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Musique / La Soirée parisienne. Namouna

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MUSIQUE
Opéra. — Première représentation de Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux, de MM. Nuitter et Petipa, musique de M. Lalo.

Le Clairon a donné, hier, l’analyse très exacte des trois tableaux de Namouna. Nous y reviendrons en peu de mots, pour l’intelligence de ce qui va suivre ; mais, comme nos lecteurs sont déjà au courant, nous aborderons tout de suite ce qui doit principalement nous occuper. La représentation s’est d’ailleurs, terminée trop tard pour que nous puissions nous étendre. Ce ne sera donc qu’une série de notes que nous offrirons au public, en nous excusant de ne pouvoir faire mieux.

On a tant parlé de ce ballet pendant les répétitions, qu’un long préambule serait inutile. Il n’est pas bien utile, non plus, de reprendre tout ce qu’on a dit sur l’auteur. M. Lalo, qui était parfaitement connu des artistes, l’est maintenant de tous les Parisiens. Un acte de vaudeville représenté, fait plus pour la notoriété d’un homme, que dix volumes de bibliothèque ; et un ballet, même médiocre, a plus de retentissement que dix symphonies de premier mérite.

On trouve cependant dans Namouna une connaissance approfondie de l’orchestration, de la verve, une véritable science. C’est peut-être un peu fort, en certains endroits, pour les admirateurs de Donizetti et de M. Métra, et les musiciens de M. Altès auront eux-mêmes besoin de se faire à leurs parties, mais certains amateurs ont beaucoup apprécié l’œuvre de M. Lalo.

On n’est pas bien exigeant pour le livret d’un ballet. On devrait certainement l’être davantage. Celui de M. Nuitter a le grand défaut de n’être pas clair.

L’action se passe au dix-septième siècle (??), à Corfou et dans une lie de l’Archipel. Au premier acte, on est dans une maison de jeu, à Corfou. De larges fenêtres donnent sur la mer, et l’on aperçoit au fond un navire tout gréé.

La toile se lève après une courte introduction, finement orchestrée, et où se mêlent deux mélodies intéressantes, indiquées sans développement, ce qui signifie qu’elles reparaîtront dans l’ouvrage.

Nous arrivons ainsi à une scène de jeu, pleine de variété. Ottavio et Adriani jouent l’un contre l’autre. Ottavio gagne à tout coup. Son rival ruiné n’a plus à jouer que sa maîtresse : Namouna. Il la perd, comme il a perdu ses richesses, mais Ottavio voyant pleurer la belle, lui rend galamment la liberté et lui abandonne tous les biens d’Adriani, y compris le navire qui est à l’ancre.

Cette scène se déroule, avec ses nombreuses péripéties, au milieu des danses et des grâces des dames et des gentilshommes qui emplissent la maison de jeu. Il résulte de ces oppositions de curieux effets, que M. Lalo a traduits avec beaucoup de sonorité. Le compositeur a fait contraster les instruments et leur a confié, en quelque sorte, des rôles dialoguant.

Le tableau entier ne se compose que d’un seul morceau de musique. Aux dernières mesures, Namouna monte sur la tartane, et la tartane s’éloigne, mais l’orchestre ne s’arrête pas. Le rideau baissé, il développe symphoniquement le thème de la tartane, sur un mouvement lent, et cette page, où les basses chantent sur le trémolo aigu des violons, a été très accueillie.

*

Voici maintenant le second tableau. Une place publique au bord de l’eau. Le décor est beau : à droite un palais, à gauche, une hôtellerie. Vous voyez d’ici les terrasses, les portiques et le reste.

Ottavio courtise une princesse. Belle occasion pour placer une sérénade. M. Lalo a écrit la sienne en pizzicati, avec agréments de clarinettes et d’instruments à vent.

Adriani, qui survient, provoque Ottavio, dont il veut se venger. Mais une bouquetière, en laquelle on reconnaît Namouna, se jette entre les duellistes. Ils se battent, elle leur offre des fleurs. M. Petipa a ingénieusement réglé ce tableautin, et M. Lalo en a tiré un bon parti en faisant alterner, comme dans les danses et les duels, un thème de flûte et des ensembles pour tout l’orchestre.

À ce moment la foule accourt. On avait négligé de dire que nous étions en carnaval. Une bande de musiciens apparaît sur la place, traînée dans un char. Des joueurs de trompe se montrent au balcon. La joie éclate de toutes parts. Le char est occupé par une musique de cuivres ; les trompes se répondent… cet effet n’est pas nouveau et a beaucoup détonné sur la scène de l’Opéra. Ce char rappelle trop les ballets de féerie.

