Chronique musicale / La Soirée théâtrale. Le Roi d'Ys
CHRONIQUE MUSICALE
OPÉRA-COMIQUE. – Le Roi d’Ys, drame lyrique en trois actes et cinq tableaux, paroles de M. Edouard Blau, musique de M. Edouard Lalo.
M. Edouard Blau a puisé le sujet de sa pièce dans une légende bretonne, mise au jour par Emile Souvestre et fidèlement reproduite par le Guide Joanne, en son chapitre de la Pointe de Raz.
Sur les bords désolés de la baie des Trépassés, l’étang de Laoual recouvre de ses eaux la ville d’Is, submergée au Ve siècle. Une grande quantité de substructions antiques, une muraille construite en pierres cubiques noyées dans du ciment et appelée Maguer-Guer-a-Is, c’est-à-dire muraille de la ville d’Is, des briques à crochet, des carreaux de pavage, des fragments de poteries rouges et des médailles impériales du IIIe et du IVe siècle, que la charrue ramène sans cesse à la surface de la terre, tout atteste l’emplacement d’une grande agglomération d’hommes et rappelle le souvenir de la domination romaine.
D’après la légende, la ruine de la villa d’Is (et non d’Ys) serait l’ouvrage d’une princesse débauchée, d’une Marguerite de Bourgogne bretonne, et l’on voit dans le Huelgoat (bois élevé) un gouffre où la princesse Dahut faisait jeter ses amants d’une nuit, et d’où sortent encore, à travers le fracas des eaux, leurs voix éplorées qui demandent des prières. Le roi Grallon avait promis plusieurs fois de punir les crimes de sa fille ; celle-ci, pour échapper à la justice paternelle, vola au roi son père la clef d’argent de la grande écluse, seul rempart de la ville d’Is contre la fureur de la mer. Bientôt Grallon se vit obligé de fuir devant le flot qui s’avançait menaçant, et il emportait en croupe sa coupable fille ; tout à coup, une voix cria : « Grallon, débarrasse-toi du démon que tu portes derrière toi I » Dahut, terrifiée, sentit ses forces l’abandonner ; elle tomba de cheval et roula dans les flots. Ceux-ci s’arrêtèrent aussitôt. Le roi arriva sain et sauf à Quimper, où il fixa la capitale de la Cornouaille, et à laquelle il ajouta le nom de saint Corentin, le premier évêque du pays. Un petit havre de la côte conserva encore le souvenir de ces lointaines catastrophes et s’appelle Poul Dahut, le gouffre de Dahut.
Cette légende, d’où les trouvères du Nord ont sans doute tiré quelque épopée tombée dans l’oubli, a été disposée par M. Edouard Blau en un poème dramatique, qui n’en conserve que les lignes générales. La fille aînée du roi Grallon n’est plus Dahut mais Margared ; une princesse de théâtre ne peut pas s’appeler Dahut. Margared n’est plus une dévergondée, mais simplement une femme amoureuse, conduite au crime par la jalousie.
Au premier tableau, la cour du roi d’Ys célèbre la paix conclue entre le roi et son farouche voisin le prince Karnac, paix que va sceller l’hymen de Karnac avec Margared. Cependant un voile de tristesse assombrit le visage de la fiancée ; interrogée par sa jeune sœur Rozenn, elle lui avoue qu’elle aimait leur compagnon d’enfance, le beau guerrier Mylio, qui est parti et n’est pas revenu. Découverte fâcheuse, car Rozenn aussi aimait Mylio, et c’est elle qu’il préférait. Les deux sœurs se trouvent donc rivales, car Mylio reparaît instantanément, comme il fallait s’y attendre. En l’apercevant, la passion de Margared se réveille impétueuse, et au moment d’aller à la chapelle avec le prince de Karnac, elle rompt violemment le mariage projeté. Karnac, justement irrité, jette son gant aux pieds du roi, et c’est Mylio qui le ramasse.
Les deux guerriers vont se rencontrer non pas en combat singulier, mais à la tête d’une armée. Mylio, commandant celle du roi, met son épée sous le patronage de saint Corentin, le protecteur de la Bretagne ; le prince Karnac, qui n’a pas eu la même idée, est vaincu du premier choc. Mylio modestement repousse les acclamations du peuple d’Ys :
C’est à saint Corentin que tout doit revenir.
