Aller au contenu principal

Le Théâtre. Reprise de Cendrillon

Catégorie(s) :
Éditeur / Journal :
Date de publication :

LE THÉÂTRE
OPÉRA-COMIQUE
Reprise de Cendrillon d’Etienne et de Nicolo. Début de Mlle Julia Potel.

Dans les trois ou quatre années qui précédèrent sa retraite du théâtre, Mlle Darcier, qui avait abordé, les rôles les plus divers de l’ancien et du nouveau répertoire, sauf l’emploi des ingénues, – ne résista pas à la fantaisie d’en essayer en jouant la petite Cendrillon. Cette actrice spirituelle, qui était une chanteuse agréable, alliait dans sa personne et dans son art des qualités qui semblaient devoir exclure une volonté ferme mettant en œuvre le talent le plus souple, et ce que j’appellerai le mariage de l’intelligence et de la grâce. Elle avait toutes les séductions de la femme qui, n’étant pas jolie – et qui le sait – a, sur ce point capital, trouvé le secret de donner le change à son miroir. Elle arrivait par la seule force de la réflexion, et avec la même supériorité, à l’effet pathétique ou à l’effet comique d’une situation ou d’un rôle. Dramatique dans Fiorella, touchante dans la Fiancée, c’était dans la Jeanneton du Roi d’Yvetot, la plus délurée des servantes. Une certaine façon de lancer le mot, d’abaisser la paupière sans hypocrisie, d’enfermer un refus ou une promesse dans la voluptueuse indécision d’un sourire, suffisait à l’actrice pour tirer le personnage qu’elle représentait d’une situation difficile. On ne pouvait mettre, avec plus de finesse et de tact, le spectateur dans la confidence d’un secret de jeune femme ou de jeune fille. Sous les traits de Mlle Darcier, Henriette, mariée au maçon Roger, savait écouter des couplets qu’elle ne devait pas entendre, et Zerline, fiancée seulement au brigadier Lorenzo, savait se déshabiller avec la coquetterie d’une jolie fille qui ne se sait point regardée. Il est tel rôle secondaire, celui de Diana des Diamants de la Couronne par exemple dans lequel Mlle Darcier ne sera jamais remplacée. Sacrifiée à l’indifférence injurieuse de son beau cousin, Diana de Campo-Mayor était l’ombre et le repoussoir auprès de la Catarina, le personnage lumineux et sympathique de la pièce ; Scribe, habillant un mannequin, n’avait voulu faire de la fille du ministre qu’un obstacle destiné à compliquer l’action et à retarder le dénouement : à ce mannequin l’actrice substitua une jeune fille pleine de séduction et de grâce.

Cendrillon est le seul rôle dans lequel, malgré tant de ressources, devait échouer le talent de Mlle Darcier. J’en sais bien la raison ; l’actrice le savait aussi bien que moi et mieux que moi mais c’était une de ces raisons précisément dont aucune femme ne veut se laisser convaincre, ni se persuader elle-même. Dans la nouveauté du succès inouï de Cendrillon, le rôle fit la fortune de la pièce ; mais l’actrice fut le grand éclat du rôle. C’était Mlle Alexandrine Saint-Aubin, seconde fille d’une actrice célèbre à ce théâtre, qui avait succédé à Mme Dugazon dans l’emploi baptisé de ce nom, et l’avait fait oublier. Cendrillon dansait et jouait du tambour de basque, dans la ronde du second acte : Colinette au village, à côté de sa sœur aînée, Mme Duret-Saint-Aubin, la plus belle voix et la prima donna de Feydeau (comme on appelait en ce temps-là l’Opéra-Comique).

Afin de mettre en tout son lustre la partition écrite par lui sur un conte de fée mis en dialogue et en rimes d’opéra-comique, par son collaborateur Etienne, Nicolo avait confié les rôles ingrats de Clorinde et de Thisbé, ces deux sœurs de Cendrillon, à Mme Duret et à Mlle Régnault, les deux cantatrices rivales dans le même emploi, celui des chanteuses dites à roulades. C’était renouveler une guerre antique dans cette guerre chromatique d’un Etéocle et d’un Polynice en falbalas (style du temps). Je suppose que l’adroit compositeur avait machiavéliquement compté que ces deux « sœurs ennemies », jalouses de se vaincre, se surpasseraient à sa plus grande gloire. Il fut déçu, mais sans mécompte pour le résultat final de cette grande soirée. Les deux premières chanteuses du théâtre furent pour Cendrillon tout juste l’accessoire d’un succès inouï, sans exemple, et qui fut dans Paris un événement qui se soutint auprès d’un autre grand événement : le mariage de Napoléon et de Marie-Louise. Paris n’eut des yeux que pour les dix-huit ans, la grâce, la danse, et des oreilles que pour le tambour de basque de Mlle Alexandrine Saint-Aubin.

[…] d’un succès extravagant. Le mot est d’un bon juge, M. Fétis et je le cite, parce que ce mot ne saurait surfaire une œuvre médiocre sans la rabaisser davantage. Nicolo, qui avait bien appris la musique dans les traditions et chez les maîtres italiens du dix-huitième siècle, et qui, avec moins de hâte et plus de conscience, eût réussi à n’en faire que d’excellente, Nicolo ne devait laisser que deux opéras que l’on peut encore entendre aujourd’hui : Joconde et Jeannot et Colin ; c’est sa rivalité avec Boïeldieu, rivalité victorieuse, de sa négligence fâcheuse et de son habitude du far presto qui les lui fit écrire. Ces deux enfants de sa maturité d’artiste sont des œuvres de jeunesse.