Le divertissement ainsi commencé, ne compte pas moins de six parties. Un pas assez gracieux pour douze danseuses frappant de petites cymbales, la valse et la scène de la cigarette, où Mlle Sangalli a produit tant d’effet, un pas de cinq, un ensemble du corps de ballet, une Gitana, et un finale. De ces six numéros, le plus bruyant est la valse pour flûte et hautbois. La scène de la cigarette est une scène de coquetterie. Mlle Sangalli a charmé par sa mimique originale. Elle prend et laisse sa cigarette et finit par se griser de la fumée… fictive. Elle nous a donné le vertige, à la fin, quand elle a repris la valse sur un mouvement redoublé.

Pendant que l’on danse, comme cela, sur la place, Adriani poursuit ses projets de vengeance. Il soudoie des bandits pour enlever Ottavio. Seulement, Namouna a tout prévu. Ses gens viennent en aide à celui qui l’a délivrée et on l’embarque sur la tartane, fort étonné de cette aventure. L’acte finit par une reprise de la phrase du char, mêlé au motif de la tartane. M. Lalo se plaît à intéresser ainsi la symphonie à l’action.

*

L’intrigue se dénoue dans une île de l’Archipel. C’est la demeure d’un marchand d’esclaves et c’est de là que Namouna est partie autrefois. Les femmes dorment sous les arbres et quand elles ont assez dormi, elles dansent. Le compositeur a su donner à tous les airs de danse de ce début une couleur et des rythmes qui sentent l’Orient le plus pur. Mlle Subra a provoqué presque de l’enthousiasme, par la façon gracieuse et correcte, dont elle a exécuté un pas de raillerie.

Cela n’a pas, du reste, empêché Mlle Sangalli de triompher, un instant après, dans son pas oriental, dans le pas de la coupe, et dans cette gracieuse variation écrite par M. Lalo pour flûte solo et où la virtuosité de la danseuse a fait des prodiges, en même temps que celle de la première flûte de l’orchestre, M. Taffanel, nous émerveillait pour son compte.

La lutte d’Ottavio et d’Adriani revient encore à la lumière. Adriani se met à la tête des pirates. Mais Namouna commande à ses compagnes de les griser, et on les désarme. Cependant, Ottavio se laisse prendre par son ennemi. Namouna s’aperçoit du danger ; elle dégage son amant en faisant poignarder son ancien maître, et le spectacle se termine sur une explosion de joie.

Il ne nous reste plus que le temps de rendre justice à l’interprétation chorégraphique, qui est remarquable. En dehors de Mlle Sangalli, qui est une étoile, de Mlle Subra, qui est une espérance, et de MM. Méraute et Pluque, on a applaudi Mlles Biot, si vive et si gentille, Fatou, Piron, Mercédès, Hirsch. Inverzizi, Montchanin, toutes les enchanteresses endiablées. Le jeune M. Vasquez, qui bondit si haut qu’il en oublierait presque de descendre sur la terre, a eu aussi sa part de bravos.

Il nous faut avouer que l’œuvre de M. Lalo a été mal accueillie par la grande majorité du public.

— Défaut d’éducation musicale, disent les fanatiques du maître.

Résumons-nous en disant que Namouna contient des qualités qu’on découvrira probablement aux représentations suivantes.

M. CRESPEL

La Soirée Parisienne
NAMOUNA

Si les peuples heureux n’ont pas d’histoire. Namouna en a une, et une longue.

Il est inutile de rappeler ici, dans tous leurs détails, les aventures de ce ballet-fantôme. La question Namouna a été aussi compliquée que la question d’Orient et que celle du chat. On a fait beaucoup de bruit autour de l’œuvre de M. Lalo avant son apparition ; en fera-t-on autant après ? Cela ne me regarde aucunement.

Que d’histoires ! que de discussions ! que de réclames ! D’abord le fameux cas de la cigarette. Mlle Sangalli fumerait-elle du tabac turc, du caporal ou du tabac à priser ? Pas du tout ! Elle ne fumera pas ; c’est bien plus simple.

Puis la maladie du compositeur. M. Lalo se trouvait, disait-on, dans l’impossibilité d’écrire la fin de son ballet. Un jour, M. Widor s’était chargé des derniers travaux ; le lendemain c’était M. Gounod ; le surlendemain, M. Planquette.

Enfin, l’affaire Sangalli. Ah ! celle-là a été tumultueuse. La danseuse avait mal entre les doigts de pied, disaient les uns. Mais les malveillants affirmaient qu’elle n’avait mal qu’à sa bonne volonté. Et on s’est disputé ! Et ces pauvres doigts de pied ont agité l’Europe ! Mlle Sangalli danserait-elle ? Mlle Sangalli ne danserait-elle pas ?