Cependant, Karnac, farouche et désespéré, erre par la plaine ; il s’arrête devant une antique chapelle sur la porte de laquelle est sculptée l’image de saint Corentin. Au lieu de s’incliner devant le saint, Karnac appelle l’enfer à son secours. « – L’enfer t’écoute ! » répond une voix, celle de Margared, qui passait par là. Les deux haines s’entendent ; Margared et Karnac signent entre eux le même pacte qu’Ortrude avec Frédéric, au deuxième acte du Lohengrin. Leur moyen de vengeance est différent mais non moins sûr. Margared propose à Karnac d’ouvrir l’écluse qui protège la ville d’Ys. Au crime ils ajoutent l’impiété. Margared défie la statue de saint Corentin.
… Toi qui dors en ce lieu vénéré,
Allons, fais un miracle,
Pour défendre ton peuple. Il est temps ! lève-toi !
La statue du commandeur, je veux dire de saint Corentin, s’illumine, et le saint répond à l’insolence de Margared avec un courroux qui ne ménage pas ses termes :
Dieu, témoin des projets infâmes,
Fait des tombeaux ouverts sortir la voix des morts.
Toutefois, il leur rappelle, dans un langage plus évangélique, que « Dieu, qui venge le crime, pardonne au repentir. » Et l’on entend les voix d’en haut qui chantent « Repentez-vous ! repentez-vous ! »
Au dernier acte, Margared, malgré les exhortations du saint, persiste dans son abominable projet ; il suffit que Karnac lui montre Rozenn dans les bras de Mylio pour que Margared accomplisse son crime. Les flots envahissent la ville, Karnac se vante de son ouvrage, et mal lui a pris, car Mylio le cloue sur la place d’un coup de pointe vigoureusement appuyé.
Cependant la ville a disparu dans la mer ; tout le peuple, réfugié sur un îlot, va périr ; les voix d’en haut l’avertissent que l’océan s’apaisera « quand il aura reçu sa proie ». Margared comprend ce que parler veut dire et elle se jette dans le gouffre du haut d’un rocher. À l’instant même, les vagues s’aplanissent, le ciel s’illumine, et le chœur chante : « Gloire au Dieu tout puissant ! » Mais la ville d’Ys n’en est pas moins détruite à jamais.
Il est inutile d’avertir le lecteur que le Roi d’Ys n’est pas un opéra comique ; je dirai même que cette œuvre, remarquable à plus d’un titre, n’est même pas un opéra proprement dit. Il appartient par le sujet, comme par la facture, à la catégorie des oratorios, que noue et dénoue l’intervention du Seigneur Dieu, dans le Juda Machabée de Haendel, comme dans le Moïse de Rossini.
C’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour juger avec équité la partition de M. Edouard Lalo, où la part de la musique religieuse est très large, comme il convient pour un oratorio, tandis que la part de la musique scénique y est un peu restreinte pour un drame. En d’autres termes, je connais des messes en musique dont le sentiment dramatique est plus accentué que dans le Roi d’Ys ; j’en connais aussi qui sont moins pénétrées d’onction et moins sévères de style.
Mais j’en veux tout de suite constater l’éclatant succès devant un public très enthousiaste, et je me sens ensuite plus à l’aise, non pour juger définitivement le Roi d’Ys, mais pour exprimer ici mes impressions successives.
Faut-il déclarer aussi que la valeur de M. Edouard Lalo comme compositeur et comme symphoniste est absolument hors de cause ? J’eus l’occasion de m’en expliquer, il y a six ans, lorsque je défendis presque seul la partition de son ballet de Namouna, si rudement accueillie par les abonnés de l’Opéra, qui avaient pris leur parti d’avance.
À mon avis, la partition du Roi d’Ys est fort inégale dans ses phases diverses, et le compositeur, malgré les apparences auxquelles on pourrait se tromper, ne me paraît pas travailler d’après un système préconçu. Si l’idée lui vient, il l’accepte ; si elle se dérobe, il s’en passe. C’est ainsi que le Roi d’Ys était arrivé ce soir à la fin du second acte et du troisième tableau sans qu’on pût prévoir ni espérer que le dernier acte renfermât assez de beautés pour compenser l’aridité déconcertante des trois premières parties. Heureusement, le miracle s’est fait ; saint Corentin serait-il venu en aide à M. Edouard Lalo ? et la soirée s’est terminée pour lui d’une manière triomphale. M. Edouard Lalo, qui écrivit son Roi d’Ys il y a quinze ans et qui, depuis la fermeture du Théâtre-Lyrique, où son opéra avait été reçu par M. Vizentini, cherchait vainement une nouvelle hospitalité, n’aura pas perdu pour attendre.
