Théâtre de l'Opéra-Comique. Reprise de Cendrillon
THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Reprise de Cendrillon, opéra-comique en trois actes. Paroles de M. Etienne, musique de Nicolo.
Plusieurs écrivains distingués ont emprunté à Perrault le sujet de leurs ouvrages. Cendrillon avait déjà fait les frais de deux comédies avant d’aller s’asseoir au foyer de l’Opéra-Comique, sous la protection de M. Etienne. Parmi tous ces essais, le dernier a été le plus heureux. Représentée pour la première fois en février 4810, au théâtre impérial de l’Opéra-Comique, Cendrillon obtint un très grand succès. L’affluence était telle, dit un journal du temps, que les corridors étaient remplis d’une foule de curieux, grimpés sur des banquettes, et cherchant à apercevoir à travers les vitres des loges ce qui se passait sur la scène. Le succès dura, et, au milieu de l’été, Cendrillon faisait des recettes de 5 à 6 000 fr.
L’esprit de libéralisme qui, dès 1810, se faisait jour, ne nuisit point au succès de Cendrillon.
Cendrillon, bonne et simple fille, née d’un mariage disproportionné, réduite à une sorte de servitude, vouée aux soins domestiques les plus obscurs, savait allier à l’humilité de sa condition la noblesse du cœur. Puis, transportée tout à coup sur un brillant théâtre, elle trouvait dans les inspirations de ce cœur bien placé, l’élégance des manières, l’élévation du langage que nul ne lui avait apprises.
Ses grâces simples, sa distinction native l’élevaient au-dessus de ses deux sœurs, filles nobles du noble baron de Montefiascone, enrichies de toutes sortes de grâces enseignées, et parées des plus riches habits.
M. Etienne, dans cette fable connue, n’avait épargné le ridicule ni à l’écuyer travesti en prince, ni au baron Montefiascone. Les grands succès, même au théâtre, s’expliquent rarement par une seule cause : trois actrices favorites prêtèrent une nouvelle séduction à cet ouvrage ; c’étaient les deux sœurs Saint-Aubin. L’aînée, Mme Duret, avait pour cette époque un véritable talent de cantatrice La cadette, Alexandrine, avait une naïveté piquante, qui convenait parfaitement au rôle de Cendrillon. Elle prit des leçons de danse de Mme Coulon et dansa très bien au bal de l’intendant jouant le rôle du prince. Elle chantait avec goût plutôt qu’avec beaucoup de voix. La seconde sœur de Cendrillon fut Mlle Regnault. C’était la prima donna de l’Opéra-Comique de ce temps-là ; Nicolo avait écrit pour elle un air brillant, placé au commencement du troisième acte.
Selon les journaux de 1810, la musique n’eut qu’une faible part à la réussite. Le plus bel éloge qu’on en fit, ce fut de dire que c’était une jolie pièce de marqueterie. Il était d’usage alors d’accuser Nicolo de plagiat, quoique personne n’ait jamais pu désigner les ouvrages auxquels il empruntait ses idées. Aujourd’hui que Nicolo est mort, il n’a plus d’envieux, et tout le monde a trouvé la musique de Cendrillon agréable et surtout facile ; il est vrai que ce qui paraissait autrefois trop savant semble à présent bien naïf. Mais cette partition abonde en mélodies gracieuses et appropriées à la situation.
Certes, nous ne comparerons pas Cendrillon et la Cenerentola, Nicolo et Rossini. On ne compare pas la facilité à la verve, le travail à l’inspiration, l’esprit au génie.
Mais il y a place à prendre après Rossini. Cendrillon tient un rang très honorable après la Cenerentola, sa cadette. N’essayons pas d’ailleurs de confondre la date des deux ouvrages. Conservons au contraire à l’opéra de 1810 sa simplicité primitive. N’empruntons pas aux ressources de l’orchestre moderne des effets que Nicolo n’a point imaginés. Nous l’avons déjà dit, c’est un tort d’instrumenter ainsi à nouveau ces vieux ouvrages. N’entendons-nous pas tous les jours avec plaisir aux Italiens les opéras de Cimarosa, de Fioravanti, dans leur simplicité première ? Ne barbouillez donc pas des couleurs modernes ces portraits d’un autre âge, car nous ne reconnaissons plus leur physionomie et leur temps sous ces ornemens d’emprunt.
Tout le monde voudra voir et applaudir Mlle Darcier dans le rôle de Cendrillon. Gracieuse, intelligente et naïvement coquette, avec de belles dents, de beaux yeux, une jolie voix et un très petit pied, tel qu’il en faut un pour chausser la pantoufle verte, Mlle Darcier convient parfaitement à son rôle. C’est toujours une épreuve délicate pour une actrice peu familiarisée avec les ballets que d’avoir à danser en public. Mlle Darcier est sortie à son honneur de cette épreuve embarrassante.
Nous sommes déjà bien loin de l’époque du premier succès de Cendrillon. Nous n’en croyons pas moins que ce succès de 1810 se renouvellera en 1845. Tous ceux dont les souvenirs ne remontent pas aux premières années du XIXe siècle, voudront rire des situations, des personnages comiques qui ont fait rire leurs pères, entendre les mélodies qui les charmaient. Tous ceux qui ont vu Cendrillon à sa première apparition sur là scène, voudront la revoir aujourd’hui sous les traits de Mlle Darcier. Que d’événemens nombreux, inattendus, immenses, se sont accomplis depuis ce premier succès de Cendrillon qui fut alors un événement I Quel profond changement dans nos mœurs, et même que de mouvement dans les arts et dans les lettres ! Nous ne ferons pas, à propos du charmant ouvrage de M. Etienne, l’histoire de cette première moitié du XIXe siècle déjà si rempli. Mais nous constaterons que c’est un désavantage de ces reprises d’anciens ouvrages, de réveiller de nombreux souvenirs, de nous amener à comparer les goûts et les mœurs de nos jours à ceux du temps passé. L’Opéra-Comique est peut-être le théâtre le plus riche en vieux succès. Dès la fin du siècle dernier, sous, le consulat et sous l’empire, l’Opéra-Comique a tenu une grande place dans l’histoire des lettres et des arts. Beaucoup de noms d’acteurs célèbres dans plus d’un ancien rôle sont loin d’être oubliés et même d’être remplacés. Sous l’empire et sous la restauration, Elleviou, Lemonnier, etc., en sus de leur réputation d’acteur, s’y faisaient même des réputations de joli homme. Et c’était peut-être, au milieu des mœurs de ce temps-là, un prestige de plus, pour que les élégantes d’alors vinssent peupler les loges de la salle Feydeau.
Tout cela a un peu changé ; mais il n’en reste pas moins, des beaux temps de ce théâtre, des poèmes intéressans et de spirituelles et charmantes partitions. Nous espérons bien que M. Crosnier continuera à enrichir son répertoire des anciennes œuvres que les compositions nouvelles n’ont point encore pu faire oublier.
Y.
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Nicolò ISOUARD
/Charles-Guillaume ÉTIENNE
Permalien
date de publication : 24/09/23