Un beau jour, un journal a imprimé cette phrase dictée par Mlle Sangalli, qui n’avait pu l’écrire, puisqu’elle avait mal aux doigts de pied :

— Je danserai le 6 mars, ou je serai morte !

L’émotion a redoublé aussitôt. Jusqu’à la matinée d’hier, je connais des gens qui n’ont pas dormi d’anxiété. Enfin, à la première heure, les journaux ayant annoncé que la première aurait lieu irrévocablement le soir, on s’est écrié :

— Elle danse, donc elle n’est pas morte !

Et on a éprouvé un soulagement.

Et ce n’était pas une farce. La première de Namouna a eu lieu hier sans cigarette, sans Planquette et sans cadavre.

C’est à dix heures précises que le nouveau ballet a commencé, devant une salle comble. Les abonnés du lundi, la presse et quelques individus du gouvernement. Dans l’avant-scène de droite, j’ai vu M. Gambetta. Il est vrai que dans l’avant-scène de gauche, je n’ai pas vu M. Grévy. Il y a compensation.

M. Edouard Lalo a passé toute la soirée sur la scène, dans la loge de M. Vaucorbeil.

On frappe trois coups. L’orchestre joue trois mesures. Le rideau se lève.

Un petit décor, représentant un Casino à Corfou. Au fond la mer, au premier plan M. Mérante faisant une partie de dés avec M. Pluque.

M. Mérante est très joli. Il a une belle culotte de velours rouge et une barbiche blonde qui est également un velours. M. Pluque porte le justaucorps de buffle, la culotte de velours vert dans les grandes bottes à entonnoir, le tout agrémenté d’un feutre immense et de moustaches furibondes. Cocardasse peint par Roybet.

Mais, mon Dieu ! que ce M. Mérante est donc un joueur de mauvais goût ! À chaque coup qu’il gagne – et il les gagne tous – il se moque de son adversaire, lui rit au nez et se conduit de la façon la plus pitoyable. Il est vrai que M. Pluque est un bien mauvais joueur. Il frappe du pied, lève les bras au ciel, et ne dit pas d’injures simplement parce que, dans la pantomime, il est défendu de parler.

Mais Mlle Sangalli arrive, couverte d’un voile. Elle porte une robe longue pendant le premier tableau, et un grand intérêt à Mérante pendant tout le reste du ballet.

Ce premier tableau a d’ailleurs ceci de particulier qu’on n’y danse aucunement. À la rigueur il pourrait être joué par les Hanlon-Lees. J’en suis même à me demander si on ne pourrait pas ne pas le jouer du tout.

Le rideau tombe. Il est en dentelles.

Ici se place un incident pénible.

M. Lalo avait écrit un entracte symphonique auquel il tenait beaucoup, entre le premier et le deuxième tableau. Vous croyez peut-être qu’on l’a écouté ? Ah bien oui ! Tout le monde était debout, tournant le dos aux musiciens, lorgnant la salle, causant tout haut. Il y aurait peut-être beaucoup de hardiesse à dire que c’est là le comble de la correction.

Mais les dentelles disparaissent dans les frises et nous nous trouvons en face d’un décor splendide.

Une place publique à Corfou.

Au fond la mer – je remarque que la mer est toujours au fond dans ce pays-là. – À droite et à gauche, des maisons, dont une avec superbes balcons dont j’aimerais assez à être le propriétaire. Dans le lointain s’enfonce une adorable petite rue tout ensoleillée. C’est vraiment d’un très bel effet.

C’est à un des balcons ci-dessus qu’apparaît Mlle Invernizzi, excessivement jolie et fort bien costumée ; Mérante lui chante une sérénade avec ses bras, parvenue dans les ballets il est défendu de chanter avec autre chose.

Mais les temps sont proches où on va commencer à danser. Ça, ça n’est pas défendu.

C’est Mlle Sangalli qui ouvre le feu, déguisée en bouquetières, avec une petite jupe de satin bleu. Mlle Sangalli a pour mission d’exécuter des jetés-battus entre deux gentilshommes qui se battent en duel. Ce procédé, irrégulier au point de vue du code des duellistes, a pourtant plusieurs agréments, entre autres, celui d’empêcher les adversaires de se faire du mal. Comme effet, ça rappelle un peu la scène du Petit Faust, où Méphisto détourne l’attention de Valentin en lui offrant une prise.

La danse s’accentue. Voici maintenant la Fête des Palmes.