Le Roi d’Ys est précédé par une belle ouverture, traitée de main de maître ; M. Edouard Lalo joue de l’orchestre comme un organiste de son orgue, et aussi comme un organiste qui improviserait avec ses doigts en se jouant, sans que la pensée les guide ou suit toujours présente. Les motifs s’y succèdent un peu au hasard : d’abord une jolie phrase exposée par les flûtes et les hautbois ; puis une autre, qui emprunte son charme pénétrant à la sonorité mordante des altos, succède à la première et est remplacée elle-même par un allegro militaire qui termine l’ouverture du Roi d’Ys comme celle de Guillaume Tell. Les cuivres éclatent en fanfares ; les tambours battent la charge avec une véhémence endiablée ; et la grosse caisse, par des coups sourds frappés à contretemps, imite la canonnade. Des canons au VIe siècle ! que M. Lalo me pardonne cette supposition hasardée ; mais la musique imitative permet quelque fois des méprises plus fortes que celle-là.
Le premier acte ouvre par des chœurs d’une jolie tournure, accompagnés par une pédale frappée à la dominante, procédé favori de M. Edouard Lalo ; l’un d’eux « Les guerres sont terminées », est même écrit, si j’ose le dire, sur un mouvement de polka. Mais pas de fausse joie ! Nous entrons dans la période des récitatifs et des psalmodies qui va durer longtemps. Il faut aller jusqu’à la deuxième scène du second acte pour rencontrer une phrase supérieurement chantée par M. Talazac « Mon fils, marche au combat !... » précédant une sorte de chant de guerre, écrit avec plus de solidité que d’invention, et dont la sonorité quelque peu banale s’est fait applaudir sur ces vers :
Qui sait prier sait combattre,
Et les croyants sont les forts !
Vient ensuite l’arioso de Rozenn : « Un jour il est venu ! » dont la délicatesse aérienne rappelle vaguement les dernières mesures du duo du jardin dans Faust. C’est le même sentiment poétique enveloppé d’un clair obscur aussi léger qu’un flocon de fils de la Vierge. Mademoiselle Simonnet l’a délicieusement rendu.
Après ces deux premiers tableaux accueillis avec bienveillance, mais dont le succès paraissait incertain, le public n’a commencé sérieusement à se prendre qu’à la scène de l’apparition de saint Corentin, dont la mélopée robuste contraste avec les voix aiguës des séraphins invisibles qui chantent au-delà des nues : « Repentez-vous ! repentez-vous ! »
Mais le vrai succès de M. Edouard Lalo, qui a justifié l’enthousiasme prémédité des uns et désarmé les objections, ou, si l’on veut, les préventions des autres, c’est le premier tableau du troisième acte, où les mélodies sortent enfin de la prison où M. Edouard Lalo les avait tenues enfermées jusque-là. C’est d’abord un épisode emprunté aux mœurs bretonnes ; le marié frappe à la porte, que lui interdisent les jeunes filles, jusqu’à ce que la mariée vienne répondre elle-même. Le chant de Mylio et la réponse de Rozenn sont deux inspirations d’une fraîcheur exquise, que l’on a redemandées tout d’une voix à leurs interprètes, M. Talazac et mademoiselle Simonnet. Enfin, Mylio et Rozenn sont demeurés seuls, comme Lohengrin et Elsa ; le duo écrit pour eux par M. Edouard Lalo peut soutenir la comparaison avec celui de Wagner, et le compositeur a su lui conserver une couleur toute française, en lui donnant pour prélude le thème de la chanson bretonne si connue : « Nous sommes venus vous voir, madame la mariée ! » si mélancolique dans sa simplicité.
À ce moment la bataille était gagnée et terminée, car le dernier tableau appartient à la mer, qui fait rage dans la baie des Trépassés, et à l’image de Saint-Corentin, qui reparaît inondée de lumière, électrique.
Les auteurs ont été nommés par M. Talazac au milieu d’acclamations dont le librettiste a eu sa part, car la pièce de M. Edouard Blau est écrite avec une élégance rare et plutôt comme un véritable poème que comme un simple libretto d’opéra.
Le Roi d’Ys est mis en scène d’une façon très brillante et très pittoresque. Le dernier décor est fort beau. Mais ce qui vaut mieux encore, c’est l’interprétation excellente des sept rôles qui se partagent l’opéra de M. Lalo.
M. Talazac n’a jamais chanté avec plus de style, avec plus de douceur dans la force de son généreux organe ; madame Blanche Deschamps déploie dans la malheureuse Margared une grande force tragique, que sert sans effort sa belle voix de mezzo soprano : ce soir, mademoiselle Simonnet a justifié, par sa charmante création de Rozenn, les espérances que ses amis avaient fondées sur elle.
