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Théâtres. Ariane

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THÉÂTRES.

L’Ariane, de M. J. Massenet, dont l’Opéra vient de donner la première représentation, a obtenu le plus grand succès.

Pour celle belle œuvre, une des plus séduisantes partitions de l’éminent musicien, M. Catulle Mendès a écrit un poème d’une noblesse élégante et raffinée, où la fable antique amplifiée par son imagination se pare à la fois de la grâce maniérée dont notre opéra du XVIIIe siècle aimait à revêtir la mythologie et des nuances subtiles que les Parnassiens mêlèrent volontiers à l’expression de la passion.

La rivalité de Phèdre et d’Ariane, que Th. Corneille avait prise pour sujet d’une de ses tragédies, se développe dans ce poème en incidents dramatiques et pittoresques, qui forment la partie principale de l’œuvre.

C’est après que Thésée, vainqueur du Minotaure, a emmené dans l’île de Naxos Ariane, dont l’amour lui a procuré sa victoire, que Phèdre, qui a suivi sa sœur, sent naître en elle, avec un sentiment mêlé de joie et de terreur, les premiers mouvements de sa passion fatale pour le héros athénien.

Thésée, lui aussi, est entraîné vers la fière chasseresse par un irrésistible attrait. La scène où il arrache à Phèdre le secret de son amour est une des plus émouvantes de l’opéra et une de celles où la musique de M. Massenet a les accents les plus touchants et les plus pathétiques.

Surprise par Ariane au moment où elle s’abandonne entre les bras de Thésée, Phèdre, que son crime épouvante, va insulter la statue de Cypris, dont elle se sent la victime. Mais la déesse se venge en renversant de son piédestal le marbre qu’aucune profanation n’a jusqu’à présent souillé, et en écrasant Phèdre sous ses débris.

Ariane, dont cette mort a amorti la colère, et que touche le désespoir de Thésée, implore Cypris et la supplie de ramener au jour sa sœur infortunée. Cypris apparaît alors à Ariane ; et c’est un charmant tableau que celui où l’on voit, comme en un panneau de Boucher ou une toile de Van Loo, la déesse se lever, ayant à ses pieds les Grâces nonchalamment couchées parmi des vols de colombes, et à côté d’elle l’Amour avec, sur sa tête blonde, un casque d’argent, et sur sa poitrine d’enfant, une brillante cuirasse. Cypris se laisse fléchir et permet à Ariane de descendre aux Enfers, protégée par les Grâces, et leur « faiblesse divine ». Ariane se met en route, précédée de sa galante escorte, dont la marche est scandée par un rythme voluptueusement cadencé qui fait souvenir du temps où Gluck composait la musique des poèmes qu’écrivait Quinault.

Au quatrième acte, nous sommes au royaume de Pluton. Perséphone y trône grave et impassible, un lys noir dans la main. Elle exhale, dans une douloureuse lamentation, le morne désespoir qui oppresse son âme, en présence de l’infinie désolation du séjour des ombres.

Tout à coup, sa plainte est interrompue par l’arrivée d’Ariane. Elle ne se laisse pas attendrir par les prières de l’humaine visiteuse, ni par la muette imploration des Grâces, dont un ballet très court et d’un charme captivant traduit les séductions. Ariane, alors, pour toucher son cœur, lui offre ce qu’il y a de plus exquis pour l’âme d’un poète, des roses. Les fleurs, tout imprégnées de lumière et de parfums, font revivre, aux yeux de la déesse, le monde qu’éclaire le soleil ; et la joie qu’elle ressent lui fait oublier la rigueur des lois infernales. Ariane ramène Phèdre au jour. Thésée qui, égaré par sa douleur, pleurait les deux femmes disparues, revoit Ariane avec joie et jure avec Phèdre de faire son devoir. Il va donc partir avec Ariane pour Athènes. Mais l’adieu qu’il adresse à Phèdre ranime en lui la passion fatale dont il se croyait guéri ; et c’est Ariane qu’il abandonne sur la plage déserte de Naxos.

Sur ce beau drame, M. Massenet a écrit une partition où se retrouvent toutes ses qualités de charme voluptueux et d’élégante tendresse, mais qui se distingue aussi par la franchise et la fermeté des rythmes et l’énergie de l’accent. Par une coquetterie qui n’est pas à la portée de beaucoup de musiciens, il a, pour exprimer l’amour dont est enflammée la sœur d’Ariane, introduit au dernier acte le thème frémissant de passion de la célèbre ouverture de Phèdre, qui fut son premier chef-d’œuvre ; et la mélodie d’autrefois, où tous les dons de M. Massenet se révélaient, ainsi mariée à celle d’aujourd’hui, se retrouve comme en son cadre naturel, attestant tout ce que le maître a conservé de séduisante jeunesse dans la maturité de son talent.

L’interprétation d’Ariane est absolument parfaite. Il n’y a aucun rôle qui ne soit tenu avec talent. Mmes Bréval, Grandjean, Demougeot, Arbell et Mendès, MM. Muratore et Delmas, ont chanté avec un art accompli et un sentiment dramatique d’une justesse et d’une profondeur admirables.

L’orchestre, sous l’habile direction de M. P. Vidal, a rendu en perfection l’ardeur passionnée et les nuances délicates de cette partition, dont l’orchestration est d’une finesse, d’une légèreté et d’une richesse incomparables.

La mise en scène est très belle et très pittoresque. Le directeur de l’Opéra, en montant Ariane avec tant d’éclat et tant de zèle artistique, ne s’est-il pas créé un nouveau titre au renouvellement du privilège qu’il sollicite ?

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Compositeur, Pianiste

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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date de publication : 24/09/23