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Revue musicale. La Princesse jaune

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REVUE MUSICALE
Opéra Guillaume Tell, début de M. Lassalie. – Opéra-Comique : La Princesse Jaune, opéra-comique en un acte, de M. L. Gallet, musique de M. Saint-Saëns ; reprise de Bonsoir, voisin, opéra-comique en un acte, de M. Poise.

[…] L’Opéra-Comique vient de donner de rechef un opéra d’un jeune compositeur. Cette activité surprenante mérite d’être notée. M. Saint-Saëns, qui, bien qu’encore jeune, a déjà acquis une grande notoriété, fut en son temps une sorte d’enfant prodige. À l’âge de douze ans, n’ayant plus rien à apprendre de son professeur Stamaty, il commençait l’étude de l’harmonie et du contrepoint sous la direction de Madelin, puis d’Halévy, qui le garda un an dans sa classe. À seize ans, il remportait le 1er prix d’orgue dans la classe de M. Benoist ; à dix-huit ans, il prenait rang parmi les organistes de Paris, en remplaçant à la Madeleine Lefébure-Wély, qui s’en allait à Saint-Sulpice.

M. Saint-Saëns n’avait encore que quinze ans quand il écrivit sa première symphonie en mi bémol, qu’on a réentendue cet hiver aux Concerts populaires, et depuis lors il n’a pas cessé d’écrire. Mais si son talent de pianiste et d’organiste est hors page, il n’en est pas de même du compositeur. Peu de musiciens ont plus produit que lui : il a tenté de tous les genres, depuis la romance jusqu’à la symphonie ; il n’y avait que la musique dramatique où il n’eût pas encore pu s’essayer : aussi ce début présentait-il un intérêt réel.

J’ai entendu quantité de morceaux de M. Saint-Saëns : symphonies, quatuors, concertos, musique de piano, mélodies, jusqu’à sa cantate de Prométhée, qui fut couronnée à l’Exposition de 1867 et qu’il dut faire exécuter à ses frais au Cirque des Champs-Élysées. Or, les auditions m’avaient appris que, si la science musicale n’a plus de secrets pour M. Saint-Saëns, il est, en revanche, peu de compositeurs auxquels l’inspiration tienne plus rigueur. Tous ces ouvrages dénotaient une extrême habileté de main, mais aussi une grande pauvreté d’idées. 

Dans les morceaux même que j’avais le plus goûtés, ce n’était pas l’imagination, mais le savoir qui donnait à telle ou telle page de la couleur. Ce n’était qu’effets de timbres et de rhythme, que curieuses combinaisons d’orchestres, bref, une musique qui frappait l’oreille sans rien dire à l’esprit. Une qualité me paraissait surtout faire défaut, le sentiment dramatique ; la nature sèche de l’auteur semblait le destiner plutôt aux développements scolastiques de la musique d’église qu’aux entraînements passionnés de la musique dramatique.

Et pourtant il n’avait qu’une ambition, faire jouer un opéra de sa façon. Depuis nombre d’années, il s’en allait frapper aux portes de chaque théâtre : toutes s’ouvraient, puis se refermaient devant lui. C’est ainsi qu’il fit recevoir par M. Carvalho un opéra, le Timbre d’argent, dont le poème avait été confié d’abord à M. Xavier Boisselot, puis à M. Litolff. Un beau jour, le théâtre lui rendit son ouvrage qu’il porta à l’Opéra. Mêmes cérémonies. De guerre lasse, l’auteur le remit à l’Opéra-Comique qui le reçut avec empressement. Il fallait une danseuse ? M. Du Locle courut en chercher une en Italie. À peine était-elle arrivée qu’on renonçait à jouer l’opéra.

M. Saint-Saëns s’est-il résigné à ne pas nous faite entendre son Timbre d’argent, ou bien a-t-il voulu stimuler le zèle des directeurs par ce premier spécimen, je ne sais, toujours est-il qu’il a — enfin ! – fait représenter un opéra. Quand je dis : opéra, c’est que le mot est sur l’affiche. Dans Djamileh, il n’y avait qu’un sujet de pièce, il y a moins encore dans la Princesse jaune. C’est un rêve. 

Un jeune docteur hollandais, dont la tête est farcie de livres sur le Japon, s’est épris d’une image japonaise, la princesse Ming, au grand déplaisir de sa cousine Léna, avec qui il a été élevé et qui comptait bien l’épouser. Un vieux savant a donné à notre jeune fou la recette pour se transporter en rêve au Japon : en avalant ce philtre, composé selon la formule, Kornélis est pris d’une hallucination qu’un changement à vue nous rend sensible. Il retrouve là-bas sa cousine sous les habits de la princesse jaune : il devient pressant ; elle résiste et s’enfuit. La vision disparue, Kornélis se réveille, il revient à la raison et épouse la réalité, qui lui tend les bras.

Avec un poème de ce genre, le musicien échappait à tous les dangers de la scène un tel essai ne pouvait rien prouver à l’égard de son aptitude dramatique. Ce n’est pas une pièce de théâtre, mais bien un poème musical dans le genre de ceux de Schumann. C’est au concert qu’il faudrait l’entendre : un commentaire de quelques lignes suffirait pour expliquer à l’auditeur cette scène d’une simplicité enfantine.

Cet ouvrage est très-court, et pourtant il a dû demander à l’auteur une grande somme de travail. Chaque page porte l’empreinte d’un labeur assidu ; chaque mesure, chaque note a dû être discutée, pesée ; mais aussi, dès que l’auteur s’oublie, sa musique prend une teinte vulgaire qui frappe d’autant plus vivement que le contraste est plus brutal.

La musique imitative y joue un grand rôle : n’ayant jamais été à Yeddo, je prends volontiers tout cela pour du japonais authentique. Quant à la musique proprement dite, on y peut noter beaucoup d’effets d’une recherche curieuse, mais ou y chercherait vainement quelque gage de la puissance dramatique de l’auteur.

Je citerai comme les morceaux les plus agréables : l’air de Kornélis : « J’aime dans un lointain mystère » qui peint bien la nostalgie du rêveur ; la romance plaintive de Léna : « Je faisais un rêve » l’évocation de la princesse par Kornélis ; puis, dans le duo, un ensemble bien dialogué : « Quoi ! tu me fuis, coquette ! » et la mélopée : « Sur l’eau claire et sans ride, » d’une monotonie affectée. Si ces morceaux sont les meilleurs de l’ouvrage, ce n’est pas qu’ils soient moins cherchés que les autres, mais ici au moins la recherche n’a pas été stérile.

Il faut avouer que l’audition d’un opéra aussi vide d’inspiration et aussi plein de science et de travail ne laisse pas de lasser ceux-là même qui sont le plus faits à cette étude : l’esprit se fatigue à saisir au passage les moindres intentions de l’auteur de peur de lui faire tort d’aucune. Aussi bien, je crois que c’est un bonheur pour l’auteur de n’avoir pas débuté par le Timbre d’argent. Trois actes de ce genre-là, c’eût été trop... pour une première fois.

M. Lhérie est bien placé dans Kornélis. Ni la voix ni le physique de Mlle Ducasse ne semblaient la destiner à jouer des rôles de sentiment ; la gaieté lui sied davantage ; la colère aimable de Léna lui convient mieux que le trouble amoureux de la princesse Ming. […]

Ad. Jullien

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Louis GALLET

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date de publication : 26/09/23