À voir encore M. Fournets, un vigoureux saint Corentin, qui n’est pas insensible à la gloire des rappels ; M. Bouvet, qui porte vaillamment le rôle ingrat de Karnac, et M. Bussac, un choryphée plein de prestance.
Oublierai-je l’orchestre de l’Opéra-Comique et son excellent chef M. Danbé ? M. Edouard Lalo ne nous pardonnerait pas une pareille injustice.
Auguste Vitu.
[…]
LA SOIRÉE THÉÂTRALE
LE ROI D’YS
Le mot qui devrait être à la fin de cette soirée théâtrale, je l’écris au début, et avec une joie profonde.
Ce mot est : succès.
Succès très grand, qui s’est accentué d’acte en acte, qui, à certains moments, a pris des allures triomphales, et qu’a couronné la plus magnifique et la plus enthousiaste des ovations. Et c’était vraiment un beau spectacle que de voir toute une salle debout, la fièvre aux mains et aux yeux, acclamer un noble artiste trop longtemps méconnu, et associer dans cette unanime acclamation les vaillants ouvriers de sa gloire.
Le Roi d’Ys est-il une œuvre de jeunesse ? Est-ce une œuvre de maturité ? J’ai lu quelque part que M. Lalo l’avait depuis plus de vingt ans en portefeuille. Comme personne, à cet égard, ne saurait être mieux renseigné que l’auteur, c’est lui-même qui va nous éclairer sur ce détail obscur de l’art lyrique contemporain.
M. Lalo, ce matin même, écrivait à l’un de ses amis une lettre d’où j’extrais ces quelques lignes :
… Il y a deux ans, je refis en entier un nouveau plan du Roi d’Ys, et c’est l’an dernier seulement, en 1887, que je le terminai…
En somme, le Roi d’Ys et une symphonie sont mes deux dernières œuvres.
À ce soir, au champ de bataille. Je suis toujours très calme, ne comptant jamais sur rien.
E. LALO.
Voilà donc un point établi. Si l’exécution du Roi d’Ys, dans son ensemble, remonte à quelques années – et le fait est certain, puisque Vizentini devait le jouer au Théâtre-Lyrique, et, après lui, M. Escudier – il n’y a pas plus d’un an que l’œuvre est complète. Comment, au surplus, M. Lalo l’aurait-il écrite il y a plus de vingt ans, comme on l’affirme, puisqu’il est né vers 1830 et que, lorsqu’il écrivit son premier ouvrage dramatique, Fiesque, il avait quarante-deux ans bien sonnés ? Il faudrait supposer aussi qu’au moment où le librettiste, M. Edouard Blau, composa son poème, il était encore en nourrice. Ce serait un peu trop fort de précocité.
Le dernier paragraphe de la lettre que je viens de citer a je ne sais quel accent mélancolique. C’est qu’on y retrouve comme un ressouvenir des épreuves et des amertumes qui, depuis son premier essai musical, ont rempli la carrière de M. Lalo. Ces épreuves et ces amertumes, on vous les a contées par le menu, l’autre jour, ici même. Je n’y reviendrai pas. M. Lalo, du reste, y a trouvé dans la vie intime, dans la vaillance de sa femme et la fidélité de ses amis, des compensations précieuses. Aussi doit-il avoir sur les proverbes des opinions bien contradictoires. Car s’il a le droit de rire de celui-ci : « Qui femme a, guerre a ! » il sait, par une heureuse et longue expérience, ce que vaut cet autre :
C’est dans l’adversité qu’on connaît ses amis !
Le librettiste du Roi d’Ys a quelque peu modifié la légende bretonne. Les modifications ont porté notamment sur les noms des héros. Le roi Grallon eût fait trop plaisante figure sur un théâtre lyrique. Il n’aurait pas manqué de mauvais plaisants pour mouiller les l, les soirs où MM. Talazac, Bouvet ou Cobalet auraient été muqueux. C’est pour une raison analogue que sa fille Dahut s’est changée en Margared et saint Gwinnolé en saint Corentin. Le Guignolet d’Angers eût peut-être fait rire aux dépens de celui de Bretagne.
La fable, elle-même a subi certaines modifications. Si vous vous rappelez la belle toile exposée au Salon, il y a deux ans, par M. Luminais, c’est le roi Grallon qui jette sa fille dans les flots, histoire de lui conserver un père. Dans l’opéra, Mlle d’Ys pique sa tête motu proprio.
À cela près, tout est conforme à la légende. Ici, comme là, le drame finit dans l’eau. Je ne sache pas qu’il y ait eu chez M. Blau ni chez M. Lalo la moindre arrière pensée de rime riche.
