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Au Théâtre de la Michodière. Passionnément

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Au Théâtre de la Michodière
Passionnément !
Comédie musicale en 3 actes de MM. M. Hennequin et A. Willemetz
Musique de M. André Messager

Aimez-vous les histoires américaines ?

Elles sont aimables, flegmatiques et profondes. On pourrait aisément les réunir en recueil, comme on fit pour les histoires marseillaises et gasconnes. Vous connaissez celle, classique, du colonel et des deux lieutenants débarqués en France pendant la guerre : la scène se passe dans un bar.

— Ici, boys, dit le colonel, nous ne sommes plus « secs ». Vous pouvez boire, mais buvez, comme je le fais moi-même, modérément. Ainsi, vous voyez à cette table ces deux personnes assises : lorsque vous en verrez quatre, cela voudra dire que vous voyez double, et vous devrez alors vous abstenir.

— Mais, Votre Honneur, répond un des deux lieutenants, il n’y a pas deux personnes à cette table, il n’y en a qu’une !...

Quand les Américains « secs » se mettent à boire, ils boivent plus et mieux que les autres.

C’est une histoire de ce genre que nous content MM. Maurice Hennequin et Albert Willemetz. Elle est seulement un peu plus longue, puisqu’elle dure trois actes, mais on ne s’en aperçoit guère, tant ils l’ont développée avec art, conduite avec adresse, dialoguée avec esprit, et tant M. Messager a su la parer de musiques exquises.

Master Stevenson est américain, milliardaire et « sec ». Entendez par là qu’il observe le régime « sec ». Cette sécheresse influe sur son caractère : il est devenu sec physiquement, sec moralement, sec de manières, sec de langage. Il rudoie le capitaine de son yacht, bouscule le stewart, ahurit la femme de chambre, ne se montre aimable avec sa femme qu’à ses moments perdus — et il n’en perd pas beaucoup !

Au lever du rideau, tous ces personnages se trouvent à bord de l’Arabella, le yacht de Stevenson, qui arrive à Trouville où notre milliardaire est appelé par une importante affaire : il veut acheter à un Français, M. Robert Perceval, un domaine situé au Colorado.

Mr. Stevenson ne connaît les mœurs françaises qu’à travers notre théâtre et notre liltérature. Il s’imagine que tous les maris, en France, sont… enfin… parfaitement ! Et que les Français, au contraire des Américains, considèrent comme du temps perdu celui qu’ils ne consacrent pas à l’amour.

Il craint donc que sa femme, qui est jeune et jolie, ne soit courtisée, tentée, séduite peut-être. Il lui fait jurer sur la Bible qu’elle se présentera aux yeux de tous avec « perruque blanche et lunettes bleues », et il criera lui-même à tout le monde qu’elle est encore beaucoup plus vieille qu’elle ne le paraît. Malheureusement, Stevenson s’est trompé de volume. Au lieu de lui tendre la Bible pour ce serment, il a tendu à sa femme La Garçonne ! Nous voilà prévenus, le serment de Mme Stevenson ne vaut rien.

Le yacht accoste. Robert Perceval se présente. Il est bientôt suivi de Mme Le Batrois, sa maîtresse, jalouse, soupçonneuse, insupportable — bref, une véritable amoureuse. Elle s’imagine que Robert vient sur ce yacht pour y retrouver une femme. Sa confusion est grande lorsqu’elle voit entrer une petite vieille aux cheveux tout blancs et dont les yeux s’abritent derrière d’énormes lunettes bleues. Pour justifier sa présence sur ce yacht, Mme Le Barrois se confie à l’indulgence de cette personne âgée et lui confesse sa faute. Elle aime Robert, et les cheveux blancs de Mme Stevenson l’on rassurée. Cette aventure amuse tellement la jeune Américaine qu’elle la raconte à la première personne qu’elle rencontre : or, cette personne est (naturellement !) le mari, venu chercher sa femme. Le Barrois part en imaginant une sombre vengeance.

Mme Stevenson, croyant que tout le monde a quitté le yacht, se débarrasse de sa perruque et de ses lunettes. Mais Perceval, qui a été retenu par Stevenson, entre soudain. En bon Français, il adresse immédiatement à cette inconnue une déclaration d’amour

Éperdue, troublée, Mme Stevenson ment avec une présence d’esprit qui ferait croire qu’elle n’en est pas à son premier mensonge. « Je suis, dit-elle, la nièce de M. et de Mme Stevenson. Je m’appelle Margared. J’ai juré de ne point mettre le pied sur la terre de France. Jurez-moi sur cette Bible de ne jamais chercher à me revoir ! » Et elle contraint Robert à jurer. Il jure… également sur La Garçonne !

