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Chronique musicale. Folies-Dramatiques. La Fille de Madame Angot

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Chronique musicale
Folies-Dramatiques. — La Fille de madame Angot, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Clairville, Siraudin et Victor Koning, musique de M. Charles Lecocq.

La fortune au théâtre n’a pas des faveurs moins étranges que ses caprices ! En se donnant ou en se refusant à demi, elle peut, au lieu d’une réputation, faire une épigramme. Qui de nous connaît le citoyen Aude ou a entendu prononcer son nom ? Mais qui de nous ne s’est point familiarisé dès la jeunesse avec un personnage légendaire entré dans la vie réelle, celui de l’immortel Cadet Roussel ? Eh bien ! c’est pourtant Aude, « l’oublié » et « le dédaigné, » — que Monselet lui-même devait oublier dans sa piquante galerie des illustres inconnus de la dernière moitié du dix-huitième siècle, — c’est le citoyen Aude qui a popularisé Cadet Rousselà la scène ! Mieux encore ! en 1798 le théâtre de l’Ambigu était bien malade ; la direction aux abois engage un bouffon qui faisait la pluie et le beau temps au boulevard, le comédien Corse. C’est bien. Mais qui fera un vêtement dramatique à ce farceur illustre ? Aude est appelé à la rescousse ; Aude écrit Madame Angot au sérail de Constantinople, et pour voir et applaudir la plaisante figure de Corse sous le bonnet de cette héroïne de la halle, la foule accourt. Deux cents représentations de suite de cette farce, salée jusqu’à emporter la g… bouche, du père de Cadet Roussel, ne satisfirent qu’à grand’peine la curiosité des Parisiens. Trois acteurs firent sans enrichir l’auteur un succès formidable aux pièces que ce joyeux compère improvisait interpocula(que l’on peut à la rigueur traduire : entre deux vins) ; ce furent Beaulieu, Corse et plus tard Brunet, tour à tour le Jocrisse de Dorvigny ou le Cadet Roussel d’Aude sur les deux scènes que ce niais populaire a illustrées.

Empruntant à l’épicurien oublié le titre d’une de ses meilleures pièces et donnant à madame Angot une fille née au sérail du grand seigneur, les auteurs de l’opéra-comique joué aux Folies ont écrit à leur manière un chapitre de l’histoire intime du Directoire. Ils ont mêlé à leur fiction deux personnages réels : la célèbre comédienne-courtisane mademoiselle Lange et le poëte chansonnier Louis-Ange Pitou. Mademoiselle Lange (ce n’était point là un nom de théâtre et de boudoir, quoi qu’en dise la pièce) a bien pu égarer son caprice au bal de Calypso ; elle a couru tant d’autres aventures ! Mais je doute fort que l’homme qui composait des couplets contre le gouvernement de Barras et les chantait en pleine rue avec une vogue qui alarma si fort la police du Directoire, ait jamais songé à mener de front une double propagande en politique et en amour. Le chansonnier royaliste et réactionnaire eût été surpris tout le premier de passer pour un Richelieu des salons et des guinguettes de son époque ; mais comme il n’aurait pu être que flatté de la méprise, laissons-le régner sur le cœur de la comédienne et de la fleuriste !

Je demande au lecteur la permission de ne point le promener à travers les incidents et les surprises de la pièce de MM. Siraudin, Clairville et Victor Koning. Ce serait faire beaucoup de chemin pour revenir au point de départ. Clairette Angot a été fiancée au perruquier Pomponnet par ses pères et mères, les Forts et les Poissardes de la Halle ; mais comme elle a un faible pour le chanteur des rues Ange Pitou, voulant se donner à l’amant en échappant au mari, au moment de prendre, le bouquet de fleurs d’oranger au sein, la tête du cortège nuptial, Clairette se fait mettre en prison en chantant des couplets nouveaux très salés d’Ange Pitou contre Barras, mademoiselle Lange et le fournisseur La Rivaudière. C’est ainsi que s’engage l’action au lever du rideau. Attendez ! Souvent femme varie ! et mademoiselle Angot imagine de mystifier au dénouement son amie la comédienne, la Rivaudière et jusqu’à Ange Pitou lui-même, afin d’éconduire l’amant dont elle ne veut plus, pour prendre le mari dont elle ne voulait pas. Je supprime l’entre-deux, c’est supprimer la pièce, d’accord ; mais je vous engage à aller la voir : vous, les auteurs et moi, nous ferons tous une bonne affaire. Non que je veuille vous surfaire le mérite de la fleuriste Clairette, la fille digne en tout point de madame sa mère : s’il faut dire ce que j’en pense, entre nous je trouve que mademoiselle Angot, en perdant un peu de l’accent maternel, gagnerait en grâce à ne point parler aussi crûment la langue de Vadé et à ne pas porter aussi souvent la main à son chignon et à son bonnet. À cela les auteurs seraient en droit de me répondre : « Nous sommes au bon temps de la Halle ; il faut bien en dégoiser les jurons et en peindre les mœurs. » Ils pourraient même ajouter, et ils auraient deux fois raison : « Nous sommes aux Folies-Dramatiques où le réalisme du duo poissard chanté par mesdemoiselles Paola Marié et Desclozas, bien loin de provoquer des nausées, a soulevé au-contraire des bravos frénétiques et provoqué un bis formidable. Ce qu’il y a de mieux dans notre pièce, c’est assurément, au deuxième acte, le tableau très pittoresque et très plaisant de la société révolutionnaire et d’un bal sous le Directoire. Ce tableau a beaucoup réussi ; mais le grand succès de la Fille de madame Angot, ce pourrait bien être, quoi que vous en puissiez dire, le duo de geste chanté au troisième acte par Clairette et sa commère mademoiselle Lange. »