La pièce est divisée en cinq tableaux très courts, puisque, commencée à huit heures vingt, elle a fini quelques minutes avant minuit. En voici la description succincte :
Premier tableau. – La terrasse du roi d’Ys, ombragée par de grands arbres. Par-delà le mur crénelé du fond, on aperçoit la grande mer tout ensoleillée.
Les manifestations enthousiastes commencent après le duo de Rozenn (Mlle Simonnet) et de Mylio (Talazac) et reprennent après le duo de Rozenn et de Margared (Mlle Deschamps). À la chute du rideau, rappel général de tous les artistes.
Deuxième tableau. – Une salle romane. Rien qu’un meuble, mais pas banal. C’est le fauteuil du bon roi Dagobert, copié d’après l’original qu’on garde à la Bibliothèque. Détail peu connu. Ce fauteuil n’a d’authentique que le siège. Le dossier, postérieur de plusieurs siècles, fut ajouté sur l’ordre et d’après le croquis de l’abbé Suger. L’érudition, n’est-ce pas, est une belle chose ?
Reprise des manifestations enthousiastes après l’hymne guerrier :
Qui sait périr sait combattre,
Et les croyants sont les forts !
sorte de marseillaise bretonne, dont Talazac est obligé de bisser le motif principal. À la chute du rideau, rappel général de tous les artistes.
Troisième tableau. – La plaine d’Ys, qui rappelle avec ses dolmens alignés la plaine de Carnac… Paysage superbe, avec la ville en perspective. À gauche, la chapelle de Saint-Corentin, au seuil de laquelle sont déposés les étendards que Mylio vient de conquérir sur l’ennemi.
Ici se place une scène qui rappelle celle du troisième acte du Cid. Par un truc ingénieux, et sous un rayon de lumière électrique, la statue de Saint-Corentin (M. Fournets) s’anime, comme celle de Saint-Jacques. Il chante, et les voix célestes font chorus avec lui. Et l’orgue vient renforcer les voix célestes. J’ai peu goûté, pour ma part, cette intervention. Mais il paraît qu’il n’y a pas de bon motif religieux sans accompagnement d’orgue.
Le duo sauvage de Margared et de Karnac (M. Bouvet) est acclamé. À la chute du rideau, rappel général de tous les artistes. Saint-Corentin est obligé de descendre de son socle de pierre pour venir saluer le public.
Quatrième tableau. – Une galerie du palais. À gauche, l’appartement de Rozenn, tout enguirlandé de verdure. À gauche, la chapelle où vont se célébrer ses noces avec Mylio.
Un vrai ravissement, cette scène de fiançailles. On peut dire que le poète s’est montré l’égal du musicien dans ces strophes alternées, d’une douceur pénétrante, et que, malgré leur longueur, Talazac et Mlle Simonnet ont dû redire. Cela peut aller de pair, comme charme – je ne parle qu’au point de vue de l’effet avec la scène analogue du Lohengrin.
À la chute du rideau, double rappel général de tous les artistes.
Sixième tableau. – La rupture des écluses. Je ne voudrais pas jeter de note discordante, mais le décor ne m’a produit qu’une médiocre impression. À la place de M. Paravey, j’aurais l’œil sur mes flots. Ils n’ont pas toute la furie que la situation comporte. Après ça, peut-être que les répétitions les avaient fatigués.
Mais la vraie tempête était dans la salle. Tempête de cris, de bravos, d’acclamations délirantes. À l’heure où j’écris, elle est à peine apaisée.
Si les décors font grand honneur à MM. Lavastre et Carpezat, les costumes font grand honneur à M. Bianchini.
À citer notamment, celui du roi (M. Cobalet) composé d’après le roi du Psaltérium et le livre de prières de Lieutard, et la robe de mariage de Rozenn, toute blanche avec semis brodé rose sur rose et perles… C’est simplement exquis.
Il y a cette ressemblance entre Sigurd et le Roi d’Ys que les ouvertures de ces deux opéras étaient célèbres avant leur apparition sur la scène.
La ressemblance ne s’arrêtera pas là.
Un dernier détail qui donnera la mesure du succès de M. Lalo.
Le brav’ général était dans la salle. On ne l’a même pas aperçu. L’art console de la politique.
À la sortie, un petit groupe d’ouvreurs de portières a poussé quelques cris timides de : Vive Boulanger !
Le vaudeville après le drame.
Un Monsieur de l’orchestre.
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Édouard LALO
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date de publication : 01/11/23