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Les premières. Les P'tites Michu

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LES PREMIÈRES

Théâtre des Bouffes-Parisiens : Première représentation, les P’tites Michu, opérette en trois actes de MM. Vanloo et Georges Duval, musique de M. A. Messager.

Blanche-Marie et Marie-Blanche sont, ou à peu près, sœurs jumelles, ainsi que jus-vert est le jumeau de vert-jus. Deux têtes dans le même bonnet, comme elles se plaisent elles-mêmes à le chanter.

Mais, en réalité, ces deux charmantes filles, élevées au pensionnat guerrier de Mlle Herpin, où l’éducation se fait au tambour, ne sont sœurs que de rencontre, jumelles que de hasard.

L’une d’elles est bien la fille des époux Michu, les gros épiciers de la pointe Saint-Eustache, des commerçants cossus, ainsi que le fut Gallet, le fondateur du « Caveau », mais l’autre est la fille d’un certain marquis, lequel, au départ pour l’émigration, confia l’enfant aux Michu, qui l’ont élevée comme leur propre fille. Et comme le marquis n’a plus donné signe d’existence, les Michu, de braves gens s’il en fut, ont donc bel et bien deux filles, et la confusion est complète, si complète même qu’il est impossible de savoir laquelle des deux est vraiment la fille du marquis ? laquelle est la fille de l’épicier ? Dame, il y a bien longtemps, Michu a commis l’imprudence de faire prendre un bain aux deux fillettes, presqu’au lendemain de leur venue au monde, et au sortir de l’eau on ne s’y est plus reconnu, c’est tout simple, n’est-ce pas ?

Les deux sœurs s’adorent, et jamais on ne vit d’affection plus intime, avec caractères plus différents ; autant l’une est vive, enjouée, rieuse, prompte à la réplique, ardente au plaisir ; autant l’autre est d’humeur plus calme, d’esprit plus rassis, de nature timide, avec une pointe de sentiment. Puisque nous sommes en 1806, disons qu’elle a plus de « sensibilité ».

Or, voilà que le général des Ifs, lequel n’est autre que le marquis qui, ayant cessé de bouder en exil, s’est fait soldat et est devenu un des plus glorieux collaborateurs de l’Empereur, s’avise qu’il a eu une fille au temps jadis, que celle-ci doit être chez les Michu, et qu’il convient de la marier à son aide de camp, le capitaine Gaston Rigaud, un jeune brave qui s’est couvert de gloire, et a gagné à lui tout seul, ou peu s’en faut, je ne sais quelle bataille.

La question est donc de savoir laquelle des deux demoiselles est Irène des Ifs, la fille du général ; laquelle est Blanche Michu, la fille de l’épicier. Qui pourrait le dire ? Alors, c’est au petit bonheur. Et comme Marie-Blanche croit avoir une faiblesse de cœur pour le bel officier, Blanche-Marie, plus sérieusement éprise, mais plus timide, se dévoue, fait « le champ », comme on dit en termes de course, et il est convenu que Marie-Blanche est bien Irène des Ifs, que c’est elle qui épousera Gaston Rigaud, tandis que Blanche-Marie épousera Aristide, le filleul et le commis de Michu, qui reprendra le fonds de son parrain, la boutique de « la poule aux œufs d’or ».

Et les choses en iraient ainsi, à l’envers de la logique, si le Dieu spécial qui veille à la félicité des mariages d’opérette n’intervenait à propos. Marie-Blanche découvre qu’elle s’est trop pressée, que ce n’est pas elle, mais bien sa sœur, qui aime le capitaine et en est aimée. Et, une fois sur la voie des révélations, elle découvre non moins aisément que c’est bien sa sœur qui est Irène des Ifs, alors qu’elle-même est simplement Mlle Michu. Un œil de poudre, un nœud de ruban placés à propos dans les cheveux de Blanche-Marie en font la sosie d’un portrait de feu Mme des Ifs, alors qu’elle était encore jeune fille. Donc plus de doute, voilà la malencontreuse confusion du bain réparée. Mais il était temps, grands dieux ! Sans cette poudre et ce nœud opportunistes, voyez un peu ce qui serait arrivé !