Ce n’est pas, comme on pourrait le croire un divertissement dansé par des officiers d’Académie. Non, c’est plutôt un hommage rendu au cirque Fernando, grâce à l’abus des cuivres qu’on a placés dans tous les coins du théâtre.

Ah ! nous en avons entendu de ce cuivre ! Il y en a aux fenêtres, au balcon, sur un grand char, il doit y en avoir dans le trou du souffleur. Et ils s’en donnent, les insensés, se répondent, jouent ensemble, séparément, mais toujours très fort.

Je croyais que pendant le carême il était défendu d’abuser tant que ça des instruments à vent.

Là dessus, on danse. Et entre chaque pas exécuté par le corps de ballet ; on voit arriver Mlle Sangalli, toujours revêtue d’un costume nouveau. Le rôle de Namouna aurait fait la joie de Brasseur. Comme transformation, il enfonce carrément Tricoche et même Cacolet.

La Fête des palmes se termine par des exercices d’élasticité qui font le plus grand honneur à M. Vasquez. Ah ! que M. Vasquez saute donc bien ! Nulle part on ne saute mieux que ça – même à la Bourse.

Mais je ne puis continuer sans flétrir la conduite de M. Mérante, qui est décidément bien mal élevé. Croiriez-vous que, sous les yeux mêmes de sa bonne amie, qui assiste à la fête, il se met à danser sur la place publique comme un simple chien savant. Un homme qui a gagné tant d’argent au premier tableau ! C’est vilain !

Aussi n’ai-je pas pensé à être ému un seul instant, lorsqu’il a failli être assassiné par les ordres de M. Pluque. Ce joueur rancunier a choisi cette vengeance – il en est de plus modernes – mais enfin, il a choisi celle-là et si Mlle Sangalli ne venait pas sauver son danseur, sous un nouveau travestissement, le ballet aurait pu finir là.

Mais Mlle Sangalli est venue ! Le second acte commence par un tableau ravissant.

Nous sommes dans une île de l’Archipel. Quelle est cette ile ? On ne nous la nomme pas sans doute par crainte d’une revendication de l’école Duverdy. Au fond, la mer – naturellement – à gauche, un pavillon, partout de grands arbres de la plus grande beauté.

C’est la sieste des esclaves. Des femmes sont mollement étendues par terre pendant que des esclaves les éventent pour les protéger contre les ardeurs du jour. La principale dormeuse est la jolie Mlle Subra.

Le maître de ces esclaves est M. Cornet, qui, lui, a du moins l’avantage de ne pas être à piston.

Ici se trouve un charmant divertissement ; celui des fleurs. Chaque esclave tient à la main un bouquet rouge, rose ou bleu. Ces bouquets en se relevant, forment des parterres animés comme je vous en souhaiterais dans vos jardins.

Cette floraison se déploie en l’honneur de Mlle Sangalli et de M. Mérante qui, vu sa grande chance aux dés, a jugé à propos de s’habiller en Grec. C’est là que se place la scène d’amour. Namouna et Andriani se témoignent leur flamme en trinquant avec deux roses, ainsi que cela se fait dans les files de l’Archipel.

Mais paraîtras ! voici les forbans. Les esclaves dansent au milieu des poignards ce qui, vous le voyez, n’est pas du tout la même chose qu’à l’acte précédent.

Le tout finit par une orgie convenable et par le pas de la Coupe qu’on a bissé à Mlle Sangalli.

Dam ! vous comprenez, on avait bissé le pas de la Sabotière à Mlle Mauri dans la Korrigane. On n’a pas voulu faire d’injustice.

Maintenant, si l’on me demande de décerner des éloges, je me hâterai de couvrir de fleurs avec joie et sans réserve :

MM. Rubé et Chaperon, qui ont fait les deux décors du premier acte.

M. J.-B. Lavastre qui a peint le décor du deuxième acte.

M. Eugène Lacoste qui a dessiné des costumes vraiment adorables, que tout le monde s’est accordé à applaudir de bon cœur.

À la fin de la soirée, M. Coleuille. Régisseur, est venu se montrer dans un fort bel habit noir, qui a dû être également dessiné par M. Eugène Lacoste.

Il a défilé son petit chapelet avec beaucoup de tact. Je m’en voudrais de raconter l’accueil qui a été fait aux noms de MM. Nuitter et Petipa ainsi qu’à celui de M. Lalo, mais on a fait un grand succès aux peintres et aux dessinateurs.

C’était justice.

À la sortie, le public a décerné une ovation à M. Léo Delibes, qui descendait le grand escalier.

FRIMOUSSE

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Librettiste, Journaliste

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(1850 - 1895)

Compositeur

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(1823 - 1892)

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date de publication : 31/10/23