, bien exécutée, complètement poétisée, est sans contredit le plus grand moyen de séduction que l’on puisse exercer sur le spectateur ; elle seule a le privilège de produire des impressions que rien ne peut égaler : c’est chose entendue et désormais admise sans conteste. On a donc eu raison de l’introduire dans la pièce qui nous occupe ; et l’administration a eu également une bonne inspiration pour la mise en scène, dont les décors sont du plus bel effet.

N.-H. CELLIER-DUFAYEL.

Personnes en lien

Compositeur

Ambroise THOMAS

(1811 - 1896)

Œuvres en lien

Psyché

Ambroise THOMAS

/

Jules BARBIER Michel CARRÉ

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date de publication : 23/09/23