Quant à l’opéra de Cendrillon, le temps l’a respecté en ce sens qu’il est encore ce qu’il fut dans tout l’éclat de son triomphe, – une platitude musicale.

Mais ce fut une de ces pièces à spectacle d’un irrésistible attrait sur les yeux des multitudes, c’est à ce titre, je suppose, que M. le directeur de l’Opéra-Comique s’est proposé d’en rajeunir l’éclat en l’enrichissant de tous les procédés modernes de l’art de la mise en scène. L’élément féerique ajouté à ce conte de Perrault parlé, chanté et dansé, c’est le divertissement des Saisons au deuxième acte. L’effet en est très joli, et de plus, tout à fait neuf dans le double rococo qui résulte de l’heureuse alliance des danses et de la symphonie. C’est un ensemble à la fois piquant et mystérieux, fait pour ramener l’imagination du spectateur vers le monde des fées.

Ce ballet rétrospectif et tout à fait, comme on dit, en pleine couleur locale, est une macédoine pleine de goût, tirée par M. de Lajarte des airs des ballets de Lulli et des musiciens de son école. Avec le tact du collectionneur éclairé et le sentiment fin de l’artiste, M. de Lajarte a fait une réduction pour piano de ces jolies pages chorégraphiques entrées en contrebande dans Cendrillon.

C’est le musicien de Cendrillon qui prend soin de justifier lui-même la sévérité dont je viens d’user à son égard. En écoutant un charmant duo, celui que chantent le prince et Cendrillon au troisième acte, et dont le double dessin vocal repose sur la ritournelle de la Ronde de Colinette, on se surprend à lire : « Comment un homme qui peut faire si bien, le veut-il si rarement ? »

En cherchant, en trouvant espérons-le un beau succès, où seulement un beau spectacle, dans l’opéra-féerie d’Etienne et de Nicolo, M. Carvalho ne se serait-il point proposé de répondre fort spirituellement à certaines préventions défavorables dont ses préférences, et non son habileté, étaient l’objet ? Le seul reproche qui l’accueillit à son entrée à l’Opéra-Comique, c’était d’avoir, sur un autre théâtre, fait entendre trop de bonne musique aux Parisiens, La reprise de Cendrillon peut passer pour une conversion de M. Carvalho ou pour une épigramme.

Mettons que ce n’est ni une épigramme, ni une conversion, et que cherchant un cadre merveilleusement approprié aux tendres et frêles qualités d’une jeune pensionnaire de son théâtre, M. Carvalho a tout naturellement songé à Cendrillon. Ce rôle de la petite fille du comte, interprété par les dix-sept ans de Mlle Julia Potel, devait, pour la personne et pour le personnage, trouvée un accès sympathique auprès du public. C’est ce qui est arrivé. À l’âge de Mlle Potel, âge plein de promesses, la vocation consiste à dire, à jouer, à chanter avec la simplicité qu’enseigne la nature : il faut écouter d’abord ce maître, qui est le premier, avant de suivre le second, qui est l’art. On m’a dit que ce second professeur était madame Carvalho la débutante n’en pouvait trouver ni un meilleur, ni un plus sûr dans cette route périlleuse du théâtre, où tous partent, et si peu arrivent En attendant de savoir et de pouvoir chanter pour son compte, Cendrillon règle les pures et fragiles inflexions de son sopranino sur le soprano de la grande cantatrice : c’est un écho ; mais un écho, si peu qu’il rappelle cette voix, est bien quelque chose !

Dans le livret si ridicule de feu Etienne, le « sage » Alidor présente à Cendrillon une « rose magnifique » qui a le pouvoir de lui donner tous les talents. Il faudrait conseiller à M. Carvalho de dérober à Alidor la clef de son jardin ; quand il devrait y mettre de la discrétion et ne cueillir qu’une demi-douzaine de ces belles roses, il se pourvoirait par là à bon marché d’une provision suffisante de chanteurs et de cantatrices ; et c’est ce qui manque le plus à son théâtre.

En attendant qu’il devienne un chanteur (s’il le devient !), M. Villard-Alidor a fait applaudir une voix de baryton ténorisant d’un timbre agréable. Le diapason moderne, plus élevé que l’ancien, a perché sur des hauteurs les vocalises surannées du rôle de Clorinde. La robuste voix de Mme Franck-Duvernoy grimpe jusque-là, mais non sans fatigue pour l’auditeur. Il faut se faire aux illusions de la féerie : M. Nicot joue le prince-charmant du conte. M. Thierry ne manque ni de naturel ni de rondeur dans le baron de Montefiascone. Quant à l’acteur chargé du personnage de Dandini, il met à paraître délicieusement bouffon une bonne volonté à toute épreuve. Ah ! que cet homme mériterait bien de pouvoir être gai ! – Le public a beaucoup applaudi ; j’en conclus qu’il s’est beaucoup amusé.

Bénédict.

Personnes en lien

Compositeur, Éditeur

Nicolò ISOUARD

(1773 - 1818)

Homme de lettres, Journaliste

Benoît JOUVIN

(1810 - 1886)

Œuvres en lien

Cendrillon

Nicolò ISOUARD

/

Charles-Guillaume ÉTIENNE

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/9691

date de publication : 23/06/24