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Premières représentations. Le Roi d'Ys

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS
OPÉRA-COMIQUE. Le Roi d’Ys, opéra en trois actes et cinq tableaux, de M. E. Blau, musique de M. Lalo.

Voilà près de quinze ans que le Roi d’Ys a été écrit, et voilà également quinze ans que, malgré tous ses succès dans les concerts symphoniques, M. Lalo attend le jour béni où son œuvre sera représentée. Qu’on vienne dire après cela que la carrière de compositeur est toujours parsemée de roses ! 

Jusqu’à présent tous les directeurs de nos scènes lyriques, tout en constatant que la partition du Roi d’Ys était intéressante au plus haut degré, faisaient la sourde oreille quand il s’agissait de prendre une résolution décisive. 

M. Lalo en était arrivé à la période d’abattement et de découragement. Il désespérait de voir jamais son œuvre entrer en répétitions. Il a fallu M. Paravey pour réaliser les vœux du compositeur. 

Nous devons donc féliciter le nouveau directeur de l’Opéra-Comique de l’acte de justice qu’il vient de rendre à un compositeur estimé, qui jouit d’une grande renommée parmi les compositeurs contemporains. 

Le public d’hier a également consolé M. Lalo de ses déboires passés en acclamant son œuvre ce lui faisant à la chute du rideau une ovation enthousiaste et sympathique. 

*

Le livret du Roi d’Ys est tiré, par M. E. Blau, d’une légende bretonne que M. Jules de la Morandière, au retour d’un voyage on Bretagne, raconta à son ami. La voici dans toute sa simplicité : Il était une fois un roi d’Ys qui avait de deux filles, Rozenn et Margared. Toutes deux aimaient un beau et brave chevalier, le chevalier Mylio.

Un jour, Margared s’aperçut que Mylio n’aimait que la belle Rozenn, et elle en conçut une violente colère. Elle alla trouver le chevalier Karnac, un méchant guerrier qui avait jeté le gant à Mylio et qui, à la tête de son armée, avait été battu par son rival 

— Veux-tu te venger ? lui dit-elle. 

Et comme il la regardait, étonné : 

— Ta haine a passé dans mon âme, glissa-t-elle à son oreille. Écoute… Notre cité est défendue par une écluse ; aide-moi à ouvrir cette écluse et la ville est perdue. 

Et Karnac accepta. Et, malgré, l’intervention de saint Corentin, qui apparut aux deux criminels pour les maudire, ils ouvrirent les écluses, les flots déchaînés envahirent la ville, qui fut submergée. Cité, palais, trésors, tout fut englouti, lors que saint Corentin apparut une dernière fois dans le ciel éclairé pour sauver Rozenn et Mylio. 

Et depuis, du haut des rochers d’Ys, par une mer calme, par un beau soleil, on aperçoit au fond des eaux la ville disparue, dans sa splendeur antique, éblouissante vision. 

Tel est le résumé de cette légende arrangée par M. Blau avec beaucoup d’habileté qui a fourni au compositeur des situations émouvantes, dramatiques et essentiellement musicales. Les vers sont particulièrement soignés, l’action rapide ne traîne pas ; c’est en somme un excellent livret d’opéra. 

L’espace nous manque ici pour analyser comme elle le comporte l’intéressante partition de M. Lalo, pleine de science, de talent et dans laquelle la partie symphonique joue un rôle des plus importants. Nous nous contenterons de citer rapide ment les passages qui nous ont le plus frappé. 

L’ouverture qui a été déjà exécutée dans les concerts du dimanche, annonce et résume le drame avec beaucoup de puissance et de couleur. Puis, le joli chœur du premier acte, le duo entre les deux sœurs, l’air de Margared au deuxième acte d’un sentiment exquis, le quatuor du deuxième tableau, l’entrée du farouche Karnac. Enfin, tout le premier tableau du troisième acte, qu’on peut appeler le clou de la partition, la scène du mariage, le chœur des jeunes gens, « Ouvrez cette porte, » le chant d’amour de Mylio, un bijou que la salle entière à redemandée à Talazac, la réponse de Rozenn qu’on a également bissée à Mlle Simonnet, tout cela est frais, délicat, charmant et d’un tour mélodique plein de poésie et de tendresse. 

Le dernier tableau est très dramatique. 

Voilà en quelques lignes le résumé des morceaux que le public a paru goûter. 

Maintenant, faut-il dire qu’après l’enthousiasme d’hier le Roi d’Ys sera un succès et restera au répertoire ? Nous en doutons. C’est une œuvre musicale de premier ordre, le musicien y a dépensé un talent énorme, trop de talent peut-être et pas assez d’inspiration, et ce sont justement les grandes et belles inspirations qui font les gros succès au théâtre. Quoi qu’il en soit, la tentative de M. Paravey est des plus honorable. 

L’œuvre de M. Lalo est montée avec un soin particulier. Quant à l’interprétation, elle est hors ligne. Mlle Blanche Deschamps, dans le rôle de Margared, s’est montrée aussi belle comédienne que cantatrice de premier ordre. Mlle Simonnet est pleine de charme et de grâce sous les traits de Rozenn. Talazac chante le rôle de Mylio d’une façon tout à fait supérieure. Nous n’avons plus à faire l’éloge de ce grand chanteur. Bouvet fait du personnage ingrat de Karnac une de ses plus belles créations. Enfin Fournets fait valoir son organe merveilleux dans l’apparition de saint Corentin. Les chœurs ont admirablement marché. Quant à l’orchestre, il s’est surpassé. Rarement nous avions entendu exécution aussi parfaite. Nos compliments sincères à M. Danbé. 

Victor Roger.

Personnes en lien

Compositeur

Victor ROGER

(1853 - 1903)

Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

Œuvres en lien

Le Roi d’Ys

Édouard LALO

/

Édouard BLAU

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date de publication : 02/11/23