Tout naturellement, on fera « chassé-croisé » de maris, c’est de jurisprudence théâtrale, depuis Mam’zelle Quat’Sous. Blanche-Marie épousera le brave capitaine Gaston Rigaud, qui continuera à remporter des victoires ; et Marie-Blanche sera la femme d’Aristide, l’épicier, qui manie comme pas un, le fil à couper le beurre. Ils seront heureux et contents, et auront beaucoup d’enfants ; dame, il en faut, la patrie en consomme, et l’Empereur doit signer au contrat.

Tel est, dans sa banalité naïve, ce petit conte de complexion aimable, qui ressemble à beaucoup d’autres déjà racontés autrefois, qu’on pourrait intituler Mam’zelle Trois Sous, et qui a, dans le lointain, un souvenir de Giroflé, Girofla !

J’ai entendu prétendre par un philosophe humoriste, qu’il n’y avait qu’un seul pauvre, toujours le même, qui se multipliait, tendait sa main partout, changeant d’allure et de costume, se métamorphosant à l’infini. Je crois qu’il en est de même pour l’opérette, il n’y en a vraiment qu’une, une seule, ou plutôt un seul moule, dans lequel se coule la pâte qu’on fait ensuite cuire au four ; seule, la partition diffère, et encore pas toujours…

Cette fois, cependant, il faut convenir que la partition est très supérieure à la moyenne habituelle ; elle est d’abord de forme distinguée, d’orchestration soignée, et ce n’est plus la pacotille coutumière ; ensuite elle fourmille de motifs heureux ; la liste en serait longue si on voulait les citer tous ; il en est de charmants, comme les duettos du premier et du second acte : « Blanche-Marie et Marie-Blanche » et « Ah ! quel malheur ! », ceux-ci délicieusement chantés par Mlles Odette Dulac et Alice Bonheur, dont les voix se marient dans un accord intime ; puis encore et surtout la prière à saint Nicolas : « Saint Nicolas, qui faites tant de choses », un petit bijou serti des deux mêmes voix, ravissante mélodie qu’on ne se lasserait d’entendre. Ne pas oublier non plus la romance du troisième acte, que soupire si bien Mlle Dulac : « Vois-tu, je m’en veux à moi-même », et bien d’autres encore bien venues, aimables à l’oreille, dont l’ensemble constitue une partition heureuse, et même une des plus heureuses et des mieux réussies qu’on ait entendues depuis longtemps.

Le musicien a eu d’ailleurs la chance d’être servi par un bon ensemble d’exécution sur lequel se détachent en grand relief les deux artistes que je viens de nommer, surtout Mlle Odette Dulac, dont la voix fraîche et prenante égrène des notes d’un charme exquis.

Regnard et Maurice Lamy, l’un comédien adroit et de comique bon enfant, l’autre chanteur habile et comédien de finesse, sont amusants tous deux dans les rôles du parrain Michu et du filleul Aristide. — Brunais fait du soldat Bagnolet un jocrisse original.

Mauson — le capitaine Rigaud, — barytonne et ténorise de gorge, il n’est pas très à l’aise, et manque de... panache, bien que son shako de chasseur en ait trop, puis on sent aussi qu’il vient de province et n’a pas encore le pied parisien.

Quant à Barral, — le général des Ifs, — il est de la catégorie des comiques « à faire pleurer ».

La pièce est montée avec grand luxe, les costumes brillants et de bonne coupe rappellent Madame Sans-Gêne, les décors et meubles sont soignés, je désire qu’ils servent longtemps.

Félix Duquesnel

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Chef d'orchestre, Compositeur, Organiste

André MESSAGER

(1853 - 1929)

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date de publication : 26/09/23