Le second acte nous transporte chez Perceval qui a convié à dîner Mme et M. Stevenson. Robert avoue à Mme Stevenson, amusée et émue, son ardent amour pour Margared. Il supplie la fausse vieille dame de l’aider à convaincre celle qu’il croit une jeune fille et qu’il veut épouser. Une avarie survenue à l’Arabella justifie l’arrivée soudaine du capitaine Harris et de la femme de chambre Julia, et force les Stevenson à accepter l’hospitalité que leur offre Perceval.

Apprenant que son mari veut « rouler » Perceval et qu’il va lui payer dix mille dollars un terrain qui vaut un milliard, Mme Stevenson, de plus en plus conquise par le jeune Français, l’avertit du danger et, sous la signature de Margared, lui dénonce les projets de Stevenson. Robert refuse, au dernier moment, de signer le contrat. Stevenson, furieux, part retrouver un ami et calmer ses nerfs au baccara.

Pendant ce temps, Le Barrois a simulé un voyage à Paris. Mme Le Barrois accourt chez Robert : la nuit est à eux ! Non ! Le Barrois revient pour les surprendre. Une femme est là. Il l’a vue entrer. Mme Stevenson, qui a tout entendu, enlève vivement perruque et lunettes ; elle se présente à Le Barrois ahuri et à Robert enivré : « Cette femme, c’est moi, Margared. J’aime M. Perceval. » Le Barrois, confus, sort en se cognant aux angles. Mme Le Barrois s’est enfuie de son côté. « Margared » et Robert restent seuls, et l’irréparable s’accomplit.

Le Champagne sera le deus ex machina de la pièce. Au Casino, Stevenson, qui est « sec », a demandé une coupe d’eau d’Évian, et son partenaire, qui ne l’est pas, une coupe de Champagne. Stevenson s’est trompé de coupe. Il a avalé d’un trait le Champagne. Mis en goût, il a commandé immédiatement trois bouteilles d’extra-dry. Il revient le lendemain matin, complètement gris et le moral transformé. Il est devenu bon, tendre, optimiste. Il commence par se réconcilier avec la femme de chambre Julia d’une manière aussi étroite que possible. Apprenant l’infidélité de sa femme, il consent volontiers à divorcer pour la laisser à Robert, qui partagera avec lui les immenses bénéfices que leur vaudront les terrains du Colorado.

Habituellement, dans un livret d’opérette, la façon de traiter vaut mieux que ce qu’on traite, mais ici le postulat est aussi plaisant que le détail est ingénieux. L’action ne se ralentit guère. Les situations comiques s’enchaînent logiquement, les épisodes sont vraisemblables, l’intérêt demeure soutenu, les procèdes employés par les habiles artisans témoignent d’une expérience sûre et d’un tact constant. Il y a peut-être un peu trop d’apartés et de confidences au public qui ne sont point nécessaires pour nous expliquer le sentiment des personnages, mais c’est un bien mince grief adressé à un livret qui nous vaut tant d’agréables moments et dont les couplets rimés par M. Albert Willemetz abondent en traits charmants et en trouvailles plaisantes.

Après Monsieur Beaucaire, il semble que M. Messager ait apporté une coquetterie à vouloir triompher dans un genre différent. Le premier sujet appartenait, par certains côtés, à la comédie dramatique ; celui-ci est franchement gai. Hier, une pièce à costumes ; aujourd’hui, une comédie moderne. Ambiance et caractère diffèrent, mais le talent du compositeur reste de la même qualité.

En écrivant Passionnément, M. Messager nous a prouvé qu’il était possible d’apporter à la comédie musicale, à ses couplets, à ses rythmes spéciaux, de l’élégance et du style. Point de bouffonnerie, mais de l’esprit, constamment, et du meilleur. Point de gros rire vulgaire, mais un sourire perpétuel, charmant, et qui peut s’effacer à tout instant pour laisser place à l’émotion la plus sensible. D’un bout à l’autre, c’est délicieux !

Et comme c’est joliment fait ! Que la chute finale de chaque morceau est donc amenée avec art ! Quelle justesse de touche dans le coloris ! Et comme les instruments dialoguent dans un langage châtié ! Jusque dans cette œuvre gaie, M. Messager reste le compositeur qui écrivit Fortunio, dont sa pensée musicale conserve la jeunesse étincelante, l’impertinence exquise et la sensibilité généreuse.