La musique de M. Charles Lecocq a les qualités de bonne humeur propre aux gens et au cadre auxquels le compositeur a adapté ses inspirations. C’est une succession de motifs chantants, vifs, rapides, heureusement venus, facilement écrits, et dont l’effet est certain sur l’oreille paresseuse d’un auditoire français. Ce public trop spirituel pour être sensible demande à la musique du plaisir sans peine, les caresses de la courtisane et non l’amour de la vierge. Je me hâte d’ajouter que le sujet traité par le musicien exigeait de son talent dont je fais cas une grande dépense de verve, en le tenant quitte du reste. Pendant trois actes de musique, M. Charles Lecocq s’est tenu constamment en haleine, s’il ne s’est pas tenu toujours en garde contre la vulgarité : c’était pour lui l’écueil d’avoir à traduire en notes joyeuses le catéchisme poissard ; l’essentiel est qu’en tournant les pages de ce catéchisme, il y a cousu çà et là de jolies pages d’un ton absolument différent. Il y a de la franchise dans les deux chansons du premier acte, deux satires contre la politique du Directoire, l’une dite avec beaucoup d’accent par mademoiselle Toudouse, l’autre chantée avec beaucoup de verve par mademoiselle Paola Marié. Si l’opinion d’une salle de spectacle est l’expression sincère du Suffrage universel (et ce doit l’être), ce suffrage spontané, chaleureux, unanime, a tranché dans le sens le plus monarchique la question à vider un jour entre la Royauté et la République, après ce refrain de la chanson dans laquelle une dame de la Halle, faisant le bilan de la Révolution, s’écrie :

C’n’était pas la peine 
De changer de gouvernement.

Toutes les mains ont battu, et le public a redemandé à grands cris le couplet et le refrain de circonstance. N’oublions point que ceci s’est passé dans un théâtre populaire, s’il en fut jamais ! On a applaudi, au deuxième acte de la partition de M. Lecocq, un joli chœur de femmes, celui des muscadines réunies chez la citoyenne Lange ; le duo chanté par celle-ci et son amie Clairette ; le chœur des conspirateurs, qu’on a fait répéter et qui sera populaire, s’il ne l’est déjà ; et, sur la conclusion de cet acte si heureux, la valse chantée et dansée qui fait tourner la conspiration royaliste avec les hussards républicains d’Augereau. J’allais oublier un acteur qui a fort ému les spectateurs ; c’est un rideau qui a flambé au milieu du bal. Comme tant d’autres comédiens, il n’aura brillé, qu’un instant ! 

Je citerai au troisième acte le duo bouffe, des deux poltrons jouant à la bravoure et un trio plein de vivacité entre Clairette, Ponponnet et la Rivaudière. Quant au duo final des poissardes, je ne me ferai point le complice du délire qu’il a provoqué.

Mademoiselle Paola Marié (Clairette) a une jolie voix, un jeu naturel, intelligent, mais qu’il faudrait retenir sur la pente de la trivialité où glisse la comédienne. J’engagerai aussi la jeune chanteuse des Folies, si elle tient à ne point altérer un peu trop vite la limpidité de ses cordes vocales, à ne pas risquer davantage son organe agréable mais un peu faible dans la tradition du chant de Thérèsa. Cela dit, je m’associe sans réserve au succès obtenu par la troisième fille du chanteur Marié. Mais je proteste contre celui de mademoiselle Desclozas. Le petit chevrotement de la chanteuse, le jeu prétentieusement faux de l’actrice sont également fatigants, et quand le public applaudit l’un et l’autre, au risque d’être seul de mon avis, je lui crie : « Public, tu as tort ! » Les rôles (côté des hommes) sont tenus avec une faiblesse excessive. Voilà un succès pour Milher, qui n’a pas de rôle dans la pièce nouvelle, et sur lequel l’acteur si aimé à ce théâtre ne comptait pas. La Fille de madame Angot va continuer les grandes soirées d’Abélard et Héloïse.

Bénédict

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Homme de lettres, Journaliste

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(1810 - 1886)

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CLAIRVILLE Victor KONING Paul SIRAUDIN

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date de publication : 23/06/24