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La Soirée théâtrale. Psyché

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La Soirée Théâtrale
PSYCHÉ

Avec la reprise de Psyché, ou, pour mieux dire, avec la première de Psyché, nouvelle manière, M. Carvalho nous offrait ce soir l’une des épaves qu’il a précieusement recueillies dans le naufrage du Théâtre-Lyrique.

On peut même dire qu’il a commencé à récolter ce que son ex-confrère Vizentini avait si péniblement semé.

Pour ce dernier, l’opéra d’Ambroise Thomas était un des plus brillants atouts qu’il avait encore à louer lorsqu’il fut contraint de renoncer à une tâche artistique par trop lourde. Sur son radeau de Méduse, il entrevoyait Psyché au fond d’un sombre horizon, comme la voile lointaine qui pouvait assurer son salut en lui ramenant, peut-être, les recettes fantasmagoriques de Paul et Virginie. Pour cette partie suprême, il tenait en réserve une interprétation hors ligne Heilbron, Engally et Bouhy. Bref, il comptait la jouer à coup sûr.

M. Carvalho, qui sait ouvrir les mains à propos lorsqu’il s’agit de prendre le bien où il se trouve, ne s’est pas contenté de s’emparer de la partition, il a engagé en même temps Heilbron et Engally. Il est vrai qu’il fut moins heureux du côte de Bouhy ; mais, à défaut de ce dernier, enlevé par l’Opéra, il possédait dans sa troupe un jeune baryton, M. Morlet que ses débuts dans la Surprise de l’Amour avaient mis hors de pair, et il se hâta de lui confier le rôle de Mercure.

On comprend donc l’empressement du public à la première de ce soir et l’impatience avec laquelle on a attendu jusqu’à neuf heures moins un quart le lever du rideau annoncé pour huit heures.

Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts assistait à la représentation dans une avant-scène.

Ainsi que je viens de le dire, bien que l’œuvre de M. A. Thomas ait été représentée en 1857, nous avons plutôt assisté ce soir à une première qu’à une reprise.

Tout dans Psyché, poème et partition, a été complètement refait on a supprimé le dialogue pour lui substituer des récitatifs les scènes ont été transformées, des tableaux ajoutés, deux rôles autrefois tenus par Prilleux et Sainte-Foy et qui semblaient mauvais, – est-ce parce qu’ils étaient comiques ? – ont été réduits en figurations.

Enfin, on a tant arrangé, tant diminué par ci, tant augmenté par là, tant retaillé partout, que Psyché est aujourd’hui un opéra aussi inédit que possible.

Depuis le poème de La Fontaine, Psyché a inspiré de nombreuses œuvres et aux poètes et aux musiciens.

Ce fut d’abord la fameuse tragi-comédie-ballet en cinq actes, à laquelle travaillèrent Molière, Quinault et Pierre Corneille, et dont la musique fut composée par Lulli.

En 1678, l’Académie royale de musique joua une autre tragédie lyrique en cinq actes, avec prologue. Attribuée d’abord à Thomas Corneille, elle fut ensuite revendiquée par Fontenelle. Lulli en avait également fait la musique.

En 1843, M. V. de Laprade, de l’Académie française, a publié un poëme sur Psyché.

Il en existe encore plusieurs de valeurs diverses, et je crois même qu’au moment syndicologique, les directeurs de la salle Taitbout se disposaient à monter une Psyché quelconque, aujourd’hui sans asile. 

Dans l’après-midi, on avait eu une vive émotion à l’Opéra-Comique. 

Mlle Heilbron avait fait dire qu’il lui était impossible de chanter.

M. Carvalho se désolait comme un homme qui ne connaît pas bien sa jolie pensionnaire. Son ex-confrère Vizentini était autrement aguerri contre les incidents de ce genre.

Il était au courant des frayeurs in extremis de la chanteuse, les jours de premières.

Mlle Heilbron adore son métier, mais elle voudrait ne jamais avoir de premières. Malheureusement, comme elle ne peut commencer par la seconde, sa terreur la reprend à chaque occasion nouvelle.

Les jours de création, son esprit se frappe, se surexcite à ce point que cette seule influence morale suffit généralement pour la rendre malade et provoquer un malaise qui ne laisse pas que d’augmenter encore son embarras. De là, des bulletins à sensation comme celui que M. Carvalho a reçu aujourd’hui au dernier moment.

Il est vrai que tout s’arrange à la fin et qu’une fois bien en règle avec sa propre tradition, Mlle Heilbron, reprend courage et revient aisément sur une première décision.

Elle nous a paru fort jolie l’aimable chanteuse, quand elle a fait son entrée, toute de blanc habillée, en tunique blanche et une couronne de roses blanches dans ses cheveux noirs. De vifs applaudissements ont salué son entrée et nous nous sommes rappelé alors l’époque, pas bien lointaine en somme, où Marie Heilbron, une petite fille à peine connue, sortant de l’école de Duprez, débutait à ce même Opéra-Comique dans je ne sais quel lever de rideau. Que de changements, depuis ce temps-là, n’est-ce pas, mademoiselle ?

Mlle Engally aussi a été reçue par le public de l’Opéra-Comique comme une ancienne connaissance, bien qu’elle n’ait jamais chanté rue Favart. L’ex-pensionnaire du Théâtre-Lyrique porte avec une certaine désinvolture la tunique courte et le bonnet phrygien d’Éros. Mais elle ne sait toujours pas marcher en scène et je crains bien que cet art-là ne lui soit jamais familier. 

On ne lui a pas marchandé les ovations ce soir et, pendant qu’on l’acclamait, plus d’un spectateur du balcon s’est tourné instinctivement vers la loge de M. Halanzier.

M. Carvalho a fait des frais sérieux de costumes et de décors. Celui du palais de Psyché, peint par Rubé et Chaperon, est joli. À la place du grand ballet écrit par M. Ambroise Thomas pour sa nouvelle partition, on nous en a servi un tout petit et pas bien méchant. Il est vrai que les danseuses font totalement défaut à l’Opéra-Comique et que l’on ne peut malheureusement pas en recruter au Conservatoire comme on l’a fait pour le fameux chœur des Nymphes, un des rares morceaux qui restent de l’ancienne partition.

Pendant les entr’actes, j’ai assisté à une petite scène qui s’est renouvelée plusieurs fois et qui me paraît digne d’être racontée.

Il y a, au foyer du public, un piano qui sert probablement aux répétitions. Un piano assez ordinaire, en palissandre, comme on peut en rencontrer dans les loges des portiers les moins élégants.

Devant ce piano on avait mis un garde municipal en faction.

Toutes les fois que quelqu’un s’approchait de l’instrument et s’y appuyait machinalement, le garde s’avançait en s’écriant :

— Ne touchez pas au piano, s’il vous plaît !

On se reculait, un peu surpris, et quand on interrogeait le municipal, quand on lui demandait si ce piano était donc bien extraordinaire, il répondait en se frisant la moustache :

— Que je ne sais pas s’il est extraordinaire ou pas, mais que je sais que c’est ma consigne !

Drôle de consigne, tout de même ! M. Carvalho s’est-il figuré, par hasard, que l’on pourrait, en s’en allant, emporter son piano pour se jouer des airs de Psyché en voiture ?

Un Monsieur de l'orchestre.

Personnes en lien

Compositeur

Ambroise THOMAS

(1811 - 1896)

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Psyché

Ambroise THOMAS

/

Jules BARBIER Michel CARRÉ

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date de publication : 24/09/23