L’Interprétation

M. Edmond Roze anima cette pièce. Il a donné aux moindres scènes cette vie, cette observation fine, cette vérité qui caractérisent toutes ses réalisations et qui font de lui le collaborateur le plus précieux et le guide le plus sûr. Soutenus par ses indications, les artistes ont pu donner la pleine mesure de leur talent.

Les compositions d’Américains et surtout d’Américains un peu « zigzag » sont en général faciles, mais ici M. Koval a apporté une autorité, une force comique, un faciès mobile et expressif, une personnalité qui le mettent hors de pair. Il a joué ce rôle en très grand comédien, et son succès a touché au triomphe. Mlle Denise Grey est tout à fait charmante. Elle dit avec tant d’esprit, elle articule avec une telle netteté, son visage exprime tant d’intelligence et de malice que son inexpérience vocale amuse, séduit et plaît autant que ses qualités, qui sont de premier ordre. Mlle Jeanne Saint-Bonnet est si jolie que la perruque blanche et les lunettes bleues ne parviennent pas à l’enlaidir. Ce double rôle est bien difficile à tenir, et il faut toute l’adresse de Mlle Saint-Bonnet pour y réussir. M. Géo Bury a un bon physique, une jolie voix, mais il manque un peu de sincérité. Mlle Duller est aussi experte comme comédienne que comme chanteuse, et elle a fort bien détaillé ses couplets du deuxième acte : « Aidez-moi !. » MM. Baroux, Lorrain, Saint-Ober et Carette jouent tous dans un excellent mouvement cette pièce qui ne comporte ni grands finales, ni girls, ni masses chorales, et dont les actes se terminent sur des scènes à deux ou trois personnages (audace rare !). Deux jolis décors l’encadrent, et M. Messager dirigea lui-même l’exécution, faisant ainsi passer dans l’orchestre, par la magie de sa baguette, les nuances les plus subtiles.

Pierre Maudru.

Les Élégances de la Pièce

Passionnément nous offre des élégances passionnantes.

La pièce a été joliment meublée par Eichel, dans une mise en scène remarquable d’Edmond Rozé. Les meubles anciens, dont un ravissant chiffonnier, les tableaux, tapisseries, sièges et objets d’art (j’ai beaucoup aimé la grosse lampe basse), forment un ensemble délicieux aux deuxième et troisième actes. C’est du reste Eichel qui a meublé la nouvelle pièce du Théâtre Caumartin et celle de la Renaissance. En trois jours, trois succès de plus à son actif.

L’affriolante Jeanne Saint-Bonnet a été habillée à la perfection par Worth. Sa robe chiffon cyclamen, avec broderies or et diamants flancs ; sa robe crêpe de Chine mauve et violine, garnie grébiches argent ; sa robe crêpe de Chine rose très pâle, avec broderie cuir or ; sa robe satin rose, brodée perruches vertes et perles argent ; son déshabillé lamé argent doublé velours bleu ciel et dentelle argent ; son sweater crêpe Chine jaune serin et jupe plissée, avec pull-over chevreau d’or perforé, ont été très admirés.

La si séduisante Renée Duler, qui roucoule à plaisir, est chaussée avec une rare distinction par T. Papazian (19, rue Godot-de-Mauroy) qui a créé pour elle des souliers blancs, en antilope, avec talon de serpent rouge ; des souliers de chevreau beige, à barrette croisée, avec feston de lézard vert et talon vert carré ; des escarpins de satin rose, bordés chevreau argent et talon chevreau argent. Travail de grand bottier.

Toutes les vedettes portent de magnifiques bas Erès, les plus fins qui soient dans les nuances à la mode si effacées, et qui s’harmonisent heureusement avec les robes actuelles — courtes à souhait pour laisser voir toute la jambe dans sa gaine de soie impalpable. Félicitons Erès, le seul fabricant de bas primé aux Arts décoratifs.

L’excellent chanteur Géo Bury représente ici le chic parisien. Le voilà d’abord en complet de sport, à plis et à martingale dans le dos, avec poches plaquées, de nuance claire ; puis, en smoking à col châle de soie brillante, avec gilet de satin brillant noir et boutons de jais ; enfin, en complet beige clair, croisé, à revers très bas.

C’est Fiszlévitz, le maître tailleur le plus réputé actuellement, qui est l’auteur de ces divers vêtements de haute élégance.

Albert du Meylin.

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Chef d'orchestre, Compositeur, Organiste

André MESSAGER

(1853 - 1929)

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André MESSAGER

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date de publication : 16/10/23